La Mission Populaire Itinérante

La Mission Populaire Itinérante

Benjamin Romo, C.M.

Visiteur du Mexique

Introduction

Je vais commencer cet exposé en racontant une anecdote, pour illustrer notre thème, et y entrer.

Un ivrogne du du village, très connu, traversa le hameau, chancelant. Avec son parler embrouillé, il annonçait : "J'ai vu un lion...! J'ai vu un énorme lion..., j'ai vu un lion horrible...!" Tous ceux qui l'entendaient s'en moquaient, pensant aux effets de l'alcool sur l'imagination, et ils s'amusaient en regardant l'ivrogne. Quinze minutes plus tard, les deux premiers habitants du village tombaient, mis à mal par les griffes du lion.

Nous pouvons nous demander : pourquoi une nouvelle d'une telle importance devait être criée par une personne dont l'état lui enlevait toute valeur et crédibilité ? La distance si grande entre les personnes au jugement sain, et l'ivrogne, empêcha les premiers de croire à la vérité qu'il proclamait.

L'Evangélisation est aussi une annonce, et plus importante encore que la présence du lion. Ou, si l'on veut, c'est l'annonce de la présence du Lion de Juda, comme la Bible appelle parfois Jésus (cf. Ap.5,5). La distance peut être de divers types : sociale, culturelle, physique, ou religieuse.

La distance est l'un des grands problèmes que l'homme doit résoudre. La distance entre un lieu et un autre..., entre une génération et une autre, entre une culture et l'autre..., et c'est de cette dernière distance que nous allons nous entretenir, durant ce temps de travail.

A - Qu'est-ce que je prétends avec ces réflexions ? Certainement pas épuiser le sujet, ni, non plus, répondre à toutes les questions qu'il pourrait faire venir. Qu'il me soit donné de parvenir à faire un peu de lumière sur le sujet, et à susciter la réflexion et l'échange entre nous, pour un enrichissement mutuel qui nous conduise à chercher des chemins pour une mission itinérante plus efficace au service des pauvres.

B - Méthodologie: J'apporterai quelques réflexions, et, le moment venu, nous projetterons sur l'écran quelques tableaux et textes qui pourront nous aider à mieux retenir l'idée que je veux partager. Je prends appui surtout sur l'expérience provinciale que nous avons sur ce terrain, même si c'est une expérience limitée.

1 - La Mission Populaire Itinérante dans la Tradition Vincentienne

Nous savons que depuis le moment de leur fondation, les missions furent le premier et le principal ministère que saint Vincent pratiqua, et qu'il voulu que la Compagnie puisse pratiquer. Il le dit lui-même: "Le nom missionnaires, ou prêtres de la mission, nom que nous ne nous sommes pas appropriés indûment, mais qui, par le bon vouloir de Dieu, nous a été imposé par la voix commune du peuple, montre avec clarté que le ministère des missions doit être, pour nous, le premier et principal de nos travaux envers le prochain"(XI, 10).

Nous savons combien, pour saint Vincent, tous les autres ministères étaient subordonnés à celui-ci, qui est le premier et le principal entre tous les autres.

En allant voir dans les Constitutions, nous y trouvons ce qui suit: "Les missions populaires, si chères au coeur de notre fondateur, sont à recommander avec insistance. C'est pourquoi nous entreprendrons l'oeuvre des missions, en l'adaptant aux situations et circonstances locales, examinant toutes les possibilités de lui imprimer un nouvel élan, soit pour ranimer et constituer une véritable communauté chrétienne, soit pour éveiller la foi dans l'âme des non-croyants." (C.14)

Dans ce numéro des Constitutions, il y a trois éléments qui me semblent importants et que je voudrais faire ressortir comme trois tâches ou défis qui se présentent aujourd'hui à nous, tant au niveau de la Congrégation que de nos provinces. Ce sont :

1.1 Adapter les missions aux circonstances de temps et de lieu.

Ce premier point, certainement, nous parle du thème de l'inculturation. Il nous dit de prendre en compte la situation historique, l'ecclésiologie, la culture et autres circonstances qui tournent autour de celui qui est à évangéliser..., celui à qui nous voulons faire connaître le message de salut de Jésus-Christ.

Le défi est alors dans le maintien de l'identité de nos missions, et même, de notre identité propre, dans un monde qui change. Comment continuer à garder ce qui nous est propre, dans un monde qui change ? Que faire pour que les missions revêtent un attrait évangélisateur pour notre Eglise ? Le défi est dans le discernement de ce qui est valable dans notre tradition vincentienne et découvrir les nouvelles routes de l'Eglise, aujourd'hui. Quels éléments doit-on garder? Que doit-on changer dans nos missions pour qu'elles répondent aux besoin de l'Eglise et du monde actuel? Notre tâche doit être de nous placer aujourd'hui et maintenant, à partir de ce que nous sommes, comme continuateurs de saint Vincent.

1.2 Leur donner une impulsion nouvelle

Ceci montre que nous étions restés en arrière dans notre travail missionnaire, ou que la Congrégation, les Provinces et les personnes y avaient perdu leur intérêt. Si nous nous plaçons dans le contexte de la nouvelle évangélisation à laquelle nous appelle le Pape, nous prendrons conscience que ce dont il s'agit c'est d'une "nouvelle ardeur" nécessaire pour entreprendre l'évangélisation à partir de ce ministère et de la tradition vincentienne.

Peut-être nos Provinces n'ont-elles pas perdu cet élan missionnaire et itinérant, caractéristique de saint Vincent et des premiers missionnaires. Cette nouvelle impulsion nous parle d'une profonde et réelle passion pour le pauvre et son évangélisation. Elle nous parle de cette conscience aigue d'être de ceux qui marchent à la suite de Jésus-Christ, premier évangélisateur des pauvres, à qui nous essayons de ressembler. Enfin, elle nous parle d'un grand amour pour l'Eglise.

1.3 Pour reconstruire la Communauté ou susciter la foi.

Dans nos Constitutions, la finalité de la Mission Populaire Vincentienne est clairement exprimée: renouveler et donner un nouvel élan au cheminement de foi d'une communauté, paroisse ou diocèse. La finalité peut être, aussi, celle de susciter la foi à partir de la première annonce de la Bonne Nouvelle.

La fin de la mission populaire vincentienne demeure valable aujourd'hui. En effet, quelle communauté n'a-t-elle pas besoin de renouvellement? Et combien de peuples n'ont-ils pas encore reçu la première annonce ?

2 - La Mission Populaire Vincentienne.

2.1 Avec les mots de saint Vincent.

Faire connaître Dieu aux pauvres (Cf. saint Vincent de Paul), leur annoncer le Christ, leur dire que le Royaume de Dieu est proche et que ce Royaume est à eux et pour eux (SV XI, 387; EN 26). L'Evangile que nous devons apporter aux pauvres réside dans la connaissance du Père, révélé en Jésus-Christ, avec la force de l'Esprit Saint.

2.2 De nos jours.

Comment pourrions-nous faire, aujourd'hui, une description de ce qui est la mission populaire vincentienne...? Disons que la mission populaire vincentienne est une action de la pastorale extraordinaire, qui se met au service de la pastorale ordinaire, au moyen d'une abondante et intense prédication de la Parole de Dieu, car c'est un temps spécial de grâce de la pastorale prophétique, dans sa tache d'annonce et de dénonciation.(2)

Autrement dit, la mission est orientée de manière à parvenir à une conversion, à une instruction, et à un engagement chrétien plus ferme. En pratique, c'est une synthèse d'exercices spirituels, de catéchèse doctrinale et morale, de pratiques d'oraison et de pénitence, à l'adresse de la population d'une zone, recherchant par là, une transformation profonde, à partir de l'Evangile.

2.3 L'objectif spécifique de la Mission Populaire Vincentienne.

"Construire, dans la communauté, paroisse, zone, etc., une famille qui, animée par la Parole de Dieu", puisse croire et suivre Jésus-Christ, pour, ensemble, célébrer la foi, et travailler à la construction du Royaume de Dieu !

Cette communauté peut être constituée, comme le dit le document de Santo Domingo, de "petites communautés de famille" qui sont la base et l'appui de toute la communauté, (paroisse) et de l'Eglise elle-même.(3)

Dans la mission, l'on cherche aussi à faire prendre conscience aux pasteurs de la communauté et à la communauté elle-même, de leur engagement missionnaire, comme baptisés, au service de l'Eglise locale elle-même et de l'Eglise universelle, de manière à ce qu'ils soient les premiers agents de la mission et de son cheminement, après celle-ci.

3 - La Mission Populaire Itinérante, et l'Inculturation.

3.1 L'Inculturation et l'Evangélisation.

Disons un mot sur l'inculturation elle-même : c'est le processus par lequel le message chrétien s'insère progressivement dans une culture donnée, à partir des présupposés de cette même culture. C'est l'enfouissement de la semence évangélique dans une culture, de sorte que le germe de la foi puisse s'y développer et s'exprimer selon son génie propre.

Une évangélisation inculturée peut être décrite comme une action dans laquelle il faut voir quatre ensembles d'éléments, pouvant être placée en quatre cadres :

1 _ 2

___ __

3 _ 4

Dans le premier, nous plaçons tous les éléments qui constituent l'évangélisation : Témoigner de Jésus-Christ dans la vie, annoncer et proclamer Jésus-Christ en paroles et agir pour que notre société soit imprégnée de Jésus-Christ.

Dans le deuxième, nous plaçons la culture de celui qui transmet le message. Il est important que celui qui annonce le message soit conscient de sa propre culture, des éléments qui la composent, des valeurs et contre-valeurs qui l'animent, des symboles et langages qui l'expriment.

De cette façon, il pourra distinguer sa culture, du message évangélique qui l'anime. De sorte qu'il puisse offrir de l'eau à boire, sans faire avaler le verre lui-même.

Dans le troisième cadre, il faut mettre la culture de celui qui reçoit le message. Si l'on ne prend pas en compte la culture du destinataire, celui qui annonce ne parviendra pas à transmettre le message qui ne sera jamais reçu comme Bonne Nouvelle, c'est-à-dire comme réponse au désir profond de vie du destinataire.

Une légende dit que Dieu décida un jour de visiter la terre et il envoya un ange pour inspecter la situation avant sa venue. L'ange revint en disant : “Ils n'ont pas de quoi manger..., ils n'ont pas de travail”. Alors Dieu dit : “si c'est ainsi, je vais m'incarner sous forme de nourriture pour ceux qui ont faim, et sous forme de travail pour les chômeurs”.

La vie est vécue et exprimée dans le contexte de la culture propre, sans pour cela s'y réduire. La culture révèle le noyau des valeurs, des aspirations, des questions de fond... que l'Evangile, lumière et levain, illumine et revitalise. Beaucoup de dialogues de l'Evangile nous révèlent ce contact étroit entre les questions existentielles de la vie, et les réponses en Dieu, révélé dans le Christ.

Dans le quatrième cadre, nous avons à contempler la présence de Dieu, l'action de l'Esprit, agissant actuellement dans la personne évangélisée et dans sa culture. Les cultures ne sont pas des terrains vierges manquant d'authentiques valeurs. On y trouve les germes du Verbe présents en elles, en train de germer en salut, grâce à la Parole de Dieu qui transforme et vivifie tout.

Ce n'est pas la présence de celui qui annonce qui pourrait parvenir à rendre le Seigneur présent. Il y est déjà. Tout au plus, la présence de celui qui annonce peut-elle aider à voir, à découvrir, à expliciter cette présence du Seigneur (Cf. Hab.. 17, 23-24).

3.2 Caractéristiques de la Mission Populaire Vincentienne Inculturée

a. Ecclésiale

La mission doit être demandée par l'évêque ou le curé. Ce sont eux qui nous donnent les pouvoirs pour réaliser le travail missionnaire sur le territoire qui leur est confié.

Nos missions s'efforcent de répondre aux besoins de l'Eglise, et cherchent toujours la manière de s'insérer dans les projets pastoraux du diocèse et de la paroisse à missionner.

b. Universelle

Notre proclamation de l'Evangile de Jésus-Christ cherche à ce qu'il parvienne à tous les hommes de bonne volonté.

c. Une préférence pour les pauvres

Conséquents avec notre charisme vincentien, nous optons pour des missions parmi les plus pauvres et abandonnés de notre société: marginaux des grandes villes, ruraux et indigènes.

L'option évangélique et préférentielle pour les pauvres est l'élément fondamental d'une action évangélisatrice qui réponde aux exigences de l'inculturation. "Voir à partir des pauvres" est une clé fondamentale du travail missionnaire. Ceci s'exprime, au niveau méthodologique, lorsque l'on adopte le point de vue de l'autre en se laissant interpeller et même, évangéliser par lui. C'est se mettre dans la peau de l'autre et cela demande beaucoup de dialogue.

La charité du Christ nous pousse à chercher et à répondre aux besoins les plus urgents des lieux marqués par la pauvreté et qui ont le plus besoin de la présence du missionnaire et de la prédication de l'Evangile pour transformer leur réalité.

d. Prophétique

Notre mission conserve, en même temps, la joie de prêcher l'Evangile et le sens de l'espérance en un monde meilleur. Nous sommes conscients de faire partie d'un peuple de pèlerins, toujours en marche vers la perfection et ouverts à l'espérance du triomphe définitif du Royaume (Cf. AG 6). En chaque mission, il y a l'annonce joyeuse de la Bonne Nouvelle, et la dénonciation de toutes les réalités marquées par le péché, et qui s'opposent au Royaume.

e. Participante.

La mission est réalisée par la communauté même qui la demande, car une communauté évangélisée doit être, à son tour, évangélisatrice. Les missionnaires venus d'ailleurs ne sont qu'une aide, importante, sans doute, mais seulement cela. Vu la situation de l'Eglise, en ce moment, l'implication des chrétiens dans le processus de l'évangélisation est indispensable.

f. Située

La mission doit partir de la réalité locale, prenant en compte la religiosité populaire, les coutumes et la situation socio-politique, ainsi que les directives de la pastorale locale.

g. Incarnée

La mission doit être insérée dans le peuple, s'adaptant à son style de vie, pour rendre visible la vie chrétienne de la communauté.

h. Communautaire

Le travail de la mission doit être réalisé en équipe avec les agent "ordinaires" de l'évangélisation du lieu, curé, vicaires, responsables, célébrants, groupes, associations, animateurs de communautés, etc.

i. Itinérante et permanente

Les missionnaires vont de village en village, et l'on voit l'intérêt si cela est demandé par les évêques ou les curés, de revenir sur le lieu missionné pour consolider le travail réalisé dans les communautés familiales et, surtout, avec les animateurs laïcs qui se sont engagés dans l'évangélisation de leur communauté.

j. Mariale

Notre mission doit être mariale, pour deux raisons: d'abord, parce que cela fait partie de notre tradition vincentienne. Et ensuite, parce que la piété populaire porte, dans ses entrailles, un amour et une grande dévotion à l'égard de Marie. La religiosité du peuple est fortement imprégnée de cette dévotion à l'égard de notre Mère.

4 - Les moyens d'une inculturation dans la mission

4.1 Connaissance de la réalité

Il est nécessaire de connaître préalablement la communauté, sa situation économique, sociale, politique et religieuse principalement. Il y a, aussi, deux points que l'on doit prendre en compte, pour la prédication: le message lui-même et le soif de vie. Lorsque ces deux points s'interpénètrent, le message passe et la vie elle-même en est transformée. Voyons deux manières de prêcher aux mêmes ruraux.

A - Chers frères ruraux : en ce temps, ou nous participons à la course du temps, où nous nous sentons les victimes de la planification et l'ordinateur, de la télévision et de la montre, ou nous courrons, agités, d'une réunion à l'autre, nous sommes en train de nous rendre sourds à la voix de Dieu.

B - Chers Frères Ruraux: Lorsque nous voyons que les plantes que nous avons semées deviennent jaunes, nous souhaitons que vienne la pluie. Sans l'eau, notre récolte pourrait se perdre. L'eau est nécessaire à la vie. C'est pourquoi, Jésus lui-même n'hésita pas à se présenter comme l'eau vive, pour que celui qui en boirait, ait la vie éternelle. Sans cette eau, nos vies deviennent jaunes, flétries, faibles.

Dans la connaissance de la réalité, il est nécessaire de connaître le système de "significations" pour le peuple; de découvrir leurs vrais besoins, et non pas ceux que le missionnaire croit connaître, malgré sa bonne volonté; d'analyser les comportements, l'intention et la signification qu'eux-mêmes en donnent.

4. 2 Incorporation des laïcs dans le processus de la mission.

Il est important que dans la mission les laïcs engagés, ou ceux devant s'engager dans la communauté, puissent connaître le processus et la dynamique de la mission, de manière à ce qu'ils jouent un rôle actif dans les différentes activités de la mission. Eux, mieux que le missionnaire qui vient du dehors, connaissent leur propre culture et peuvent exposer, au nom du peuple tout entier, ce qui est le plus convenable par rapport aux décisions à prendre et aux méthodes à suivre.

4. 3 Accompagnement après la mission.

Partant de notre expérience, nous avons regardé comme positif l'accompagnement après le temps fort de mission, surtout afin d'animer tous les agents laïcs engagés dans l'évangélisation. C'est aussi l'occasion de les alimenter avec tout ce qui pourrait faciliter leur propre cheminement et l'expression de leur foi, en partant de leur réalité culturelle concrète.

Ce travail s'avère utile et bon à réaliser jusqu'à deux ans après la mission. Il faut ajouter que ce travail d'accompagnement doit bénéficier de l'intérêt et de l'engagement du curé et des prêtres qui, jour après jour, cheminent avec le peuple.

4. 4 La dynamique de la mission à travers les "Communautés Familiales"

Si la paroisse est l'Eglise qui se trouve parmi les maisons des hommes, elle vit et agit alors, profondément insérée dans la communauté humaine et intimement solidaire de ses aspirations et difficultés. C'est elle qui a la mission d'évangéliser et de faire avancer l'inculturation de la foi dans les familles. Notre travail missionnaire et évangélisateur doit donc partir aussi des activités et des réflexions sur la Parole de Dieu nées dans des petits noyaux de familles qui, unis les uns aux autres, constituent la grande communauté paroissiale.

En réalisant le travail missionnaire de cette manière nous cherchons à ce que l'Evangile pénètre les réalités les plus concrètes et réelles de la famille, de sorte que de là aussi surgisse le changement, la conversion et l'engagement chrétien qui construira en définitive le Royaume de Dieu.

Ces communautés sont des cellules vivantes de la paroisse. Elles devront se caractériser par une ouverture à l'universel et par leur souci missionnaire à l'intérieur même de leur communauté locale et d'autres communautés dans le besoin.

5. Attitudes du missionnaire dans la mission inculturée

"Le paysan alla chez l'oculiste afin d'acheter des lunettes pour lire. L'oculiste lui mit des lunettes et le plaça en face de lettres; le paysan n'arrivait pas à lire. L'oculiste prit d'autres lunettes, plus puissantes, mais il n'arrivait pas, non plus, à lire. Finalement il demanda: "Mais..., avez-vous appris à lire ?" "Non, pas encore, répondit le paysan, c'est pour cela que je veux des lunettes pour lire".

Il est inutile de porter des lunettes pour lire, si auparavant on n'a pas appris à lire. De même, il est inutile de connaître toute la théorie sur la nouvelle évangélisation inculturée, si auparavant, on n'a pas appris à être, dans son esprit et dans son coeur, un évangélisateur inculturé, au sens le plus profond.

5.1 Penser et aimer, à la mesure du genre humain.

Avoir un coeur aux dimensions universelles, qui cherche à aimer chacun. Voilà l"homme nouveau" dont parle St. Paul : "Il ne s'agit pas de faire de distinction entre le grec et le juif, entre le circoncis ou non. Il n'y a plus d'étranger, de barbare, d'esclave ou d'homme libre, mais Jésus-Christ en tous et en tout" (Col 3,11). C'est l'homme nouveau, revêtu de l'esprit et des souffrances du Christ: compréhension, bonté, humilité, mansuétude, patience, mortification, pardon, reconnaissance. (Cf. Col 3,9-17)

Le Pape Jean-Paul II l'exprimait ainsi :

"Tous, nous sommes appelés à reconnaître cette solidarité fondamentale de la famille humaine comme la condition première de notre vie sur terre". Les aptitudes du missionnaire inculturé le conduisent, non seulement à monter très haut, mais aussi, à descendre très bas, et à être solidaire des conditions infra-humaines de l'humanité elle-même.

5.2 Être ouvert à tout ce qui est différent.

Notre vie est poussée par deux forces: une, qui nous conduit à nous grouper avec ceux qui nous rassemblent, classe sociale, race, langue, culture. L'autre, qui nous amène à nous solidariser avec ceux qui nous sont différents. Plus un être humain est différent de nous, plus il doit nous intéresser, car il représente un fragment de l'humanité qui doit nous être révélé. Celui qui est le plus différent ne l'est pas seulement géographiquement, mais, parfois, il s'agit seulement d'un éloignement de vie. C'est ce que Jésus nous présente dans l'Evangile. Pour le juif, le plus différent était le Samaritain. D'ou l'insistance de Jésus de se faire proche du Samaritain comme nous le voyons dans la parabole (cf. Lc.10,25-37), ou dans sa rencontre avec la Samaritaine près du puits, ou en mettant en relief le Samaritain guéri qui fut le seul à se montrer reconnaissant parmi les dix lépreux.

5.3 Savoir se relativiser soi-même.

Sur cette route pour créer l'identité personnelle ou culturelle, nous courrons le risque de tomber dans l'absolutisation, en nous croyant autosuffisants et parfaits, de sorte que les autres, à coté de nous, peuvent compter pour peu de chose..., et nous faisons cela pour renforcer notre propre identité. De plus, on construit des légendes pour mieux s'absolutiser, et ainsi, ce qui est plus grave, on devient incapable de s'ouvrir à d'autres. Le missionnaire est l'homme qui sait relativiser tout, car il sait qu'il n'y a qu'un absolu: Dieu. Il le met au coeur de sa vie.

On raconte que dans les premières communautés chrétiennes, lorsque quelque membre devait partir en voyage, l'on cassait un vase en argile, et on lui donnait un morceau. Au retour, il était reconnu par le morceau qui, uni aux autres, recomposait le vase en argile. Si notre identité est seulement un fragment d'humanité, nous devrions être prêts à unir notre fragment pour recomposer la totalité.

5.4 Prendre des risques au bénéfice de la vie de l'autre.

C'est un aspect fondamental de notre vocation missionnaire. Donner notre vie pour le pauvre, puisque, en lui, nous retrouvons Jésus-Christ. Dans la vie, cela vaut la peine de prendre des risques. L'important, c'est de savoir pourquoi. L'important, c'est de savoir pour qui on risque sa vie. Le missionnaire est celui qui se prive de sécurités, pour donner sa vie au bénéfice du pauvre, du blessé, du malade, de celui qui est dans le besoin, de celui qui, sur le chemin de la vie, "se damne et se meurt de faim".

Pour réussir un bon contact avec l'autre culture à évangéliser, il est nécessaire d'être humbles, simples, sacrifiés et hommes de prière.

Conclusion

Nous avons besoin d'intensifier notre réflexion et notre recherche pour parvenir plus réellement à ce que le n° 14 de nos constitutions nous demandent: adapter nos missions de manière à ce qu'elles ne soient pas déphasées, mais soient une réponse aux besoins de l'Eglise d'aujourd'hui.

Nous avons besoin, aussi, de chercher de nouvelles méthodes, de nouvelles stratégies, et de nouveaux contenus théologiques, spécialement christologiques, ecclésiaux et pastoraux, qui puissent répondre mieux aux réalités concrètes de nos pays et aux directives de l'Eglise universelle, de nos conférences épiscopales et, surtout, de la réalité concrète à missionner, qu'elle soit diocésaine ou paroissiale.

Enfin, nous souvenant du cheminement de notre Congrégation au cours de ces dernières années, nous nous sentons poussés à prendre très au sérieux l'action qui doit entreprise par des "hommes nouveaux". En effet, tout essai d'inculturation de l'Evangile, à partir de notre ministère des missions, serait inutile et sans efficacité s'il n'était pas entrepris dans les dispositions d'un missionnaire qui prend au sérieux l'Evangile, l'évangélisation et la spiritualité de saint Vincent de Paul.

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Notes

(1) Cf. Const. 1

(2) Cf. Directoire des missions populaires vincentiennes, Mexico, 1995, I

(3) Cf. DSD n° 55-64

BIBLIOGRAPHIE

1. Louis Augusto Castro, "Beber en le Pozo ajeno"(Boire dans le puits de l'autre), Ed. Paulinas - Colombie, 1989, lère édition.

2. Directoire des Missions Populaires Vincentiennes, Province du Mexique, 1995

3. Ouvrage collectif, "Dictionnaire de Spiritualité Vincentienne", CEME, Salamanque 1995. 4. Revue "Christus", Mexique, avril-mai 1994; juin 1993, Décembre 1994

5. Revue Concilium, n°251, février 1994

6. Document de Santo Domingo

7. Documents Pontificaux, "La Liturgie et l'inculturation", n°17, Ed. Paulinas, Mexique, 1994.