Le Conseiller et la vie spirituelle

Le conseiller et la vie spirituelle

par Edurne Urdampilleta

Conseil International JMV

22.VII.2002

Sans protocole, nous vous remercions pour cette invitation que nous, les jeunes, avons reçue, afin d'éclairer à partir de notre perception, ce thème si important de la spiritualité, et nous permettre d'échanger avec vous sur ce beau thème. Certes, si nous croyons vraiment que la volonté de Dieu se manifeste à travers les personnes, les événements de notre vie et les signes des temps, il faut se rendre compte de ces signes à travers lesquels nous devons savoir lire aujourd'hui le vouloir de Dieu.

En tant que jeune appartenant à une Association Mariale Vincentienne (JMV), je crois que la meilleure contribution que je peux faire, à partir de mon humble expérience de la spiritualité, c'est d'approcher de la réalité du jeune actuel, très différente de celle que j'ai vécue moi-même, étant donné les changements rapides que nous vivons en notre « ère technologique ».

Je veux aussi vous avouer que j'ai hésité de parler de spiritualité vincentienne, car vous avez des experts pour parler de ce thème. Donc, j'ai pensé qu'il serait peut-être plus normal pour moi et plus utile pour vous, si ensemble nous essayons d'analyser quels sont les plus grands manques des jeunes d'aujourd'hui et quelle doit être notre contribution à partir de la spiritualité vincentienne. Il est vrai que beaucoup proposent des occasions de travailler en faveur des autres, mais il y en très peu, dans l'Église, qui offrent une contribution comme celle d'une spiritualité qui soutient ce travail de dévouement.

Je suis consciente que mon analyse va être influencée par la réalité à laquelle j'appartiens, c'est-à-dire, ma façon de l'envisager est toujours déterminée par ma vision du jeune européen, je suis également consciente que la réalité qu'on nous impose est, de plus en plus, uniforme et globalisante, c'est pourquoi je crois que je peux me faire l'écho de certaines caractéristiques communes au monde des jeunes.

L'une des lignes prioritaires en notre Association de JMV c'est que les jeunes soient les évangélisateurs des jeunes, pour cela je vois qu'il est très important d'analyser le monde actuel et le monde où les futures générations devront vivre, afin de pouvoir adapter le mieux possible l'essence de la spiritualité que nous prétendons leur offrir comme un cadeau de l'Esprit.

Si nous disons que la spiritualité laïque vincentienne doit se caractériser par notre insertion dans le monde, auprès du pauvre, et dans l'exercice des tâches séculières, permettez-moi de jeter un coup d'œil sur ce monde où vit le jeune d'aujourd'hui, bien qu'il semble - apparemment - que je parle des dimensions qui n'ont rien à voir avec la spiritualité.

1. Traits du jeune de l'ère digitale ou de la société de la connaissance

En lisant la réalité actuelle et future, je voudrais souligner :

  • Il y a quelques années les connaissances nous venaient du milieu familial ou scolaire. Aujourd'hui, les connaissances sont à la portée des jeunes, de plus en plus, par d'autres moyens technologiques (télévision, portable, vidéo, musique, jeux vidéo, Internet…) Mais cet excès d'informations engendre aussi la confusion. On dit que dans les décennies précédentes on travaillait pour déraciner l'analphabétisme. Actuellement, « l'excès d'information » produit aussi l'ignorance car, au but du compte, tant d'information gêne et n'est pas profitable. Donc, il est important d'organiser l'essentiel du message que nous voulons transmettre aux jeunes et de leur donner des critères de valeur qui les aident à discerner aussi du point de vie de la spiritualité.

  • Avant, on ne parlait pas tellement d'affairement, de vie agitée, de stress… Est-ce que la spiritualité, quelle qu'elle soit, n'aurait rien à apporter au style de vie d'aujourd'hui où l'on favorise les valeurs de la productivité et l'efficacité au détriment de l'interaction personnelle et sociale ?

  • Peut-être vaut-il la peine que nous réfléchissions sur l'importance que nous allons donner, dans la structure du message que nous voulons transmettre du point de vue Vincentien, au contenu théorique ainsi qu'à l'expérience, au fait que les jeunes expérimentent en eux-mêmes ce que nous voulons qu'ils découvrent. Face au risque actuel de saturation d'informations, ne devrions-nous pas essayer d'être plus créatifs, de nous appuyer davantage sur notre vécu, en présentant les contenus du message que nous voulons faire connaître ?

  • Le jeune d'aujourd'hui est ciblé de stimulations de la part d'une société capitaliste appliquée à lui démontrer que le bonheur réside dans l'avoir plutôt que dans l'être. Si par hasard, quelqu'un a pu douter, parfois, que le Charisme Vincentien a une bonne nouvelle à communiquer, pouvons-nous aujourd'hui encore leur offrir un message libérateur à partir de l'Évangile ?

  • Nous assistons aussi aujourd'hui à des changements dans la structure familiale. Étant donné que, de plus en plus, le père et la père travaillent tous les deux, et que la moyenne d'enfants par famille en Europe est de 1,8, de nombreux enfants grandissent tout seuls, sans frères et sœurs, trouvant de grandes difficultés dans leurs expériences de socialisation. À partir de notre expérience fraternelle et communautaire, pouvons-nous offrir à ces générations futures des nouveautés encore à découvrir, susceptibles d'enrichir leur processus de maturation personnelle et spirituelle ?

  • Dans une société qui tient à l'individualisation, à la compétitivité, où les inégalités entre les pays augmentent de plus en plus, notre spiritualité vincentienne aura-t-elle quelque chose à apporter en nous invitant à rester proches de la souffrance des autres ? Par ces quelques lignes je vais essayer de démontrer que cela est possible.

  • Dans la société où vivent nos jeunes, où l'on cherche à tout standardiser, même la culture, vaut-il la peine que, dans le domaine chrétien, nous nous efforcions de faire connaître la richesse des charismes par lesquels l'Esprit se manifeste dans l'Église à travers les temps, afin que nos jeunes éprouvent la joie des particularités transmises par le charisme vincentien.

  • Dans une culture où la télévision offre des contenus d'une faible qualité éducative, caractérisés par les programmes «ordures », où la violence et le manque de valeurs deviennent quelque chose de normal, vaudra-t-il la peine que nous soyons courageux au moment de communiquer aux jeunes des messages altruistes, incarnés dans des hommes et des femmes toujours d'actualité comme Vincent de Paul et Louise de Marillac ?

Ce sont les réflexions que j'ai du faire avant de penser aux aspects de la spiritualité qu'il fallait souligner aujourd'hui afin qu'ils deviennent significatifs pour les jeunes que nous fréquenterons les prochaines années. Maintenant je voudrais citer certains éléments qui, à mon avis, peuvent favoriser notre communication d'un héritage spirituel si riche : la spiritualité vincentienne.

2. « Préparer la terre en temps de sécheresse » un défi pour le conseiller d'aujourd'hui

Je veux faire allusion, en particulier, à la métaphore de la soif qui apparaît à plusieurs reprises dans la Bible, pour continuer de nous rappeler la soif de valeurs altruistes que les jeunes éprouvent actuellement, soif cachée, bien des fois, sous des signes d'apathie.

En parlant de spiritualité, il convient de nous rendre compte que la société d'aujourd'hui ne facilite pas l'ouverture à ces dimensions car le rythme de la vie n'y aide pas et la religion est une dimension très peu cultivée dans la plupart des familles. Le nombre des familles qui éduquent la foi de leurs enfants est de plus en plus réduit, c'est pourquoi notre responsabilité d'accompagner les jeunes en ce processus est de plus en plus grande.

De ce point de vue, nous savons qu'il y a des attitudes qui rendent difficile l'ouverture à ces dimensions, telles que : les distorsions, l'excès de bruit, l'affairement, l'activisme, le matérialisme, l'hédonisme… et par contre, il y en a d'autres comme la soif de profondeur qui aident les jeunes à s'ouvrir à d'autres dimensions d'où ils peuvent découvrir la volonté de Dieu dans leur vie.

D'entrée, au moment de faire comprendre aux jeunes le langage subtil à travers lequel se manifeste Dieu, notre défi consistera à les aider à se rendre compte qu'il y a des réalités, très évidentes pour nous, qu'ils ne trouveront pas dans Internet mais que l'insatisfaction, l'inquiétude qu'ils ressentent peuvent avoir une réponse. Autrement dit, c'est à nous d'« éveiller la soif » avant de leur donner à boire. Voyons maintenant comment peut-on éveiller la soif dont parle l'Évangile.

a. Cultiver la dimension du silence et de l'écoute

Pourquoi est-ce que je donne tant d'importance à cette dimension ? Comme professeur, d'année en année, je remarque les grandes difficultés que rencontrent les élèves pour se concentrer et écouter. Comment peut-on prêter l'oreille aux niveaux plus subtils de la personne, par exemple, lorsque nous parlons d'écouter la « volonté de Dieu » ?

Je commence par parler de cette dimension étant donné que la plupart des jeunes d'aujourd'hui sont nés à une époque de grand activisme où ils ont des difficultés pour découvrir des dimensions telles que le silence. Le silence leur donne l'impression d'une perte de temps. Ils vivent dans un monde où l'hyper stimulation est très développée à certains niveaux et très désorientée à d'autres. Il faut, de plus en plus, leur apprendre à centrer l'attention vers l'intérieur de la personne. Ce qui pouvait être interprété comme égocentrisme, il y a quelques années, devient aujourd'hui très nécessaire.

De nombreux jeunes ont besoin de découvrir qu'il leur faut moins de choses et plus de calme, de tranquillité pour découvrir les trésors que nous tous, nous portons dans l'intérieur. Comment, sinon, pourront-ils les partager avec les autres ? Les générations précédentes avaient plus de contact avec la nature ; actuellement tout est de plus en plus artificiel, même la nourriture. Il est bon de ne pas considérer toute connaissance comme totalement acquise. Bien sûr, la solitude et le silence féconds n'ont rien à voir avec l'évasion du monde, la solitude imposée, l'isolement, le manque de communication, car il y a beaucoup de types de silence. Nous parlons ici de celui que peuvent cultiver ceux qui désirent changer d'une manière active et se «construire », si nous voulons que nos jeunes fassent des choix durables et de qualité.

Nous ne pouvons pas oublier, si nous voulons réaliser une pastorale de qualité, que le travail avec des personnes, à ces niveaux, exige que nous fassions taire d'autres voix plus fortes : tensions, intérêts pressants et activités intenses, de sorte que l'attention ne soit pas dissipée mais orientée vers l'intérieur de la personne.

Le silence extérieur est nécessaire mais il ne suffit pas. Il est une condition préalable à la prière d'où jaillit tout désir de service : « Retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là, dans le secret ». Le silence intérieur est une réalité beaucoup plus élevée et difficile à atteindre. Il faut que la capacité de concentration dépasse l'anxiété, la nécessité affective chez les jeunes et l'activisme excessif. D'où la nécessité de se retirer des lieux habituels pour participer à ce que nous appelons rencontres, retraites ou journées de réflexion. Ne pensons pas que les jeunes vont découvrir, eux-mêmes, ces vérités si nous ne les leur montrons pas, car ces vérités ne font pas partie des messages publicitaires ordinaires présents dans leur vie de chaque jour.

Plaise à Dieu que nos jeunes trouvent l'occasion de découvrir auprès de nous, que le silence n'est pas simplement l'absence de mots ; que le silence a sa propre intégrité et une fécondité certaine. Alors, la semence du charisme vincentien tombera dans une bonne terre qui donnera des fruits abondants en temps voulu. Qu'ils découvrent aussi que pour pouvoir rejoindre les autres et leurs besoins, nous devons leur trouver une place dans notre cœur. Pour que l'écoute soit authentique, les jeunes doivent vivre, avec nous, l'expérience que nous sommes ouverts à la découverte d'autres réalités, que nous avons une disposition permanente à apprendre, à générer des alternatives. Il faut aussi rendre possible des espaces pour que les personnes puissent se rencontrer, se communiquer en profondeur et analyser ensemble la réalité qu'ils vivent, avec un esprit Vincentien de justice et de transformation.

b. Cultiver le discernement et le goût des choses

De plus en plus, les générations actuelles vont trouver des difficultés pour s'arrêter, penser et « savourer les choses » dans le sens de porter l'attention à l'intérieur de la personne et non pas aux stimulations extérieures.

En contrepartie à la société de l'abondance, nous, Vincentiens, avons le bonheur d'avoir découvert les valeurs de « l'humilité », « la simplicité » et « l'austérité », qui s'opposent à la tromperie que la société mercantiliste prétend inculquer.

Je pressens qu'il faut mettre l'accent non pas tant sur la morale extérieure, qui semble toujours un peu imposée, que sur sa propre conviction et son expérience quand nous parlons des réalités que nous avons découvertes, leur donnant la valeur qu'elles ont, d'après nous, sans avoir peur d'en parler. Nous devons aussi oser parler de notre propre expérience, des moments de confusion et de confrontation que nous avons dû traverser afin que le jeune trouve des ressources au moment de faire face aux nombreuses crises qui pourront se présenter durant sa vie par rapport aux différents choix.

Dans la mesure où nous inculquerons aux jeunes l'esprit critique et où nous rendrons possible des expériences, les aidant à découvrir eux-mêmes l'importance des valeurs du monde et des valeurs évangéliques, ils pourront comprendre la valeur et la richesse de la spiritualité que nous essayons de leur transmettre. Souvent, nous pensons que le fait de parler de ces réalités va leur donner l'impression que nous sommes loin d'eux, et en réalité, pour sembler être « proches d'eux », bien des fois nous ne manifestons pas ce qu'il y a de plus authentique en nous et, dans le fond, « ils sont déçus ».

Si nous voulons que les vérités que nous cherchons à leur communiquer, ne soient pas seulement de belles idées ou une simple idéologie, nous aurons besoin de plus en plus, de savourer ces vérités à l'intérieur car les jeunes sont très ouverts au monde affectif et dans la mesure où leurs cœurs seront touchés, ils mettront en mouvement leurs mains. De même que nous apprenons à jouir de la présence d'un ami, nous devons aspirer à ce que la relation des jeunes avec Dieu touche à toutes les fibres de leur personne, nous voulons qu'Il soit vraiment présent dans tous les aspects de leur vie séculière. Je n'ai fait que signaler ici le besoin constaté de vivre en profondeur, compte tenu des caractéristiques de la société de notre époque.

c. Être en liaison avec la souffrance des autres

Nous devons oser révéler aux jeunes les données de la dure réalité afin qu'ils ouvrent les yeux et comprennent qu'il y a encore beaucoup de choses à faire et que pour demeurer fidèles à certaines valeurs ils auront besoin d'être fondés sur une forte vie intérieure.

Nous, Vincentiens, avons la chance de vivre la relation dans un monde qui a aussi soif de solidarité ; c'est un message que les jeunes au cœur ouvert savent bien saisir. Nous avons tous cette saine préoccupation d'aider les jeunes à s'ouvrir à la réalité des autres ; mais je ne sais pas si nous avons toujours les mots et la façon de réaliser l'invitation car parfois - et je dis seulement parfois - nous leur reprochons de ne pas faire davantage, avant même que le jeune, à partir de sa liberté, ait choisi de rendre ce service. À ma connaissance, saint Vincent avait une totale confiance en la Providence, c'est peut-être une valeur à récupérer en ces temps où on n'attend que le rendement.

La jeunesse est l'étape fondamentale pour la constitution du psychisme de la personne, c'est un âge où « l'identité » du moi a besoin d'être établie. Mais cette réalité restera incomplète si nous oublions que nous sommes interdépendants. C'est un âge privilégié pour que le jeune perçoive la possibilité de cette précieuse relation avec les autres et le fait que nous sommes responsables les uns des autres. Ainsi en est-il de la relation qui offre l'occasion gratifiante de porter attention à une personne dans le besoin.

Donc, outre le besoin de découvrir son identité, la jeunesse est un âge où l'on souhaite avoir des relations en profondeur avec les autres, des expériences de communauté avec d'autres personnes. Jésus disait que tout ce qu'une personne fait aux autres, lorsqu'elle les accueille, les habille, les aide ou les blesse, les soigne … c'est à Lui qu'elles le font. Lorsque nous sommes capables de distinguer le même esprit en nous et chez les autres, nous devenons plus souples et l'expérience du « nous » commence à se développer d'une manière naturelle. Nous avons des trésors très importants à offrir aux jeunes, par exemple l'expérience de la réciprocité. Y a-t-il quelque chose de plus vincentien ?...

3. « Labourer la bonne terre » : une tâche audacieuse du conseiller

La tâche principale du conseiller consiste à faire pénétrer à fond dans la jeunesse la spiritualité qui jaillit du charisme vincentien. Cela est un grand défi pour les laïcs vincentiens. Cette proposition revêt une nuance particulière dans les Associations Mariales, nées du désir précis de la Vierge. C'est le cas de la JMV où Marie nous invite à l'imitation de ses vertus (modestie, humilité, silence, transparence...), et à son souci des pauvres ainsi que nous le découvrons dans le cantique du Magnificat, la visite à Elisabeth ou les noces à Cana.

Dans le processus du Catéchuménat au sein de la JMV, nous valorisons tout particulièrement les tâches suivantes :

a. Offrir un accompagnement personnel et un discernement

Plus que jamais il faut une confrontation avec une personne qui puisse conseiller et aider, afin de réaliser un travail personnel qui aboutisse à des choix mûrs. Cette tâche peut se faire en dialogue au niveau personnel ou bien dans l'accompagnement de groupes, en permettant que surgissent les débats.

Le jeune d'aujourd'hui peut trouver chez le conseiller cette personne ayant de l'expérience, du temps pour le dialogue et de bons critères pour l'aider à grandir dans son processus de maturation de la foi. Les jeunes sont sensibles à la recherche de personnes objectives et désintéressées, sans préjugés, qui pourront les accompagner et les orienter sans décider à leur place.

Il convient de consacrer le temps nécessaire à « réviser ». Dans la JMV nous concrétisons cela par l'élaboration et révision du « projet de vie du jeune », car nous pensons que la croissance intérieure n'est pas liée à la quantité de contenus reçus ou développés mais à leur profondeur et à leur assimilation. Il est aussi mauvais d'oublier le besoin d'entrer en soi-même que de tomber dans une introspection excessive, d'où le suivi du conseiller qui, à la façon des maîtres Zen « une tape sur l'épaule » leur rappellera que le moment est venu de passer à l'action et à l'engagement.

Devant l'excès de propositions et de renseignements que recevront les futures générations, il est nécessaire de leur apprendre à « réfléchir » car c'est seulement par cette attitude de fond qu'ils pourront avoir une meilleure connaissance d'eux-mêmes, prendre des décisions et construire leur propre existence.

b. La prière et la vie doivent s'accorder

Pour les Vincentiens, le « travail contemplatif » et le « travail actif », loin de s'opposer, se complètent ; ce sont deux aspects inséparables, comme les deux faces d'une même monnaie. Le jeune engagé a besoin des deux afin que ses relations avec Dieu, avec les autres et avec le monde soient harmonieuses, efficaces au niveau spirituel et apostolique, convaincantes au niveau ecclésial et social. Par conséquent, il faut l'aider à comprendre que « quand on parle de spiritualité active ou d'action, cela veut dire que les sources inspiratrices, les buts à atteindre et les motivations les plus convaincantes à assumer ont leur point de référence dans l'action».

La transformation de notre vie ne peut venir que de Dieu (ne nous trompons pas), de l'expérience de l'Esprit, de l'ouverture de notre être profond à Dieu en nous. Cela suppose aussi l'abandon de notre moi superficiel et du vieil homme qui est en chacun de nous. Alors, de l'eau et de l'Esprit naîtra l'homme nouveau vivifié par l'Esprit de Dieu. Comment apprendrons-nous au jeune cette transformation intérieure si ce n'est pas en lui enseignant à prier. C'est à cela que saint Vincent faisait allusion dans cette phrase célèbre : « Donnez-moi un homme d'oraison, et il sera capable de tout ».

Je partage aussi ces paroles de Karl Rahner car je crois que le laïc, ou bien prend au sérieux ces questions, ou bien a plus de risques de finir englouti par la mentalité du monde. Karl Rahner dit :

 On a déjà dit que le chrétien de l'avenir sera un mystique ou il ne sera pas chrétien. Cette phrase n'est pas correcte et sa vérité et son poids seront plus éclatants dans la spiritualité future lorsqu'on comprendra par mystique non pas les phénomènes parapsychologiques mais une authentique expérience de Dieu qui jaillit du centre de l'existence. La possession de l'Esprit n'est pas une circonstance qui sera seulement enseignée de l'extérieur, d'une manière didactique comme une réalité qui est au-delà de notre conscience existentielle… mais elle sera expérimentée de l'intérieur.

Pour que nos jeunes parviennent à vivre ce niveau de spiritualité, ils ont besoin de commencer par développer progressivement une pédagogie de la prière, l'intégrant dans leur vie quotidienne comme un élément normal. « La prière est un temps passé auprès de Dieu, à l'écoute », les jeunes doivent la découvrir personnellement, en même temps qu'ils développent dans les groupes une sage pédagogie de l'oraison.

Mère Teresa de Calcuta disait par rapport à l'oraison : « Plus on reçoit dans une oraison silencieuse, plus on peut donner dans notre vie active. Nous avons besoin du silence pour pouvoir arriver aux âmes ».

Vous voyez que j'utilise des citations d'autres personnes, de sources non vincentiennes, car une autre caractéristique des jeunes c'est qu'ils apprécient beaucoup cette ouverture, le fait d'être ouverts à l'apprentissage de tout ce qui nous aide à comprendre l'Évangile.

Il est vrai que saint Vincent lui-même parlait de « laisser Dieu pour Dieu », mais il est évident qu'il s'agissait d'autres situations, d'une époque où il semblait excessif de laisser la prière pour la charité. À partir de mon expérience, les jeunes aujourd'hui ont besoin de « rencontrer Dieu pour pouvoir servir », ils ont besoin de récupérer et de découvrir des espaces de rencontre avec Dieu pour que leur service ne soit pas seulement simple activisme.

Certains jeunes disent qu'ils vont bien dans la vie, mais en ce qui concerne la prière, ils ne se centrent pas, ils s'ennuient, ils ne savent quoi faire. Est-il possible qu'un jeune puisse aller bien dans la vie et mal dans la prière ? Il faudrait demander à cette personne si lorsqu'elle lit, conduit ou travaille, elle reste concentrée sur ce qu'elle fait ou si elle pense à autre chose. Il est probable que dans l'affairement de la vie quotidienne, cette personne n'arrive pas à se rendre compte qu'elle a des tensions, qu'elle est dispersée, distraite… mais en réalité on a le même problème lorsque l'on prie que lorsque l'on travaille ou l'on sert les autres, car la personne est la même. Une personne superficielle vit et prie superficiellement. Une personne profonde, vit et prie en plénitude. Je crois que surtout nous, Vincentiens, devons insérer l'oraison comme partie intégrante dans notre vie.

c. Les conseilleurs : maîtres de vie intérieure

Mais honnêtement nous devons reconnaître que beaucoup de choses dont on vient de parler, ne peuvent pas être apprises dans un livre. Comme partout, on acquiert une discipline à travers une école et sous la direction de maîtres connaisseurs des traditions. C'est pourquoi, quelques moyens technologiques que nous ayons, rien ne pourra diminuer, dans nos associations vincentiennes, le besoin de conseillers qui nous introduisent dans les fondements de la spiritualité et qui nous explicitent la façon d'agir pour que les jeunes les assimilent.

Pour compléter les deux points précédents, nous pourrions apporter de nombreuses idées, les adaptant à la réalité à laquelle nous allons nous adresser. Mais je vais énumérer brièvement, d'autres aspects à inclure dans nos programmes afin qu'ils puissent orienter la fonction du conseiller :

    • La création d'un esprit critique, qui rend propice un christianisme mûr

    • La recherche de la cohérence de vie

    • Le pari clair pour le vécu des valeurs vincentiennes qui découlent de l'Évangile et du charisme vincentien

    • Le vécu des valeurs comme résultat d'un choix personnel, discerné, critique, libre et sous une optique humaniste.

    • La créativité liturgique exempte de rites incompréhensibles pour l'homme et la femme actuelle et, à la fois, ouverte à la diversité de cultures.

    • Parier davantage pour la compréhension des fondements de notre spiritualité vincentienne et pour une actualisation de ses contenus adaptés à l'homme d'aujourd'hui et concrétisés par la mise en pratique.

Les personnes développées spirituellement tombent rarement dans l'« activisme ». On fait beaucoup de choses autour d'elles mais c'est parce qu'elles ont réussi à dynamiser le potentiel des autres, l'orientant vers le bien commun et la justice sociale.

4. « Attendre patiemment les fruits » : en guise de conclusion

Pour terminer, je veux rappeler un de ces faits qui nous marquent pour la vie, même si, lorsque nous en sommes témoins, nous n'arrivons pas à comprendre l'importance qu'il aura pour nous. Je me souviens de l'exemple évangélique d'une silencieuse Fille de la Charité que j'ai connue, il y a quelques années à Cuba. Elle servait les pauvres, comme tant d'autres, dans un Hôpital Psychiatrique à la Habana Ancienne, appelé « L'âge d'or ». En contemplant les conditions dans lesquelles elle travaillait et comment elle traitait ces malades, j'ai compris la force de l'oraison et de l'évangile dans sa vie. Je l'ai accompagnée quelques minutes seulement, nous avons échangé à peine quelques mots. Je n'en avais pas besoin, car tout en elle était témoignage, elle ne faisait qu'un avec le pauvre. Elle ne connaîtra jamais l'importance que, grâce à l'Esprit, sa fidélité au service et la force de son geste ont représenté pour moi.

Je suis convaincue que les personnes qui se laissent pénétrer par une spiritualité, en sont porteuses comme s'il s'agissait d'une deuxième nature et elles n'ont pas besoin de trop parler pour se faire comprendre.

Comme conclusion je vous invite à rester sur une citation du P. Miguel Pèrez Flores, C.M. Il disait que la spiritualité des laïcs vincentiens :

 est une spiritualité chrétienne de vie et d'action, inspirée du Christ, évangélisateur et serviteur des pauvres, en harmonie avec l'Église, centrée sur la pratique de la charité comme valeur suprême de l´Évangile, avec une préférence envers les pauvres, spirituelle actuelle, qui rend témoignage, animée des vertus de simplicité, humilité et zèle, attentive aux signes des temps, aux appels de l'Église et aux clameurs des pauvres.

Saint Vincent a eu les dons de la créativité, de l'adaptation et de l'actualisation. Je suis sûre que vous aussi, vous en avez hérité. Et la preuve c'est que vous êtes ici aujourd'hui, venant de réalités très différentes, mais unis par un même zèle apostolique. Demandons à l'Esprit, en ces jours, d'enflammer en nos cœurs le même feu qui a enflammé le cœur de saint Vincent pour que, en tant que Conseillers des Associations Vincentiennes, nous sentions vraiment que « Nous sommes choisis de Dieu comme instruments de son immense et paternelle charité ».

(Traduction : CENTRE DE TRADUCTION - FILLES DE LA CHARITÉ, Paris)

Cf. 1 Rois l9, 9a. 11-16.

Jn 4, 11-15.

Mt 6, 6.

Saint Vincent disait : « le missionnaire ne se mettra trop en peine pour les biens de ce monde, mais jettera tous ses soins en la Providence du Seigneur, tenant pour certain que, tandis qu'il sera bien établi en sa charité et en cette confiance, il sera toujours sous la protection de Dieu et qu'aucun mal ne lui arrivera, ni aucun bien ne lui manquera… » (Coste XII, p. 143).

cf Mt 25, 40.

PEREZ FLORES, Miguel, “Introduction à la spiritualité vincentienne des laïcs » en RAVIVER LA CHARITÉ nº 1, CEME, Salamanca 1997, 77.

Jn 3, 5.

Coste XI, p. 83.

K. Rahner, cité par W. Jager, Trouver Dieu aujourd'hui à travers la contemplation. Narcea, Madrid 1991, p. 57-58.

PEREZ FLORES, Miguel, « Introduction à la spiritualité vincentienne des laïcs », o.c. p. 87.

Coste XII, p. 262.

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