Un témoin humble et passionné de l'Évangile

Un témoin humble et passionné de l'Évangile

par Luigi Nuovo, C.M.

Province de Turin

Un prêtre piémontais des années 1800 avait l'habitude de dire : « à Turin il y a quatre saints : Don Bosco, le Cottolengo, don Cafasso et le Père Durando ». Ce dernier est le moins connu des quatre et il vient tout juste d'être élevé aux honneurs des autels. Il est le moins connu, c'est vrai, n'empêche que dans le Turin du Risorgimento, il était apprécié, estimé, reconnu comme homme de Dieu et conseiller spirituel riche en vertus, prudent et capable de discernement, formateur de nombreux prêtres, religieux et religieuses.

Cette prise de conscience de la sainteté du P. Durando était aussi perçue au sein de la communauté vincentienne. Au point que, le jour de sa mort, le P. Giovanni Torre, qui lui succédait à la tête de la Province de Turin, pouvait écrire à ses confrères ces lignes : « Nous avons perdu un père, mais nous avons confiance d'avoir gagné un protecteur au ciel ». Il donnait en même temps l'ordre de recueillir « le plus vite possible, afin qu'elles ne se perdent pas, les informations particulières qui pourront être recueillies sur sa vie et les exemples singuliers de vertu qu'ils nous a laissés ». Il est donc permis d'affirmer que la renommée de sa sainteté était vive à l'intérieur et à l'extérieur de la Famille Vincentienne.

Prêtre d'une intense vie spirituelle, il fut surtout un homme de gouvernement, exigeant en matière d'observance des Règles, mais mesuré et équilibré, avec un sens de la réalité uni à une charité exquise et attentive surtout à l'égard des plus faibles, qualités qui devaient croître avec le temps. Nous trouvons en lui, qui fut provincial pendant plus de 40 ans, directeur des Filles de la Charité, fondateur des Sœurs Nazaréennes, l'homme qui chemine (à l'école de Saint Vincent de Paul) par les voies ordinaires, simples, cachées, mais quand il le fallait tenaces et courageuses, une fois vaincue sa timidité naturelle. Ce style de vie naissait d'une conviction profonde qu'il manifestait dans sa manière de faire et dans ses paroles :

L'extraordinaire m'a toujours été suspect. J'aime l'ordinaire, le commun, les vertus évangéliques, la véritable humilité, la mortification, l'obéissance à la Règle, mais tout cela de bonne façon, de manière parfaite, et toutefois simplement et sans bruit.

Bien conscient que tout cela n'était possible que par le soutien de la grâce de Dieu et un continuel travail sur soi-même, il écrivait :

Il s'agit, avec la grâce de Dieu, de former peu à peu des cœurs vraiment humbles, simples, mortifiés, patients, détachés de tout et ne pensant qu'à Jésus et ne soupirant qu'après lui.

En fait il vivait lui-même ce qu'il enseignait, rien de voyant n'apparaissant durant les 80 ans de son existence, il chercha à vivre en Jésus-Christ, revêtu des vertus sacerdotales et des caractéristiques du missionnaire vincentien. Il recommandait à tous de donner l'exemple de ces vertus et disait sans hésiter : Il nous est impossible de donner aux autres ce que nous n'avons pas nous-mêmes. Le P. Marcantonio Durando, avec son physique ascétique, possédait un caractère réservé, mais en même temps cordial, plus riche de sensibilité que cela pouvait paraître extérieurement, capable d'attentions paternelles et parfois même maternelles, le tout sans affectation aucune.

Au cœur de sa spiritualité il y avait le Christ Seigneur et tout particulièrement le Christ souffrant sa passion sur la Croix. C'est sur le visage douloureux et surpris de l'Ecce Homo que s'est posé le regard ému et admiratif du nouveau Bienheureux. La passion du Christ fut « son refuge, l'objet préféré de ses méditations ». Cette dévotion, il la recommandait aux âmes qu'il dirigeait spirituellement : « faites tout votre possible pour cultiver en vous cette dévotion et pour l'inspirer aux autres ». Il écrivait dans une autre circonstance : « Que votre sujet ordinaire de méditation soient la vie, la passion et la mort de Jésus Christ ». Pour le P. Durando la Passion du Christ est une école de haute spiritualité, la schola amoris la plus sublime, disait-il en effet :

Dans la passion du Christ vous trouverez l'humilité, l'obéissance, la douceur et toutes les vertus et il enseignait à ses filles que l'humilité et la charité vous les trouverez aux pieds du Crucifié.

Dans un autre passage intense et significatif, il s'exprimait comme suit :

Le Calvaire est la montagne des amoureux et les plaies ouvertes de Jésus crucifié sont le refuge et l'habitation des colombes du Seigneur. Qui n'aime pas se tenir sur le Calvaire ou demeurer dans ces plaies ne sera jamais un véritable amoureux de Jésus. Si c'est l'amour qui l'a poussé à embrasser la Croix et à se laisser clouer sur ce dur tronc d'arbre, si en somme il a accepté de souffrir et de mourir à cause du grand amour qu'il portait à chacun d'entre nous, pourrons-nous rester indifférents à tant de charité, comment ne pas aimer un Bien infini, un Dieu qui se consume d'amour pour nous ? C'est sur le Calvaire que se sont formés les saintes et les saints qui sont maintenant au ciel.

La dévotion à la Passion du Seigneur restait liée pour lui à la célébration de l'Eucharistie qui en était le prolongement, et c'est de cette source inépuisable d'amour qu'il puisait quotidiennement sa force et sa joie. Il disait :

l'Eucharistie est le signe incomparable de l'immense et tendre charité du Christ et de sa profonde humilité.

Il ressentait la passion du Christ comme un éperon qui le poussait à consumer toute son existence pour le Seigneur et il donnait à chacun envie d'être prompt et généreux dans le service de Dieu et des frères en ajoutant : Lui il s'est sacrifié pour vous et vous, vous aussi, sacrifiez-vous totalement pour Lui.

Il était guidé dans sa vie quotidienne par la contemplation du Christ souffrant, mais cela ne le rendait pas renfermé et triste, au contraire il transmettait à tous ceux qu'il rencontrait sérénité et paix. Il se proposait, comme il l'écrivait dans une lettre d'agir toujours dans une charité qui espérait tout. Il affirmait : « La perfection de l'amour de Jésus Christ se manifeste lorsque, non seulement on souffre avec patience les contrariétés et les humiliations, mais lorsqu'on le fait avec joie et en rendant grâces ». Dans une autre occasion il exhortait ses auditeurs :

Il faut avoir toujours présents à l'esprit les exemples de la vie de Jésus-Christ (…) La contemplation de Jésus humilié, de Jésus pauvre, de Jésus flagellé, de Jésus couronné d'épines, de Jésus crucifié, c'est cela qui change les souffrances en joie..

Il enseignait que nous devons apprendre de Jésus, qui s'est abandonné dans les mains de son Père, à faire la volonté de Dieu et à vivre dans l'obéissance. Il conseillait dans une lettre :

Abandonnez-vous entre les mains de Dieu, ayez pour seule pensée de faire la volonté de Dieu, ne prévenez pas les plans de Dieu par des pensées et des désirs personnels sur l`avenir. La volonté de Dieu, c' est que vous fassiez toute chose de tout votre cœur, avec soin, avec zèle, ainsi que les offices qui vous seront confiés… Méditez bien cette grande vérité, faites-en votre norme, votre règle, votre vie, votre bien. C'est en cela que consiste toute notre sainteté et toute notre perfection.

La certitude de pouvoir suivre le chemin de la sainteté lui venait de la force que lui donnait la prière, et il affirmait :

L'oraison est la source de tout bien et la mère de toutes les vertus - et il ajoutait - que règne dans toute la maison et chez toutes les religieuses l'esprit d'oraison, de recueillement intérieur et extérieur et de silence.

La prière, en plus de tout cela, était à ses yeux une fontaine de sérénité et de paix intérieure. C'est pourquoi il enseignait :

Un silence rigoureux, un grand recueillement intérieur, l'esprit d'oraison, l'amour du travail et l'esprit de pénitence; mais en même temps pas de mélancolie, pas d'air triste ni de cou tordu. On comprend, quand on se souvient que l'esprit d'oraison et de pénitence est le fruit de l'Esprit Saint, qu'il s'y trouve toujours la joie et une sainte allégresse spirituelle.

Il en avait fait lui-même le style de sa vie, il a recherché la perfection évangélique en vivant avec un zèle passionné son ministère sacerdotal ordinaire : la célébration de l'Eucharistie, le sacrement de la Réconciliation, la prédication des missions paroissiales, des exercices spirituels, des retraites et des conférences au clergé, ainsi que la direction spirituelle offerte à des personnes appartenant à tous les milieux sociaux, qu'il accueillait avec disponibilité et bienveillance.

Marcantonio Durando, fidèle disciple de Vincent de Paul, nous invite à une sainteté humble et confiante, simple et prudente, douce et forte, vécue dans l'exercice de la charité, et surtout dans la fidélité aux petites choses de la vie quotidienne, dans l'acceptation des contrariétés, des épreuves et des souffrances que l'on peut rencontrer quand on entend être tenacement cohérents et fidèles au Christ et à son Evangile.

Dans un texte écrit en 1876, il recommandait à ses confrères :

Que la charité règne sans cesse parmi nous, qu'elle gouverne nos actions, nos paroles et nos pensées, afin que nous honorions toujours unanimement Jésus Christ, et que la paix du Seigneur soit toujours avec nous et dans nos cœurs.

(Traduction : FRANÇOIS BRILLET, C.M.)

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