Le martyre de saint Jean-Gabriel Perboyre

Le martyre de Saint Jean Gabriel Perboyre

Par Jean-Yves Ducurneau, C.M.

Province de Toulouse

La moisson fauchee

En ce 15 septembre 1839, jour de la fête de la Nativité de Marie, tout le monde se retrouve après la messe pour le repas fraternel. Jean-gabriel est là; avec le Père Jean-Henri Baldus, et le Père Rizzolati, franciscain, envoyé comme pro-vicaire pour visiter les chrétientés du Ho-nan. Les réjouissances sont de courte durée. Une cohorte, conduite par des mandarins et ayant pour mission d'arrêter les missionnaires sur ordre du Vice-roi, arrive à grands pas. Rizzolati et Baldus s'enfuient tandis que Jean-Gabriel perd du temps à fermer la porte de l'église. Puis il part se cacher dans la forêt proche de là. Tous les chrétiens , pris de panique, s'enfuient également. Un silence règne sur la Mission. A leur arrivée, les soldats sont furieux et saccagent tout ce qu'ils trouvent. Les objets de culte sont pris comme pièce à conviction. Quelques chrétiens sont rattrapés et maltraités, certains sont tués. On les emmène comme prisonniers après avoir mis le feu à la Mission.

Jean-Gabriel trouve refuge dans le maison d'un catéchiste mais ce dernier pense que cela reste trop risqué. Les deux hommes s'enferment alors chez un cousin. Jean-Gabriel coupe sa barbe pour paraître un peu moins européen. Le lendemain, un catéchiste est arrêté, il s'appelle Kouan-Lao-San. Sous les coups et les menaces, à bout de force, il conduit les soldats à la cache des fugitifs. Jean-Gabriel s'enfuie de la maison, en vain. Il est rattrapé au bord d'une falaise. Son camarade de cavale, qui tentait de s'interposer, est arrêté à son tour. Le cri de joie des soldats , cruel et sordide, résonne dans la forêt, jusqu'aux oreilles des autres chrétiens terrés.

Jean-Gabriel est affublé de lourdes chaînes. On le pousse à courir, alors qu'il n'a plus de forces.

Le lendemain, quelques chrétiens qui ont réussi à échapper aux soldats, préviennent le Père e Baldus qui lui n'a pas été pris. Jean-Gabriel comparait devant un premier mandarin, celui de Kou-tcheng, qui était dans le village de Kouanintang, le lieu même où le missionnaire a passé sa première nuit de prisonnier. Face à lui, le prêtre reconnaît son identité chinoise: Toung-Wen-Siao, et le caractère de sa mission. Le mandarin lui signifie alors son chef d'accusation: il est interdit à un Européen de pénétrer sur le territoire impérial pour propager sa religion, que l'on qualifie ici de secte.

Le lendemain, les prisonniers sont conduits à la sous-préfecture de Kou-Tcheng-Hsien, à plus de douze heures de marche forcée.

Le 19 septembre, Jean-Gabriel comparait devant deux tribunaux, l'un militaire et l'autre civil, car il est à la fois prisonniers des soldats et des mandarins. On lui commande, sans succès, de renier sa foi. Déclaré coupable, il est revêtu d'une longue chemise rouge, couleur de la culpabilité, et enchaîné aux pieds et aux mains<; <en outre, une grosse chaîne lui encercle le cou et on lui interdit de se raser les cheveux et la barbe.

Le Vice-Roi est avisé de la capture du missionnaire et il rappelle la sanction: peine de mort pour tout Européen saisi à l'intérieur de l'Empire; peine de mort pour tout prédicateur européen ou chinois de cette "secte impie" qu'on appelle christianisme et exil pour tout adepte chrétien même s'il s'agit d'un village complet. C'est ainsi qu'il demande le transfert de Jean-Gabriel afin qu'il soit jugé, à la préfecture de Siang-Yang-Fou, par des instances supérieures, à 2 jours de marche de là.

Arrivés à destination, les prisonniers sont parqués dans une prison infâme, les pieds coincés dans un billot de bois. Jean-Gabriel va rester enfermé là durant près d'un mois, le temps pour lui de comparaître quatre fois devant divers tribunaux.

La meule du martyre

La première comparution a lieu devant le tribunal de la ville. Jean-Gabriel y déclare: "notre religion doit être enseignée à toutes les nations et propagée même parmi les Chinois" et plus tard: "je n'ai d'autre souci que de mon âme et non de mon corps: je ne crains nullement les châtiments dont vous me menacez".

Le lendemain, Jean-Gabriel comparaît devant le tribunal du département. Le mandarin, personnage agressif s'il en est, ordonne au missionnaire, qui bien sûr refuse, de fouler aux pieds un crucifix posé à terre. Puis il fait dénuder les jambes du malheureux prisonnier, lui ordonne de s'agenouiller sur des chaînes posées sur le sol et de rester ainsi près de quatre trop longues heures.

Deux semaines plus tard, Jean-Gabriel est traduit devant le Tribunal Suprême des Finances. Le juge lui demande s'il connaît d'autres prêtres européens. "Je suis venu seul dans la région" rétorque le missionnaire. Le mandarin a eu vent de ces présences d'étrangers et accuse Jean-Gabriel de menteur. On le tire par les cheveux et on l'agenouille de nouveau sur des chaînes. Le juge accuse les religieuses chrétiennes et les prêtres d'inconduite. Jean-Gabriel dément énergiquement. On lui présente alors les objets de culte en lui affirmant que grâce à eux, les prêtres se font adorer par les Chinois. Jean-gabriel répond: "je ne me propose pas d'autre but que de rendre à Dieu avec les chrétiens, les hommages qui lui sont dus" puis il déclare: "vous pouvez être bien assuré que jamais je ne renoncerai à ma foi".

Une dernière confrontation entre Jean-Gabriel et ce mandarin a lieu à Sang-Yang-Fou. Le prêtre est suspendu par les deux pouces liés ensemble et par se tresse de cheveux à une poutre placée au-dessus de sa tête. Ce supplice transforme le prisonnier en jouet désarticulé soumis au jeu des soldats. Le mandarin déclare alors aux autres prisonniers: "l'enfer, le paradis qu'il vous a prêchés, n'existent pas…Voyez sa belle figure. Croiriez-vous désormais à ses discours et à ses supercheries?…Y-a-t-il un paradis pour lui? N'est-ce pas un enfer pour vous? A genoux et maltraités comme vous êtes?…Le paradis, c'est d'être assis sur un trône comme moi…L'enfer? C'est d'être )par terre, souffrant comme vous". Puis il ordonne de fouetter Jean-Gabriel. Le sang lui sort de la bouche sous la violence des coups assénés. Il ordonne aussi de torturer tous les prisonniers chrétiens pour obtenir l'abjuration de la foi chrétienne que certains concèdent. Quant à Jean-Gabriel, il reste suspendu à la poutre jusqu'à la nuit. "ce que j'ai souffert à Siang-Yang-Fou, dira-t-il plus tard, c'était directement pour la religion".

A la fin du mois de novembre 1839, les malheureux prisonniers chrétiens doivent être acheminés à la capitale de la Province: Ou-Tchang-Fou.

L'ivraie et le bon grain

Le Vice-Roi est bien décidé à extirper la religion chrétienne de l'Empire. Il ordonne une grande persécution avec exil pour les chinois convertis et peine de mort pour les étrangers arrêtés. Alertés par des chrétiens, les prêtres réussissent à s'enfuir. Quant ç Jean-Gabriel et les autres chrétiens arrêtés, le Vice-Roi les envoie par barque à Ou-Tchang-Fou, comme cela était prévu. Tous les captifs sont entassés, sauf le missionnaire français qui est sur une barque à part, et tous gardent leurs lourdes chaînes. . Jean-Gabriel est debout au milieu des soldats, les yeux baissés mais la figure paisible et souriante, comme perdu dans une profonde méditation. Le cortège arrive à la capitale au début du mois de décembre. Les prisonniers sont débarqués sans ménagement et sont d'abord regroupés dans une auberge. Ils sont reliés les uns aux autres par une barre et leurs chaînes les empêchent de faire des gestes larges. Ainsi regroupés, ils écoutent Jean-Gabriel fortifier leur foi. Un de ceux qui avaient apostasié sous la torture reçoit la bénédiction du prêtre.

Après une première comparution rapide devant un mandarin, juste le temps d'enregistrer les noms des "coupables", Jean-Gabriel est conduit à la prison du Tribunal Suprême des Crimes, réservée aux grands criminels. Il est jeté sur les ordures. Des insectes et scorpions courent sur le sol qui empeste la pourriture. Les prisonniers entassés là sont reliés par des chaînes qui ne permet pas de bouger sans infliger une souffrance à son voisin. Les infections sont monnaie courant, c'est ainsi que Jean-Gabriel ne peut que constater le pourrissement d'un de ses doigts de pieds qui finit par tomber.

L'arrestation du jeune prêtre n'est plus un secret pour la Congrégation de la Mission. Le Père rameaux écrit au Supérieur Général; le Père Etienne: "vous aurez reçu sans doute les premiers détails de la persécution qui désole le Houpé et qui a jeté Monsieur Perboyre dans les fers. Je n'ai pas eu les bonheur de me trouver exposé au même sort en ce moment. J'étais alors dans nos mission du Ho-Nan. C'était Monsieur Perboyre qui devait y aller, mais par compassion pour ses pauvres jambes, j'avais pris le parti de faire moi-même cette campagne. Ce service que j'ai voulu lui rendre lui vaudra sans doute le martyre" Le père Rameaux est nommé évêque dans le Kiang-Si et le Tchékiang pendant que Jean-Gabriel avance vers le martyre.

Durant son internement à Ou-Tchan-Fou,, il est traduit quatre fois devant les tribunaux.

Le premier est le Tribunal Suprême de la Justice, le Ganzafou. Jean-Gabriel y déclare qu'il est en Chine pour "faire connaître Dieu et non point amasser fortune ou rechercher les honneurs parmi les hommes". "Mais ce Dieu que vous adorez, l'avez-vous vu?" rétorque le mandarin. "Nos livres saints, assure Jean-Gabriel, nous offrent la vérité autant que nos yeux". On fait alors amener un missel et le mandarin conclut l'échange: "votre parole ne veut rien dire et vous seriez digne de pitié si vous n'étiez imbu de cette fausse doctrine et n'aviez trompé par elle nos Chinois". Puis il fait agenouiller le missionnaire et l'oblige à soutenir pendant de longues heures à main levée une pièce de bois sans baisser les bras sous peines de coups.

Il comparait une seconde fois quelques jours après, avec d'autres prisonniers chrétiens. Le père Yang, lazariste chinois dira plus tard d'eux: "parmi les chrétiens arrêtés, le plus grand nombre a renié la foi…ils sont au nombre de plus de soixante dont dix seulement ont constamment professé la foi de Jésus-Christ". Le mandarin oblige les prisonniers à frapper Jean-Gabriel. Certains refusent mais d'autres acceptent sous la peur. Le prêtre ne dit mot. Il est renvoyé dans sa cellule pour un mois.

En ce début de janvier 1840, Jean-gabriel est convoqué une troisième fois. Il est maintenant face au mandarin du Tribunal des Crimes qui a reçu l'ordre du Vice-Roi de faire dire au condamné qu'il est entré illégalement en Chine pour y propager une religion étrangère qu'il devait renier car on l'accusait d'inconduite. Ainsi, le christianisme serait discrédité. Le mandarin questionne donc Jean-Gabriel qui ne répond pas. Le malheureux, à genoux, reçoit alors quinze coups de lanières de cuir. Le mandarin cherche ensuite à savoir si un remède qui empêche le reniement de la foi est administré aux chrétiens. "Aucun" répond le prêtre qui reçoit en sanction dix autres coups de lanière. On montre alors l'Huile sainte: "n'est-ce pas ce remède?" questionne le mandarin. "Ce n'est pas un remède" affirme le prisonnier qui est soudain projeté au sol et reçoit sur ses cuisses dénudées vingt coups de bambou. On présente alors à Jean-Gabriel un crucifix en lui ordonnant de marcher dessus. Dans un vif élan, le prêtre se libère de ses geôliers et malgré les lourdes chaînes qui l'entravent, et s'agenouille devant le crucifix posé à terre. Il prend alors la croix, la pose sur ses lèvres tuméfiés et l'embrasse avec amour. On suspend alors Jean-Gabriel par les pouces à une colonne et les soldats, tout en faisant des gestes obscènes sur le crucifix, gestes qui font hurler le missionnaire, jouent avec la tête de leur prisonnier à bout de force. Le mandarin accuse ensuite Jean-Gabriel d'arracher les yeux des moribonds. Ce dernier qui proteste en vain et encore sanctionner de trente coups de fouets sur les jambes. A moitié évanoui, les soldats lui ouvrent les paupières pour le forcer à regarder le mandarin qui demande: "alors vous avouez maintenant?". Le refus de Jean-gabriel lui vaut encore dix autres coups de fouet. Le mandarin l'accuse alors d'inconduite avec les religieuses. Jean-Gabriel, gardant le silence, reçoit quinze coups de fouet de plus.

On s'étonne de la résistance du prisonnier. En s'approchant de lui, le mandarin découvre un bandage qui le protège d'une hernie. "Voilà l'instrument de son art magique" s'exclame le président du tribunal. Jean-Gabriel est traité de magicien. On lui fait alors boire du sang de chien et on asperge sa tête pour conjurer le mauvais sort. Le malheureux prisonnier ne peut plus résister et se laisse marquer, sur ses cuisses, le sceau du mandarin au fer rouge.

Peu de temps après, Jean-gabriel reçoit la visite de son catéchiste Fong qui relève cette confidence: "les souffrances que j'endure en mon corps sont peu de chose. Mais l'affreuse injure infligée par le mandarin au Crucifix, voilà ce qui cause ma douleur et ce que je ne puis supporter".

Plus tard, Jean-Gabriel reparaît devant le terrible tribunal. Devant son refus de reconnaître les crimes dont il est accusé, il reçoit dix coups de rotin. Le mandarin veut ensuite se convaincre de l'inconduite morale du prêtre. Divers tests de spécialistes prouvent au contraire sa chasteté. Le mandarin fait malgré tout attacher les cheveux de Jean-Gabriel à une corde que l'on tire à l'aide d'une poulie. Le raffinement de la cruauté consiste à soulever le corps et à le laisser retomber violemment sur le sol. Jean-Gabriel perd connaissance, il est couvert de sang. "Etes-vous bien maintenant?" ironise encore le mandarin, qui n'ayant pour réponse que le silence de mort du prêtre, se retire du tribunal, laissant aux soldats le soin de ramener le malheureux à sa prison dans une corbeille de rotin.

Quelques jours après, le Père Perboyre est de nouveau en présence de son terrible interlocuteur. La question porte sur les ornements sacerdotaux: "A qui sont-ils et à quoi servent-ils?". "Ce sont les miens et ils me servent aux fêtes pour les sacrifices en l'honneur du vrai Dieu". "C'est une farce, rétorque le mandarin, c'est un moyen pour vous faire adorer par les chrétiens" et constatant la finesse des broderies, il poursuit:" c'est ainsi que vous voulez vous emparer de la Chine" Jean-Gabriel démentit mais il sait que le mandarin est en droit de se tromper car il existe bien une secte "le Nénuphar blanc" qui vise à renverser l'Empereur. Puis on oblige le prêtre à se revêtir de ses vêtements sacerdotaux, ce qui provoque la stupéfaction chez certains qui crient" C'est le Dieu Fouo vivant!". On croit reconnaître en Jean-Gabriel, ainsi vêtu, une nouvelle incarnation de Bouddha! Deux prisonniers chrétiens se précipitent alors devant lui, se mettent ç genoux et demandent l'absolution. Le tribunal laisse faire. De cette scène étrange, le Père Rizzolati dira plus tard: "qu'il est beau de voir ce prêtre, témoin du Christ dans les tortures et administrateur des sacrements divins…Lui , qui à genoux sur des chaînes et jugé par un homme, délivre les âmes des chaînes spirituelles et exerce le pouvoir du Souverain Juge".

Le mandarin, ne sachant plus quoi faire, clôt le procès. Le Vice-Roi, qui a une certaine aversion pour les Européens et leur religion, prend alors personnellement l'affaire en main.

Le grain qui saigne

Tchow-Thien-Tsio n'aime pas les chrétiens. Vice-Roi de l'Empereur Tao Kouang, pourtant tolérant envers la religion de Jean-Gabriel, il emploie tout son zèle à l'éradiquer. C'est ainsi qu'il organise la persécution des prêtres étrangers et la déportation des chinois convertis. On dit de lui qu'il se plait à inventer des instruments de torture, comme par exemple le siège hérissé de pointes sur lequel on fait asseoir les accusés.

Devant cet homme cruel qu'il rencontrera une quinzaine de fois en deux mois, Jean-Gabriel est obligé de s'agenouiller. La première entrevue débute par une question sur un portrait de Marie: "n'a-t-il pas été peint avec des yeux arrachés aux Chinois?" Pour toute réponse à son indignation, le prêtre est attaché à une poutre et roué de coups de bambou. Puis le mandarin veut faire, à son tour, fouler la Croix des pieds du missionnaire: "comment ferai-je injure à mon Dieu, mon Créateur et mon Sauveur?" réplique le prisonnier. "Tuez-moi, continue-t-il, je ne veux pas et je ne voudrai jamais m'abaisser à cet acte". Jean-Gabriel est alors précipité à genoux sur des chaînes et des tessons de poterie. Pour alourdir le supplice, on pose une poutre sur les mollets de l'infortuné missionnaire. Puis on grave à la pointe de fer sur le front du malheureux: "Kiao-fei", ce qui signifie "secte abominable".

Les autres comparutions sont aussi cyniques et cruelles. Parfois on suspend le prisonnier à une corde que l'on lâche brutalement, parfois, on le fait asseoir sur un tabouret surélevé après lui avoir solidement attaché de lourdes pierres aux pieds. Le Vice-Roi finit par dire à Jean-Gabriel: "C'est en vain que vous désirez mourir promptement. Je vous ferai endurer pendant longtemps les douleurs les plus cuisantes. Chaque jour, vous serez torturé par de nouveaux supplices et cette mort que vous souhaitez, vous ne la trouverez qu'après avoir épuisé les tourments les plus atroces", et il descend de son siège pour fouetter lui-même le prisonnier.

C'est un mort vivant que l'on ramène en prison, une énorme plaie béante qui laisse couler le sang.. même les gardiens sont émus devant tant de souffrance infligée et essaient de soulager le pauvre homme. Pendant trois jours, il est sans connaissance.

Enfin vient le temps du verdict. Jean-gabriel et d'autres prisonniers sont encore convoqués devant le Vice-Roi qui déclare d'un ton ferme: "Toi Toug-Wen-Siao, tu dois être étranglé; et vous qui n'avez cessé de résister aux ordres de vos supérieurs et n'avez point voulu renoncer à votre foi, vous allez être envoyés en exil. Je veux cependant, encore essayer de vous sauver: reniez votre foi et aussitôt vous serez libres, sinon vous aurez le châtiment que vous méritez". Jean-Gabriel s'exclame alors: "plutôt mourir que de renier ma foi!". Tous suivent le prêtre. On présent, en conséquence, à chacun des prisonniers le document du verdict: "signez votre propre condamnation en traçant de votre main sur cette feuille une croix".

Le 15 Juillet 1840, le dossier parvient à l'autorité impériale, qui seule à le pouvoir de rendre effective la peine.. le 27 août, le réquisitoire signé de l'Empereur est rendu public: "L'Européen Toung-Wen-Siao, marqué du signe d'infamie, doit subir la strangulation pour s'être introduit dans la Chine et y avoir, comme chef de confréries religieuses, prêché la doctrine du "maître du ciel", séduit et trompé un grand nombre d'hommes. La sentence sera exécuté immédiatement sans le moindre délai. Les dix autres coupables, et parmi eux, la vierge Anna Kao, seront envoyés en esclavage. Les trente-quatre autres qui ont renoncé à leur erreur sont exemptés de châtiments et seront remis en liberté, à condition qu'ils offrent des garants". Ce courrier arrivera dans les mains du Vice-Roi le 11 septembre 1840.

Dans sa prison, dans l'attente du jugement qu'il sait sans surprise, Jean-Gabriel attend dans la méditation. Il reçoit la visite de son confrère, le Père Yang, qui apporte un peu de pain, de vin, quelques habits et des couvertures. Le catéchiste Fong est aussi autorisé à le visiter. Jean-Gabriel qui se remet un peu de ses blessures veut faire pénitence et ne veut pas être favorisé par rapport aux autres prisonniers. Cependant, il a l'opportunité d'écrire une dernière lettre où il retrace ses différents interrogatoires et où il se désole de l'apostasie de certains chrétiens. Il dit aussi à un autre catéchiste venu le visiter, Ou-Kiang-Te ces quelques mots: "Quand tu retourneras, salue en mon nom tous les chrétiens de Tchayuenkow. Dis-leur de ne pas craindre cette persécution. Qu'ils aient confiance en Dieu. Moi, je ne les reverrai plus; eux non plus ne me reverront pas car certainement, je serai condamné à mort. Mais je suis heureux de mourir pour le Christ".

L'heure de la moisson

Ce 11 septembre 1840, le Vice-Roi arrive au bout de sa quête. Le prêtre français doit être exécuté, l'Empereur en a décidé ainsi. Un messager est envoyé à la prison. On tire des sinistres cellules cinq condamnés à qui l'on doit trancher la tête et le père Jean-Gabriel Perboyre qui, lui, doit être étranglé.

Chaque prisonnier est revêtu de la robe rouge signifiant la condamnation. Tous ont les mains liées dans le dos. Sur eux est accroché un écriteau sur lequel est gravé le motif de la condamnation. Celui de Jean-Gabriel porte donc la marque de "Kiao Fei". Les prisonniers doivent courir vers le lieu du supplice final, la tête baissée. Une foule de badauds se joint à eux.

Le cortège arrive en dehors de la ville de Ou-Tchang-Fou. Le "Golgotha" de Jean-Gabriel porte le nom de "Tcha-Hou", "la montagne rouge". Quatre mandarins sont déjà là. Sans attendre, ils ordonnent de trancher la tête des cinq premiers prisonniers. Pendant ce temps, Jean-Gabriel s'est mis à genoux pour adresser une dernière prière à son Dieu d'Amour. L'heure vient, elle est déjà là. Les tortionnaires ôtent la chemise rouge du prêtre, ne lui laissant qu'un caleçon. On lui attache les mains derrière le dos, tout en fixant ses bras à la courte traverse horizontale du gibet déjà dressé. Les jambes du malheureux sont repliées vers l'arrière et liées ensemble. Jean-Gabriel est comme à genoux sur la croix. Suspendu à quelques centimètres à peine du sol, il est maintenant victime offerte.

Il est environ midi lorsque le bourreau, debout derrière la croix, passe autour du cou du condamné une corde qui le fixe contre le bois. Par trois fois, au moyen d'un court bambou, il serre petit à petit sa gorge. Puis il relâche la pression lui permettant de reprendre souffle. Une deuxième fois, il répète l'opération. La troisième fois, il serre nerveusement la corde et la maintient ainsi contractée jusqu'à ce que la mort fasse son œuvre. Jean-Gabriel rend son esprit à Dieu. Pour s'assurer de sa mort, un sbire lui donne un violent coup de pied au ventre. Les badauds qui sont là remarquent que le visage du prêtre reste empreint de sérénité malgré la souffrance et la mort.

Une semence pour l'eternite

L'année suivante, on se souviendra de ce supplice et certains raconteront ce qui est parvenu jusqu'à nous aujourd'hui: "quand il fut martyrisé, une croix, grande, lumineuse et très régulièrement dessinée, apparut dans les cieux. Elle fut aperçue par un grand nombre de fidèles…beaucoup de païens furent aussi témoins de ce prodige…(certains) ont embrassé le christianisme et Monseigneur Rizzolati leur a administré le baptême…Monseigneur a , de plus, interrogé les chrétiens qui avaient connu M. Perboyre, et tous ont déclaré qu'ils l'avaient toujours regardé comme un grand saint". Certains ont vu cette même croix rayonner sur le cimetière où reposait Jean-Gabriel.

Après le supplice final, les chrétiens réussissent à récupérer le corps de celui qu'ils appellent déjà "le martyr de la foi". On lui fait la toilette et le recouvre de vêtements neufs. Comme la coutume l'exige, on étend un voile fin sur le visage du mort, puis on célèbre l'office des défunts.

C'est dans le petit matin qu'André Fong et quatre de ses compagnons chrétiens portent le cercueil au cimetière se trouvant sur la Montagne Rouge. On pose Jean-Gabriel non loin de François-Régis Clet, autre martyr de la Congrégation de la Mission que le jeune prêtre du Quercy vénérait. On ensevelit le corps avec les rites ordinaires en usage, une aspersion et une simple prière, pour ne pas éveiller les soupçons.

La communauté chrétienne ne tarde pas à vénérer la mémoire de son nouveau martyr. Et c'est cette vénération qui continue aujourd'hui et que Dieu a parachevé par la canonisation du Bienheureux Jean-Gabriel Perboyre.

D'après "Une semence d'éternité" par Jean-Yves Ducourneau. Mediaspaul. 1996.

LE MARTYRE DE SAINT JEAN GABRIEL PERBOYRE8