La Congrégation de la Mission au Viêt-Nam

La Congrégation de la Mission au Viet-Nam

Par Gérard Tran Cong Du, C.M.

Missionnaire du Viet-Nam

1. Historique

a. Origine. Au début, il y a soixante-dix ans, la présence des lazaristes au Viet-Nam fut occasionnée par l'arrivée des trois premières Filles de la Charité françaises en 1928 pour servir comme infirmières à l'hôpital de Saïgon, à la demande du vicaire apostolique de Saïgon.

Cependant, de 1928 à 1952, seul un Confrère résida de manière stable au Viet-Nam, comme Directeur des Filles de la Charité.

En 1952, des Confrères, expulsés de Chine, s'établissent à Dalat, à 300 km au nord de Saïgon (Hochiminh Ville). Ils sont 6 (5 prêtres et un frère coadjuteur) et assurent la direction des Filles de la Charité, l'aumônerie de leurs oeuvres, l'aumônerie du Lycée français de Dalat et un foyer d'élèves (où se révélerons plus tard des vocations vincentiennes).

b.Expansion. En 1955, la Maison de Dalat est érigée canoniquement. La Communauté prend en charge les catholiques voisins de la Maison et l'apostolat parmi les catholiques chinois. Une paroisse chinoise est fondée par la suite, avec un Confrère chinois venu d'Italie.

En 1959, la venue d'un Confrère français, puis de plusieurs Confrères vietnamiens au cours des années suivantes, permit de nouvelles extensions. Deux secteurs missionnaires sont ouverts parmi les Montagnards, à 50 et 60 km de Dalat. C'est une des cinquante-trois minorités ethniques du Viet-Nam, assez pauvre et d'origine tout-à-fait différente de celle des Vietnamiens.

Vers la même époque, une Ecole apostolique est ouverte à Dalat pour le recrutement des vocations autochtones.

L'année 1966 est marquée par l'ouverture du Séminaire Interne à Dalat. L'Ecole apostolique est délocalisée et implantée à Tam-Hiêp, à 32 km au Nord de Saïgon. L'établissement accueillera une centaine d'élèves séminaristes et un millier d'externes.

En 1969, les Confrères en activité sont au nombre de 15 (13 prêtres et 2 frères). Ils se trouvent implantés dans deux régions:

- La région de Dalat. La résidence principale des Confrères, avec cinq prêtres et un frère; le Séminaire Interne, le Scolasticat (les étudiants suivent les cours au Collège Pontifical, dirigé par les Jésuites, où est formée l'élite du clergé vietnamien) et un groupe d'aspirants.

Un Confrère vietnamien est chargé d'une petite paroisse vietnamienne et un Confrère chinois responsable d'une paroisse chinoise, avec comme annexe une école primaire chinoise et un dispensaire à 23 km de Dalat.

Deux secteurs missionnaires chez les Montagnards à 50 et 65 Km de Dalat où travaillent quatre Confrères.

- La région de Saïgon. Une École apostolique (à Tam-Hiep, à 32 km de Saïgon) avec une centaine d'élèves séminaristes et une école secondaire. L'aumônerie du "Centre Caritas" des Filles de la Charité de Saïgon.

Par ailleurs, un Confrère de la Province orientale des Etats-Unis assure le soin spirituel des Américains de Saïgon.

c.Vietnamisation. De 1969 à 1975, commence le processus de vietnamisation de la C.M. au Viet-Nam. Les Confrères étrangers s'adonneront désormais à plein temps à la mission "ad gentes" auprès des Montagnards. À part cela, ils assument l'office de Directeur des Filles de la Charité.

Les Confrères vietnamiens seront désormais désignés comme supérieurs des maisons, comme pour l'ensemble de la C.M. Ils s'occuperont directement de la formation des séminaristes, des scolastiques et de la pépinière vincentienne à l'Ecole apostolique.

En 1973-1974, les semailles ont donné la première récolte: quatre étudiants lazaristes ont été ordonnés prêtres sur place, élevant ainsi à 15 le nombre des Confrères disponibles. Aussi la Communauté peut-elle se scinder en trois maisons distinctes dont l'une comprend les missionnaires “ad gentes", la seconde englobe le Séminaire Interne et le Scolasticat à Dalat (le nombre des étudiants en philosophie et théologie s'élève à quarante), la troisième regroupe les Confrères responsables de l'Ecole apostolique dans la région de Saïgon.

d. 1975: Le grand tournant. Le 30 Avril 1975: jour de la "Libération", marque la victoire finale du Viet-Nam Nord et le retrait des Américains. Les deux Viet-Nam, divisés depuis les accords de Genève en 1954, sont réunifiés et dirigés par le Parti communiste. L'incertitude et l'appréhension prévues par les vétérans de Chine deviennent réalité.

Il va de soi que, sous le régime communiste, les prêtres, religieux et religieuses étrangers doivent quitter le pays. L'Ecole apostolique est dissoute et les trois prêtres et le frère de la Maison sont envoyés dans un camp de rééducation; le supérieur y demeure jusqu'à presque 12 ans.

e.1975-1989. La ligne politique du Viet-Nam réunifié dont la dénomination officielle est "République socialiste du Viet-Nam" adopte forcément une attitude d'isolationnisme par rapport à l'Eglise universelle et d'ingérence par rapport à l'Eglise locale.

C'est une période d'attente et d'immobilisme apparent ou réel pour l'ensemble de l'Eglise au Viet-Nam, en premier lieu pour la hiérarchie et les congrégations religieuses. Il s'avère impossible de continuer la mission comme l'ont fait nos Confrères étrangers. Tout contact avec les minorités ethniques est suspect de manoeuvre subversive.

Un grand nombre de séminaristes, chez nous comme ailleurs, découragés par la situation, quittent la Congrégation. Les persévérants, après leur cursus studiorum, attendent sine die l'ordination sacerdotale.

f.1989. La "Pérestroïka" en URSS, qui prélude au changement du régime en URSS et par la suite à l'éclatement du bloc communiste dans les pays de l'Europe de l'Est, a des répercussions inévitables sur le Viet-Nam, pays satellite de l'URSS.

Une certaine ouverture se fait donc sentir dans les relations du régime avec l'Eglise.

g.1990. Reprise modeste de la Mission et du recrutement. Le gouvernement provincial accorde la permission à deux Confrères, dont un prêtre et un diacre, de fonder une paroisse missionnaire dans la région où nos Confrères étrangers avaient missionné avant 1975 et qui est devenue “nouvelle zone économique”.

En 1991, est érigée la paroisse de Kadeune avec 50% de chrétiens vietnamiens et 50% de Montagnards. En 1995, a lieu la fondation d'une seconde paroisse missionnaire, à 4 km de la précédente. Elle est animée par le diacre susmentionné qui entre-temps a été ordonné prêtre. La majorité des chrétiens de cette paroisse est montagnarde: la paroisse de Próh dont l'église a été solennellement dédicacée par l'évêque de Dalat en 1997, avec plus de 80 prêtres concélébrants et une foule nombreuse de plus de 5000 fidèles venus de partout.

En même temps, de jeunes candidats de divers endroits, recommandés par leurs curés ou présentés par les Filles de la Charité, demandent à entrer dans la C.M. Après un temps de probation, ils sont admis comme postulants où ils font une première connaissance de la Compagnie. Au bout du postulat qui s'étale sur un an, ils entament le premier cycle des études (la philosophie) qui dure trois ans avant de s'engager dans l'étape importante du Séminaire Interne. Il va sans dire que tout ce programme de formation se déroule dans la clandestinité, bien que tout le monde soit au courant! Pour le moment, les autorités semblent fermer les yeux et laisser faire.

2. Situation actuelle

De 1992 à 1997, nous avons eu quatre ordinations sacerdotales qui élèvent le nombre total des Confrères prêtres à 10. En outre, deux diacres sont en attente et un confrère incorporé.

Les Confrères sont répartis en trois maisons et quatre lieux de résidence:

- Dalat: maison principale où résident 8 Confrères dont un diacre et où sont organisées les études pour 21 séminaristes de premier cycle, avec le concours de professeurs du dehors. Les Confrères prennent en charge 3 petites paroisses de la ville.

- Kadeune-Próh: secteur missionnaire avec deux paroisses rurales à 50 km de Dalat, confiées à deux prêtres et un diacre.

- Tuc Trung: à 90 km au Nord de Saïgon, dans une zone à grande majorité catholique peuplée par les anciens réfugiés du nord et où abondent les vocations religieuses et sacerdotales. Là se trouvent le postulat et le Séminaire Interne avec un prêtre, un Confrère incorporé et un frère coadjuteur.

- Saïgon: un théologat a été récemment ouvert pour héberger 20 séminaristes du second Cycle qui suivent les cours de théologie dans un institut inter-congrégations regroupant environ 200 étudiants appartenant à diverses familles religieuses. Parmi les nôtres, il est à signaler un médecin dermatologiste de 42 ans nouvellement converti du bouddhisme.

3. Perspectives de la C.M. au Viet-Nam

Il est clair que nos perspectives ne peuvent être que des aspirations. Leurs réalisations dépendent avant tout de l'assouplissement de la politique actuelle du pays qui se définit principalement socialiste, mais fortement teintée de communisme, du moins dans le domaine religieux.

Tant que le régime adopte comme principe le droit de surveiller et de régir tous les domaines de la vie politique, culturelle et religieuse, un programme concret et à long terme est impossible. Cependant nous travaillons dans deux directions complémentaires:

a. La formation. Préparer nos jeunes à l'évangélisation des pauvres, même si la perspective de l'ordination sacerdotale est imprévisible. Nos jeunes doivent toujours avoir en tête et accepter le fait que la réception des ordres sacrés ne dépend pas seulement des décisions de la C.M. mais surtout du gouvernement, pour pouvoir exercer en public le ministère sacerdotal. L'ordination clandestine comporte trop de risques et réduit au minimum les activités pastorales. Cependant, une lueur d'espoir se fait voir: quelques-uns de nos étudiants ont été récemment reconnus comme religieux vincentiens par le comité des affaires religieuses de plusieurs provinces.

Après l'ouverture du Viet-Nam effectuée en 1989, les vocations sacerdotales et religieuses fleurissent. Mais nous craignons que l'éventualité d'une baisse des vocations ne se fasse sentir dans un proche avenir, vu les conséquences sur la vie chrétienne causées par le capitalisme et l'économie de marché, ainsi que cela est arrivé dans les pays d'Europe de l'Est.

Il faut signaler également que le manque de formateurs formés constitue un problème préoccupant. La plupart de nos Confrères ont été ordonnés sous le régime actuel et de ce fait n'ont pas reçu une formation complète pour devenir à leur tour des accompagnateurs à même d'assumer cette tâche importante, à savoir la formation spirituelle et vincentienne des nôtres. La Province de Paris essaie de remédier à cette lacune en faisant venir les Confrères à Paris pour participer aux sessions de formation vincentienne du C.I.F. Cependant le manque de maîtrise de la langue constitue un handicap non négligeable et l'obtention du visa de sortie est encore très ardue.

b. La mission. Dans l'esprit de la vocation vincentienne, nous désirons réaliser la fin de la C.M., à savoir suivre le Christ évangélisateur des pauvres, qui est l'affirmation primordiale de nos Constitutions. Nous faisons nôtre l'affirmation de nos Constitutions (1, § 2): "s'appliquer à l'évangélisation des pauvres, surtout les plus abandonnés”. Or, il n'y a pas de doute que, dans le passé comme dans le présent, au Viet-Nam, les plus pauvres et les plus abandonnés sont les minorités ethniques et cela sur tous les plans.

Nous optons donc en priorité pour l'évangélisation des Montagnards, en fidélité à l'article 16 de nos Constitutions et en continuité avec l'option de nos aînés obligés à laisser le terrain de la mission en friche pour partir en 1975.

Dans ce choix prioritaire, nous sommes fortement soutenus et encouragés par notre excellent évêque, animé d'un grand zèle missionnaire à l'égard des Montagnards et qui pousse ses jeunes prêtres à étudier leurs langues, leur culture et à les évangéliser. Lui-même parle un de ces dialectes montagnards.

Toutefois, nous reconnaissons que notre option est entravée par les "circonstances de temps et de lieux", même si nous sommes "attentifs aux signes des temps et aux appels pressants" de l'Eglise au Viet-Nam (C. 2).

Nous attendons dans la foi et l'espérance l'heure de la Providence qui nous permettra de réaliser notre option selon notre charisme vincentien, à savoir d'être le plus possible "au plus près des plus loin". Qui sait si, au prochain millénaire, les fils de Saint Vincent au Viet- Nam seront assez nombreux pour essaimer dans d'autres régions des hauts-plateaux peuplées d'autres minorités ethniques, encore plus démunies et plus délaissées, pour leur apporter la charité et la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, l'unique Sauveur du genre humain.

Unis dans le même esprit vincentien et la même foi au Christ, nous voudrions confier nos aspirations à la prière de nos Confrères et de nos chers lecteurs et lectrices répandus à travers le monde.