Annoncer la bonne nouvelle du salut. Sur les traces de saint Vincent

Annoncer la bonne nouvelle du salut

Sur les traces de saint Vincent

Emeric Amyot d'Inville C.M.

Missionnaires, l'une de nos premières responsabilités consiste à chercher à fortifier la foi des gens, qui souvent sont désorientés, mal croyants, tentés par les sectes, ou, parfois, sont incroyants et cherchent la foi. il s'agit donc d'annoncer la bonne nouvelle de Jésus-Christ mort et ressuscité pour notre salut, en d'autres termes le kérygme, qui est annoncé par l'Eglise depuis le jour de la Pentecôte, et, à partir de là, à donner une intelligence globale de la foi afin d'aider nos contemporains à mieux comprendre leur foi et à la vivre de façon cohérente. Cette annonce de la foi dans la mission populaire, à partir de son coeur, le Christ mort et ressuscité pour notre salut, sera le thème de cette journée. Demain, nous aborderons un autre aspect: morale et conversion de la vie.

La réflexion que je vous propose partira de l'expérience de saint Vincent pour qui cet aspect fut absolument central dans son ministère missionnaire. Je souhaite que l'expérience et l'enseignement de notre fondateur puisse nous aider à réfléchir aujourd'hui sur une dimension de la mission populaire qui n'est pas toujours évidente, mais qui, à mon avis, devrait toujours être fondamentale. Ensuite l'équipe missionnaire d'Irlande nous proposera une réflexion sur l'annonce de la foi dans le contexte culturel et social de leur pays.

1i.Une situation d'ignorance religieuse.

Saint Vincent, comme on l'a vu un jour précédent, est frappé par la profonde ignorance

de la foi chez les pauvres gens des champs, qui sont abandonnés par l'Eglise, au point qu'il estimait que leur salut éternel était en cause. L'ignorance du pauvre peuple est presque incroyable (XI, 81) dit-il à ses missionnaire. Ils ne savent combien il y a de dieux, combien de personnes en Dieu (XIII, 305), écrit-il. Les relations de mission nous décrivent abondamment cette ignorance profonde: Leur demander s'il y a un Dieu, écrit Etienne Blatiron de la Corse, ou s'il y en a plusieurs, et quelle des trois personnes divines s'est faite homme pour nous, c'était leur parler arabe. (IV, 412). On pourrait multiplier les exemples, tant les relations de mission abondent en descriptions de la situation déplorable des gens de la campagne qui sont baptisés dans l'Eglise catholique, mais n'en connaissent et n'en vivent pas la foi. Aussi, surtout en certaines régions, beaucoup passent au protestantisme, faute de n'avoir ouï parler de Dieu, disent-ils, à l'église des catholiques! déplore saint Vincent (1, 514).

Pourquoi cette ignorance religieuse est-elle grave? Saint Vincent donne la réponse suivante à ses missionnaires: Comment une âme qui ne connaît pas Dieu, ni ne sait ce que Dieu a fait pour son amour, peut-elle croire, espérer et aimer? Et comment se sauvera-t-elle sans foi, sans espérance le sans amour? (XII, 8 1). Il faut donc annoncer le Christ sauveur.

2.Annoncer la bonne nouvelle du salut

Le moyen de saint Vincent pour remédier à cette triste situation ce sont les Missions

populaires Or, Dieu, dit saint Vincent à ses confrères... a voulu, par sa grande miséricorde, remédier à cela par les missionnaires, les ayant envoyés pour mettre ces pauvres gens en état de se sauver. Et un peu plus loin, il continue: Ô Sauveur!... vous suscitez une Compagnie pour cela; vous l'avez envoyée aux pauvres et voulez qu'elle vous fasse connaître à eux pour seul vrai Dieu, et Jésus- Christ, que vous avez envoyé au monde, afin que, par ce moyen, ils aient la vie éternelle. (XIII, 81) Le salut passe par la connaissance du seul vrai Dieu et de son Fils Jésus-Christ le sauveur. C'est ce coeur de la foi qui est au centre de la catéchèse missionnaire, afin que en croyant et en en vivant, ceux qui l'accueille aient la vie nouvelle, la vie éternelle.

On le sait, saint Vincent a fixé comme objectif aux missionnaires dans les Règles Communes d'aller, à l'exemple de Notre Seigneur et de ses disciples, par les villages et les bourgades, et y rompre le pain de la parole de Dieu aux petits, en prêchant et catéchisant. (R.C. 2). La prédication, citée en premier, abordait davantage des thèmes d'ordre moral pour tenter de remédier à quantités de désordres dans la vie personnelle, familiale et sociale des gens qui était souvent éloignée de l'idéal évangélique. Le catéchisme, pour sa part, a pour objet la transmission de la foi. C'est ce dernier qui nous intéresse ici et c'est d'ailleurs le plus important aux yeux de saint Vincent qui écrit en 1638: Le fruit qui se fait à la mission est par le catéchisme (I, 429), car c'est là que se fortifie et se construit la foi des gens.

Concrètement, le catéchisme a pour objet l'annonce des principaux mystères de la foi (la Trinité, l'Incarnation et l'Eucharistie), ainsi que les commandements de Dieu, le credo et le pater. Les missionnaires devaient les expliquer de la manière la plus simple possible, en se mettant à la portée de ces gens très simples et sans formation intellectuelle. On n'a malheureusement qu'un seul texte des catéchèses que donnait saint Vincent. Il s'agit d'une catéchèse missionnaire sur la Trinité donnée aux pauvres du Nom de Jésus, durant l'été 1631 (XIII, 156-163). Elle est admirable. On y trouve reproduit les patients dialogues de saint Vincent avec tous et les images simples et parlantes qu'il choisit pour faire passer son message.

Une lecture superficielle de saint Vincent pourrait nous laisser croire que, par le catéchisme", lui-même et les missionnaires se sont contentés de faire un endoctrinement religieux, de faire apprendre par coeur, tant bien que mal, des grandes vérités abstraites à des gens qui étaient incapables d'en accueillir le message de salut. Il n'est pas impossible que des missionnaires aient eu cette tendance, ou qu'ils aient trop insisté sur la crainte, sur les menaces de l'enfer s'ils ne s'y soumettaient pas, comme cette exagération était courant à l'époque.

Cependant, l'intention profonde de saint Vincent, ainsi que sa pratique, très probablement aussi, était bien différente. Pour lui c'est une bonne nouvelle qu'il faut annoncer, comme il l'a mis sur la devise du sceau de la Congrégation: Il m'a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. C'est une vie nouvelle, un amour qui libère, qui nous vient du Christ, et qu'il nous faut vivre à l'égard de Dieu et du prochain. C'est le feu de l'amour de Dieu et du prochain qui nous vient directement de Jésus, qu'il faut communiquer. Il nous faut en embraser le monde, dit-il à ses missionnaires: Notre vocation est donc d'aller, non en une paroisse, ni seulement en un évêché, mais pour toute la terre; et quoi faire? Embraser les coeurs des hommes, faire ce que le Fils de Dieu a fait, lui qui est venu mettre le feu au monde afin de l'enflammer de son amour. Qu'avons nous à vouloir, sinon qu'il brûle et qu'il consume tout? Mes chers frères, faisons réflexion à cela, s'il vous plaît. Il est donc vrai que je suis envoyé, non seulement pour aimer Dieu, mais pour le faire aimer. Il ne me suffit pas d'aimer Dieu, si mon prochain ne l'aime. Je dois aimer mon prochain comme l'image de Dieu et l'objet de son amour, et faire en sorte que réciproquement les hommes aiment leur Créateur, qui les connaît et les reconnaît ses frères, qui les a sauvés, et que d'une charité mutuelle ils s'entr'aiment pour l'amour de Dieu, qui les a tant aimés que de livrer pour eux son propre Fils à la mort. (XII, 262- 263) Voila tout l'objectif de la mission. Cela commence par la proclamation de la bonne nouvelle de l'amour de Dieu en Jésus-Christ.

3.L'évangélisateur doit avoir fait lui-même une expérience du salut en Jésus-Christ.

En effet, comment pourrais-je porter ce feu divin, s'il ne brûle pas en moi, missionnaire? C'est impossible. Ce serait être un guide aveugle qui guide des aveugles. C'est ainsi que saint Vincent déclare: Or, si tant est que nous soyons appelés pour porter loin et près l'amour de Dieu, si nous en devons enflammer les nations, si nous avons vocation d'aller mettre ce feu divin par tout le monde, si cela est ainsi, dis-je, si cela est ainsi, mes frères, combien dois-je brûler moi même de ce feu divin!... On ne peut donner ce qu'on n'a pas. (MI, 263)

Or, saint Vincent, lorsqu'il annonce la bonne nouvelle du salut en Jésus-Christ, lorsqu'il parle de son amour et de la charité qui vient de Dieu et qui se répand vers le prochain, il parle en connaissance de cause. Nous savons qu'il a fait l'expérience du salut que donne Jésus-Christ, à partir d'une situation d'échec personnel et de détresse spirituelle. Sa vie, à un moment donné, a été transformée et s'est ouverte à Dieu et au prochain dans un don total. C'est ce qu'on pourrait appeler sa conversion. On en connaît en gros les événements. Rappelons-nous, en particulier, que, pendant de nombreuses années, sa vie a été centrée sur lui-même. Il a recherché les biens matériels et la réussite sociale, courant après les bénéfices ecclésiastiques et les avantages personnels que pourraient lui apporter la fréquentation des grands de ce monde. Il n'y a trouvé que vide et désillusion, si bien qu'il a cherché un directeur spirituel, M. de Bérulle, pour s'en sortir. Cette période s'achèvera par une longue et douloureuse crise spirituelle dans laquelle il mettra en doute les fondements-mêmes de sa foi: une nuit de la foi qui dura environ 4 ans, alors qu'il était chez les Gondi. Tous les actes de mortification et de charité qu'il pouvait faire ne chassaient pas ses doutes. Abelly nous raconte qu'il écrivit sa profession de foi sur un papier, qu'il appliqua sur son coeur, comme un remède spécifique au mal qu'il sentait, et faisant un aveu général de toutes les pensées contraires à la foi il fit un pacte avec Notre Seigneur que toutes les fois qu'il porterait la main sur son coeur et sur ce papier, il entendait renoncer à la tentation, quoiqu'il ne prononçât aucune parole. (Abelly, 1, 167). Très peu de temps avant l'événement de Folleville, semble-t-il, saint Vincent fit le voeu de consacrer toute sa vie pour l'amour du Seigneur au service des pauvres. C'est alors, nous dit encore Abelly, que toutes les suggestions du malin esprit se dissipèrent et s'évanouirent; son coeur, qui avait été si longtemps dans l'oppression, se trouva remis dans une douce liberté; et son âme fut remplie d'une si abondante lumière qu'il a avoué en diverses occasion qu'il lui semblait voir les vérités de la foi avec une lumière toute particulière. (Abelly, I, 167)

Saint Vincent a fait là une expérience profonde de la présence de Jésus-Christ et du salut qu'il apporte, qui a transformé sa vie et l'accompagnera toujours. Il est passé des ténèbres à la lumière, de l'oppression à la liberté, de l'angoisse du doute à la joie et la lumière de la foi. Il est passé d'une vie centrée sur lui-même à une vie toute donnée à Dieu et aux pauvres. Désormais, il sait d'expérience, et non plus seulement parce qu'on le lui a enseigné, que le Christ est le sauveur et qu'il l'est dans sa vie quotidienne jusque dans la vie éternelle. Le Christ est maintenant une présence d'amour et de vie. Il peut le proclamer avec force et puissance. Il serait bon que chacun d'entre nous se pose cette question: quelle est mon expérience personnelle du salut en Jésus-Christ à partir de laquelle je peux annoncer qu'il est vivant et qu'il source de vie et d'amour? Est-ce que je l'annonce par oui-dire, ou par expérience?

4.Transmettre l'intelligence de la foi

Désormais, saint Vincent brûle de ce feu divin qui le pousse vers les pauvres; il peut aller en enflammer les coeurs. Il peut aller annoncer Jésus-Christ; il saura trouver les mots, dans ses simples dialogues avec les gens, qui vont toucher les coeurs et les embraser de foi et d'amour. Nous n'avons pas les textes des catéchèses de saint Vincent sur le Christ, mais, lorsqu'il s'adresse aux missionnaires, il lui arrive d'ouvrir son coeur pour stimuler leur foi et leur amour du Seigneur, comme dans la conférence du 30 mai 1659: Regardons le Fils de Dieu; oh! quel coeur de charité! quelle flemme d'amour! Mon Jésus, dites-nous, vous, un peu, s'il vous plaît, qui vous a tiré du ciel pour venir souffrir la malédiction de la terre, tant de persécutions et de tourments que vous y avez reçus. Ô Sauveur! Ô source de l'amour humilié jusqu'à nous et jusqu'à un supplice infâme, qui en cela a plus aimé le prochain que vous-même? Vous êtes venu vous exposer à toutes nos misères, prendre la forme de pécheur, mener une vie souffrante et souffrir une mort honteuse pour nous; y a-t-il un amour pareil? Mais qui pourrait aimer d'une manière tant suréminente? Il n'y a que Notre-Seigneur qui soit si épris de l'amour des créatures que de quitter le trône de son Père pour venir prendre un corps sujet aux infirmités. Et pourquoi? Pour établir entre nous par son exemple et sa parole la charité du prochain. C'est cet amour qui l'a crucifié et qui a fait cette production admirable de notre rédemption. (XII, 264-26 5)

À partir de cette expérience personnelle de Jésus-Christ, il pourra développer toute une catéchèse vivante sur Dieu et sur le Christ sauveur ainsi que sur les autres aspects de la foi, pour en donner l'intelligence, avec des mots simples et dans des dialogues familiers. Rappelons-nous que, par le catéchisme, le missionnaire expliquait les principaux mystères de la foi (la Trinité, l'Incarnation et l'Eucharistie), ainsi que les commandements de Dieu, le credo et le pater. Le missionnaire donnait donc une vue d'ensemble des aspects fondamentaux de la foi, dont il présentait une vaste synthèse pour nourrir les esprits autant que pour toucher les coeurs. Les missionnaires, dit saint Vincent, le feront d'autant mieux qu'ils resteront en permanence à l'écoute de Dieu qui inspirera leur paroles: ils doivent, en leur parlant, dit-il, s'élever à Dieu pour recevoir de lui ce qu'ils ont à leur dire. Car Dieu est une source inépuisable de sagesse, de lumière et d'amour, c'est en lui que nous devons puiser ce que nous disons aux autres. (XII, 15)

Cet enseignement doctrinal du "catéchisme" était complété quotidiennement par la "prédication” qui abordait des thèmes à dominante morale. Tous les aspects de la vie personnelle, familiale et sociale étaient abordés, afin que la conversion passe dans tous les domaines de la vie concrète et n'en reste pas à un amour affectif de Dieu, qui, s'il oubliait l'amour effectif dans le service des frères pauvres et malades, serait très suspect. Aimons Dieu, mes frères, aimons Dieu, mais que ce soit aux dépens de nos bras, que ce soit à la sueur de nos visages. Car bien souvent tant d'actes d'amour de Dieu, de complaisance, de bienveillance, et autres semblables affections et pratiques intérieures d'un coeur tendre, quoique très bonnes et très désirables, sont néanmoins très suspectes, quand on n'en vient point à la pratique de l'amour effectif. (XI, 40) Saint Vincent, quant à lui ne peut pas être suspecté de fuite dans le spirituel, tant il a eu le sens de l'engagement concret au service du prochain, tant il a su allier intimement amour de Dieu et amour du prochain, annonce de Jésus-Christ et service corporel des pauvres. Il nous invite à en faire autant.

Et nous, aujourd'hui, quelle annonce de Jésus-Christ mort et ressuscité, unique sauveur, faisons-nous? Quelle intelligence de la foi pour le monde d'aujourd'hui proposons-nous? Nous sentons-nous à l'aise pour annoncer le kérygrne, le centre de notre foi, comme les apôtres au jour de la pentecôte? Quelles sont les difficultés que nous rencontrons chez les gens que nous évangélisons? Et quelles sont les résistances que nous pouvons trouver en nous-mêmes?

Nous allons d'ici peu continua notre réflexion en écoutant l'équipe missionnaire d'Irlande qui nous parlera de l'annonce du message de Jésus-Christ dans le contexte culturel de leur pays.