Ratio Missionum - Texte

RATIO MISSIONUM

Or sus, demandons à Dieu qu'il donne à la Compagnie cet esprit, ce cœur, ce cœur qui nous fasse aller partout, ce cœur du Fils de Dieu, cœur de Notre-Seigneur, cœur de Notre-Seigneur, qui nous dispose à aller comme il irait et comme il serait allé, si sa sagesse éternelle eût jugé à propos de travailler pour la conversion des nations pauvres. (SV XI, 291).

Introduction

Se mettre à la suite du Christ, Évangélisateur des Pauvres (C. 1), c'est le moteur même dissimulé derrière notre vocation missionnaire vincentienne. Ce fut la rencontre inattendue des plus délaissés, dans des endroits comme Folleville et Châtillon qui forcèrent saint Vincent à modifier sa compréhension des Évangiles et l'amenèrent à une relation de plus en plus profonde avec le Christ, le Missionnaire du Père. Aidé par des personnages comme Pierre de Bérulle, François de Sales et André Duval, il devina peu à peu dans quelle direction l'Esprit entendait le voir mener sa vie et parvint graduellement à reconnaître qu'il était appelé à participer à la Mission de Jésus pour évangéliser et servir les pauvres.

Les premiers membres de la Congrégation partagèrent le regard porté par Vincent sur l'Évangile. Inspirés par son exemple et sensibles à la résonance dans leur propre vie de son charisme, ils s'assemblèrent autour de notre Fondateur en vue de réaliser leur vocation de se mettre à la suite de Jésus comme évangélisateurs des pauvres. Vincent leur dit: Nous sommes en cette vocation fort conformes à Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui, ce semble, avait fait son principal, en venant au monde, d'assister les pauvres et d'en prendre le soin. (SV XI, 108).

Alors que le charisme de base de la Congrégation de la Mission était parfaitement clair dès les premiers jours de sa fondation, les structures et les ministères qui découlèrent de l'inspiration originale de Vincent ne se développèrent que lentement. Les événements, les besoins urgents et les sollicitations pressantes mirent constamment les premiers Vincentiens au défi d'élargir leur manière de comprendre comment il leur faudrait vivre leur vocation. Le groupe des missionnaires qui furent les pionniers en cette matière exprimèrent leur charisme sous la forme de missions populaires prêchées dans la campagne. Au bout de très peu d'années ils eurent à assumer le travail de formation du clergé. Puis graduellement, les missionnaires débordèrent les frontières de la France pour aller au secours des Églises locales de l'Italie, de l'Irlande, de l'Ecosse et de la Pologne, et jusqu'aux petits groupes d'esclaves chrétiens d'Afrique du Nord. En 1648 Vincent, reconnaissant que les missions ad gentes représentaient une autre façon très importante de vivre notre vocation missionnaire, envoya le premier de six groupes à Madagascar.

Vincent a fréquemment réfléchi sur ces développements, dans ses conférences et dans ses lettres dans lesquelles on peut noter un progrès dans son appréciation de la place des missions étrangères dans la vie de la Compagnie. Qu'heureuse, ô qu'heureuse, leur disait-il, est la condition du missionnaire qui n'a point d'autres bornes de ses missions et de ses travaux pour Jésus-Christ que toute la terre habitable! Pourquoi donc restreindre à un point et nous prescrire des limites, puisque Dieu nous a donné une telle étendue pour exercer notre zèle? Dans une autre occasion il fait la remarque suivante: Que veut dire missionnaire? C'est à dire envoyé. Oui, mes frères, missionnaire veut dire envoyé de Dieu, et c'est à vous que Notre-Seigneur a dit: Allez dans le monde entier et prêchez l'Évangile à toute créature (SV XII, 27). À un groupe de missionnaires envoyés à Madagascar, il affirme: Selon les règles de notre Institut, nous sommes obligés de travailler au salut des âmes là où Dieu nous appellera, et par-dessus tout, dans les endroits où le besoin est plus grand et où les ouvriers de l'Évangile font défaut et, sachant qu'aux Indes, spécialement dans les îles de Madagascar... on manque beaucoup d'ouvriers alors que la moisson est abondante... nous vous destinons et envoyons à ces gens sur lesdites îles et autres endroits des Indes pour que, selon la fonction de notre Institut, vous puissiez vous dévouer au salut des âmes de toutes vos forces et avec l'aide de la grâce de Dieu (SV XIII, 314).

Dans un moment d'enthousiasme, Vincent exprima à Charles Nacquart sa grande estime pour les missions à l'étranger: il n'y a condition que je souhaitasse plus sur la terre, s'il m'était loisible, que celle de vous aller servir de compagnon à la place de M. Gondrée (SV III, 285). Vers la fin de sa vie, en décembre 1658, il lança un appel passionné en faveur d'un maintien des ministères qui s'étaient développés dans la Congrégation, spécialement en faveur des missions à l'étranger. Ses arguments pour les défendre consistaient à souligner qu'elles répondaient à notre vocation fondamentale, celle d'évangéliser les pauvres. Il mit ses confrères en garde contre la tentation de ceux qui chercheraient à négliger ou à abandonner les missions difficiles à cause de la distance, du manque de personnel, d'une perte de l'esprit missionnaire. Il y aura, disait-il, des gens mitonnés, des gens qui n'ont qu'une petite périphérie, qui bornent leur vue et leurs desseins à certaine circonférence où ils s'enferment comme en un point ; ils ne veulent sortir de là. (SV XII, 92).

Au cours des siècles la Congrégation de la Mission s'est efforcée de rester fidèle à l'héritage que St. Vincent nous a laissé sur les missions étrangères. En vue de répondre aux demandes des Églises locales et de la Congrégation pour la Propagation de la Foi, des missionnaires sont partis pour l'Asie, l'Océanie, l'Afrique et les Amériques. Sous l'inspiration du charisme Vincentien, des confrères célèbres, tels Sts Justin de Jacobis, Jean Gabriel Perboyre et François Régis Clet, et bien d'autres missionnaires moins connus ont consacré leur vie à prêcher l'Évangile dans des pays de cultures nouvelles. Le même charisme missionnaire Vincentien est encore vivant dans le cœur des membres de la Congrégation de la Mission en ce début du XXIe siècle. Cette “Ratio Missionum” a pour but d'offrir des conseils destinés à aider ceux qui sont appelés à servir dans les missions à l'étranger. Ils ont été rédigés à la lumière des nombreux changements survenus dans l'Église et dans le Monde au cours des années récentes.

I. La Situation PrÉsente: un Monde nouveau et différent

Un nouveau monde est en train de naître. Il n'a pas encore revêtu sa forme définitive car il est en train de lutter pour émerger de la masse des restes d'un âge précédent. Comme cela se passe pour toutes les sociétés humaines, ce nouveau monde comporte des éléments positifs et des éléments négatifs, des valeurs et des contre-valeurs. C'est dans ce milieu que les missionnaires d'aujourd'hui sont appelés à porter la Bonne Nouvelle. Voici quelques-uns des aspects de ce futur en train de naître:

1.1La réalité de la pauvreté et l'aspiration à la justice

Une nouvelle situation économique se développe sous nos yeux, Elle est due aux avancées technologiques, à des communications rapides, à la mise en œuvre de nouveaux moyens de production, à des accords commerciaux, et à bien d'autres facteurs. La mondialisation de l'économie affecte toutes les sociétés et continuera à le faire dans le futur prévisible. Ces changements ont créé, en faveur de quelques pays et de petits groupes d'habitants dans beaucoup de nations, une richesse sans précédents.

Mais, pour de larges secteurs du monde, cette nouvelle situation économique ne s'est pas concrétisée en gains positifs. Plus d'une économie nationale s'est tellement endettée qu'elle est devenue insolvable. Des pays entiers sont restés en arrière dans la course à la mondialisation parce qu'ils manquent soit des matières premières soit des produits agricoles et industriels recherchés dans les marchés internationaux. Pratiquement, ce qu'on appelle l'économie libre de marché est dominée par les pays riches qui contrôlent l'accès au marché, ainsi que le capital et la technologie nécessaires pour y participer.

Les deux tiers du monde vivent encore dans la pauvreté. Chaque jour vingt-huit mille personnes meurent de faim, sans mentionner les millions de gens chroniquement dénutris. Des pourcentages incroyables de la population de certains pays sont infectés par le virus du Sida, de la malaria, et d'autres maladies mortelles. La plus grande partie du monde est encore dans l'incapacité de bénéficier de soins médicaux, d'une éducation, d'eau potable ou bien se trouve privée des moyens de satisfaire ces besoins et tant d'autres besoins humains de base. Cette description nécessairement très générale recouvre des personnes réelles et des familles qui souffrent.

Au milieu de ce tableau plutôt décourageant on découvre quelques signes d'espoir. On a pris une plus grande conscience, au moins en théorie, de la valeur de la personne humaine. C'est dans cet effort pour favoriser le respect de la valeur de la personne humaine que s'est incarné un des combats les plus importants de notre époque. Dans presque tous les pays, il s'est formé des groupes en vue de promouvoir et de protéger les droits humains, les libertés civiles et la participation de tous en matière de politique. Des individus, de petits groupes et des peuples entiers s'efforcent de créer les structures économiques et politiques justes qui permettront le développement de la personne humaine. Tous ces détails sont des signes annonçant un nouveau monde en train d'émerger.

1.2Réaffirmation de la diversité culturelle

L'anthropologie et la sociologie ont souligné l'importance de la culture dans la vie des individus et des communautés. La culture fournit le contexte au sein duquel les êtres humains comprennent le monde et s'y insèrent. C'est un système de modèles hérités du passé et fournissant des significations et des comportements capables d'orienter un groupe ou une société. Cela implique des symboles, des mythes, des croyances, des règles de conduite qui se transmettent formellement ou informellement dans une société. C'est la culture qui définit la façon d'apprendre, de vivre et d'agir en relation avec les autres.

Un des résultats valables de la disparition du vieux système colonial c'est que les peuples récemment libérés ont exigé le respect de leurs cultures. Une des conséquences de cet événement a été une prise de conscience de la diversité des cultures et de la signification de cette diversité. Le droit de tout peuple à développer sa propre culture n'est venu à la conscience de la majorité des hommes que récemment. Cette prise de conscience a été à l'origine de nouvelles possibilités de relations respectueuses et sensitives entre peuples de cultures différentes.

Ce n'est pas sans difficultés et sans échecs que l'affirmation de la diversité culturelle a réussi à émerger. Toutes les cultures entrent en interaction dès que des populations venues de sociétés différentes se rencontrent. Les visions différentes de la réalité, et ¯ encore plus ¯ des intérêts, sont la cause de nombreuses incompréhensions et de fréquents conflits, tant entre personnes individuelles qu'entre peuples. Ce n'est pas tout le monde qui accepte de reconnaître aux autres le droit de développer leur propre culture. Un tel refus a abouti à la marginalisation de certaines cultures et à la domination de certaines autres.

1.3Renouveau religieux

Dans plusieurs parties du monde, une culture postmoderne est en train de naître ou même existe déjà, souvent en réaction contre les promesses actuelles non tenues d'un progrès, d'une égalité, d'une insertion. Cette nouvelle culture met en question les prétentions de la société contemporaine et la confiance que celle-ci met en la rationalité humaine. Elle prêche l'individualisme. Elle se sent mal à l'aise dans les structures établies. Elle se méfie des promesses des gens au pouvoir, que ce soit dans le civil ou dans le religieux. Elle provoque un désintérêt pour les processus traditionnels aux niveaux social, politique et religieux.

Toutefois, bien que le post-modernisme, le sécularisme et l'individualisme aient eu une influence sur la religiosité de nombreuses populations à travers le monde, il est parallèlement évident que dans beaucoup de pays on assiste à un regain religieux. Les riches liturgies africaines, la focalisation de l'attention sur le dialogue inter-religieux et la prière contemplative en Asie, la naissance des Communautés Ecclésiales de Base et des mouvements en vue de promouvoir la libération des pauvres d'Amérique Latine, la naissance de nouvelles communautés religieuses en Europe, et la croissance du rôle ministériel actif des laïcs en Amérique du Nord témoignent de cette tendance au sein de l'Église Catholique. La croissance rapide du nombre de Chrétiens Evangéliques est, elle aussi, le signe d'une soif d'expression religieuse. La résurgence de l'Islam, l'expansion du Bouddhisme et un intérêt renouvelé pour l'Hindouisme sont, également, des manifestations d'un nouvel intérêt religieux. Très fréquemment, ce renouveau religieux a revêtu la forme du fondamentalisme, mais cependant, cet événement attire l'attention sur une recherche du sens et un désir d'une union plus profonde avec le Divin.

Ce renouveau religieux a eu une profonde influence sur les missionnaires. Dans certains cas, il a provoqué des tensions et des divisions. Mais il a été aussi une occasion de réflexion et de maturation. Il a rendu possible une réflexion approfondie sur les valeurs présentes dans les autres religions, et il a rappelé le besoin croissant d'un dialogue inter-religieux. Cela a évidemment soulevé des questions sur la nature de l'évangélisation et sur le rôle des missionnaires.

1.4Des Réalités régionales différentes

1.4.1L'Hémisphère Sud (Afrique et Amérique Latine)

Les pays de l'Hémisphère Sud en Afrique et en Amérique Latine ont en commun un certain nombre de caractéristiques et ont fréquemment été classés dans le Tiers Monde. Tout le monde sait que ces deux continents ont eu un passé colonial. Ils ont aussi en commun de souffrir d'une grande pauvreté dans de larges secteurs de la population à cause de facteurs sociaux, économiques et politiques qui sont souvent le fruit de structures injustes. Dans ces deux continents les gouvernements ont fréquemment été instables et corrompus.

L'Amérique Latine est un continent dont la culture a été fortement influencée par l'Église Catholique, bien que, au cours des décennies récentes, les "Chrétiens Evangéliques" y aient fortement fait sentir leur présence. L'Église Catholique a consenti de grands efforts, non sans conflits, pour éliminer la disparité entre les riches et les pauvres. Elle a lutté pour incarner et concrétiser son option fondamentale en faveur des pauvres.

En Afrique l'Église est dynamique et forte, mais en même temps elle se voit mise au défi par des sectes fondamentalistes et par la croissance de l'Islam. Dans certains pays, de larges portions de la population appartiennent aux religions traditionnelles. De violents conflits, internationaux et régionaux, la progression du SIDA et de la malaria et de monstrueux niveaux de pauvreté continuent à affliger le continent.

1.4.2Asie et Océanie

Il arrive que l'on classe l'Asie parmi les pays du Sud parce que certaines nations ont le même niveau économique et les mêmes difficultés politiques que l'Afrique et l'Amérique Latine. Toutefois, de bien des manières, la situation de l'Asie et de l'Océanie est unique. Les anciennes grandes religions de l'Asie dominent l'horizon social et culturel. Les Catholiques sont une petite minorité, sauf dans quelques rares endroits comme les Philippines, le Liban, le Kerala, Timor, et les Tamils. Se trouvant en situation minoritaire dans un monde de cultures et de religions variées d'une part, un monde où la pauvreté revêt d'innombrables aspects d'autre part, l'Église est mise au défi de travailler à la promotion de la dignité de la personne humaine en tant que condition de base pour fonder cette notion de bien-être commun des populations. L'Église d'Asie s'efforce de bâtir une communauté humaine accueillante aux personnes de toutes les religions, de tous les groupes ethniques et socio-économiques. En certains endroits, comme le Vietnam et la Chine, une Église vivante survit, en dépit des nombreuses restrictions en matière de liberté.

1.4.3L'Hémisphère Nord (Europe et Amérique du Nord)

Les pays de l'Atlantique Nord, souvent nommés le Premier Monde, dominent l'économie mondiale par leur richesse, leurs avancées technologiques et leurs ressources militaires. En dépit d'une prospérité croissante, l'abîme entre riches et pauvres ne cesse de s'y creuser parallèlement. Tandis que la liberté et la dignité humaine y sont grandement estimées, l'individualisme, la dépersonnalisation, le consumérisme et la sécularisation y sont tous aussi présents.

L'Europe est une vaste région, s'étendant de l'Atlantique à l'Oural. Côte à côte avec les pays très développés de l'Ouest, elle inclut aussi les pays membres de l'ex bloc Soviétique de l'Europe de l'Est. Ces derniers pays ont leurs propres difficultés sociales, politiques et économiques, partiellement héritées de leur passé Communiste et partiellement créées par la récente interaction avec une économie de libre marché.

Pendant des siècles, l'Europe a envoyé des missionnaires à travers le monde. Aujourd'hui les missionnaires de ce type se font rares et le continent qui a été séculairement le cœur de la Chrétienté est maintenant considéré comme ayant bien besoin d'une nouvelle évangélisation.

Au cours du dernier siècle, l'Amérique du Nord a, elle aussi, envoyé de nombreux missionnaires à l'étranger. Mais de nos jours l'Église d'Amérique du Nord se trouve à un stage différent de développement et, bien que la pratique religieuse y demeure forte, l'Église là-bas commence à ressentir des difficultés semblables à celles de l'Europe.

Les Églises de l'Hémisphère Nord sont confrontées au défi que représente la prédication de l'Évangile au milieu du poids de la richesse et d'une influence globale. Une partie du défi consiste à trouver des moyens de mettre l'argent, le pouvoir et la technologie au service d'une société juste.

II. Un Nouveau Paradigme Missionnaire

Le Concile Vatican II a eu une profonde influence sur la façon dont l'Église perçoit aujourd'hui sa mission dans le monde. Les Pères du Concile, tout particulièrement dans les documents Lumen Gentium, Gaudium et Spes et Ad Gentes, ont ouvert à l'Église de nouvelles directions et poussé à développer un nouveau modèle pour la mission. Le nouveau paradigme de la mission, encore en voie de mise au point et de développement, envisage l'Église comme une communion d'Églises locales unies à Rome, chacune préoccupée de rendre service aux autres. Vu dans cette perspective, l'effort missionnaire devient multidirectionnel. Plutôt que d'envisager des Églises établies préoccupées d'envoyer du personnel à ce qu'on nomme aujourd'hui les jeunes Églises, le nouveau paradigme considère les multiples contextes pour l'évangélisation. L'évangélisation est désormais vue comme commençant dès qu'un missionnaire quitte sa propre culture et entreprend de traverser une frontière humaine (que celle-ci soit géographique ou sociale) en vue d'annoncer l'Évangile au sein d'une nouvelle culture. Le missionnaire non seulement proclame le mystère du Christ mais est lui-même évangélisé par le fait même qu'il accompagne d'autres personnes dans leur processus de découverte de l'Esprit du Seigneur agissant déjà dans une Église ou une culture locale.

Parmi les éléments présents dans le nouveau paradigme missionnaire, quatre méritent d'être soulignés:

2.1Évangélisation

L'Encyclique Evangelii Nuntiandi (EN 27) décrit le contenu de l'évangélisation de la manière suivante: “L'Evangélisation contiendra aussi toujours - base, centre et sommet à la fois de son dynamisme - une claire proclamation que, en Jésus-Christ, le Fils de Dieu fait homme, mort et ressuscité, le salut est offert à tout homme, comme don de grâce et miséricorde de Dieu... un salut qui a certes son commencement en cette vie mais qui s'accomplit dans l'éternité.” Redemptoris Missio (RM 11) ajoute: « Nous savons que Jésus est venu apporter le salut intégral qui saisit tout l'homme et tous les hommes, en les ouvrant à la perspective merveilleuse de la filiation divine.” Le même document, s'arrêtant sur l'activité missionnaire de l'Église, affirme (RM 44): “L'annonce a, en permanence, la priorité de la mission… Toutes les formes de l'activité missionnaire tendent à cette proclamation qui révèle le mystère caché depuis les siècles et dévoilé dans le Christ (cf. Eph 3, 3-9; Col 1, 25-29), mystère qui est au cœur de la mission et de la vie de l'Église, qui forme le pivot de toute l'évangélisation ».

Jésus a annoncé la venue du royaume de Dieu. L'Esprit du Seigneur est sur moi parce qu'il m'a conféré l'onction pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. II m'a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté, proclamer une année d'accueil par le Seigneur. (Lc 4:18-19). La Bonne Nouvelle qu'il a prêchée, c'était la présence de ce Royaume en sa personne et en son ministère, et elle s'adressait à la personne humaine à tous ses niveaux pour que nous devenions une nouvelle création. Paul VI a écrit dans Evangelii Nuntiandi (EN 9): Comme noyau et centre de sa Bonne Nouvelle, le Christ annonce le salut, ce grand don de Dieu qui est libération de tout ce qui opprime l'homme, mais qui est surtout libération du péché et du Malin… Ce Royaume, le règne de Dieu dans nos vies, transforme le monde par la vérité, la liberté, l'amour, la justice et le pardon, et il dirige nos regards vers un futur qui n'est pas encore là.

L'Église, la communauté des disciples de Jésus, poursuit sa mission évangélisatrice. L'Église ne se confond pas avec le Royaume, mais ne peut pas en être séparée. L'Église est... au service du Royaume (RM 20). Elle proclame la Bonne Nouvelle du Royaume en paroles et en actes, exactement comme fit Jésus. Le but de cette proclamation c'est que les gens puissent rencontrer le Christ. Et grâce à cette rencontre arriver à la plénitude de la vie.

La proclamation du Royaume implique la communication. La Bonne Nouvelle peut être communiquée de bien des façons, comme Paul VI l'a souligné dans Evangelii Nuntiandi. Un moyen fréquent, c'est la communication verbale - la prédication, la catéchèse, les œuvres éducatives, le partage de l'Écriture Sainte, la réflexion théologique. Les médias modernes nous fournissent une grande variété d'instruments - la radio, la télévision, Internet, les livres, les journaux, les magazines.

Mais la proclamation se fait aussi par des voies non-verbales. Sacrements et sacramentaux jouent un rôle essentiel. Les arts (peinture, sculpture, musique, danse, films, théâtre, et architecture) sont d'autres voies par lesquelles peut passer la communication du message de Jésus.

L'homme contemporain croit plus les témoins que les maîtres, l'expérience que la doctrine, la vie et les faits que les théories (RM 42). L'Évangélisation, un processus qui commence par la proclamation, inaugure un genre de vie dans lequel les valeurs de l'Évangile sont mises en pratique. Le message prêché devient un message vécu, un mode de vie témoignant en faveur de la Bonne Nouvelle. Les méthodes pour transformer l'Évangile en action Chrétienne sont illimitées. Œuvres de charité, lutte pour la justice, promotion des droits de l'homme, fondation de communautés, projets en faveur du développement humain sont quelques-unes de ces possibilités.

Redemptoris Missio envisage trois situations possibles pour réaliser la mission évangélisatrice de l'Église. La première, c'est ce que l'on a appelé les missions ad gentes. À parler strictement, les missions ad gentes sont celles dans lesquelles l'Évangile est prêché à des gens qui n'en ont jamais entendu parler. C'est ce qu'on appelle parfois la première évangélisation. La deuxième situation est celle des régions où la communauté chrétienne est déjà établie, mais a besoin d'être fortifiée. Le dernier cas est celui des populations qui jouissent d'une longue tradition chrétienne, mais au milieu desquelles vivent des groupes qui n'ont jamais encore été efficacement confrontés à la Bonne Nouvelle. Dans ce troisième contexte, le Pape Jean Paul II mentionne le besoin d'une nouvelle évangélisation: nouvelle dans son ardeur, dans ses méthodes et dans son expression. L'Encyclique Redemptoris Missio, dans sa description de ces trois situations différentes, souligne aussi que, pratiquement, il est souvent difficile de maintenir ces distinctions claires.

2.2L'Inculturation

L'intérêt porté à la culture et à l'inculturation de l'Évangile est une priorité importante aux yeux de l'Église. Le Pape Paul VI affirme dans Evangelii Nuntiandi (EN 20): La rupture entre Évangile et culture est sans doute le drame de notre époque, comme ce fut aussi celui d'autres époques. La culture est le contexte à travers lequel les gens comprennent le monde. Cela inclut tout un spectre d'idées, de croyances, de symboles et de valeurs partagées par les gens. Tout ce que l'on a appris, y compris le message de l'Évangile, est affecté par cette culture. Il est impossible qu'un peuple soit vraiment évangélisé à moins que ce ne soit dans le contexte de sa culture.

Le monde moderne a pris conscience de la diversité culturelle. Les cultures ne sont pas des entités statiques, isolées. Elles changent et se développent. Toutes les cultures possèdent des valeurs et des contre-valeurs. Les cultures sont constamment en contact les unes avec les autres. Ces rencontres peuvent être mutuellement enrichissantes, mais elles peuvent aussi prendre des formes conflictuelles.

La réalité du pluralisme culturel a influencé le nouveau paradigme missionnaire. Vatican II a affirmé que:

L'Église, envoyée à tous les peuples de tous les temps et de tous les lieux, n'est liée d'une manière exclusive et indissoluble à aucune race ou nation, à aucun genre de vie particulier, à aucune coutume ancienne ou récente. Constamment fidèle à sa propre tradition et tout à la fois consciente de l'universalité de sa mission, elle peut entrer en communion avec les diverses civilisations: d'où l'enrichissement qui en résulte pour elle-même et pour les différentes cultures (Gaudium et Spes, 58).

La difficulté pour les missionnaires, c'est que, bien que l'Évangile ne soit identifié à aucune culture particulière, il est toujours communiqué par le truchement de la culture. L'évangélisation missionnaire, par conséquent, implique toujours une rencontre de cultures. Il est arrivé que des missionnaires aient confondu la Bonne Nouvelle de Jésus avec la manière dont leur propre culture avait incarné le message de Jésus. Ils ont imposé leur propre culture en même temps que l'Évangile.

Le paradigme missionnaire d'aujourd'hui souligne l'importance d'une communication de l'Évangile passant par le langage de la culture locale. Le Pape Paul VI l'exprimait comme suit: Il importe d'évangéliser - non pas de façon décorative, comme à travers un vernis superficiel, mais de façon vitale, en profondeur et jusque dans leurs racines - la culture et les cultures de l'homme, dans le sens riche et large que ces termes ont dans Gaudium et Spes, partant toujours de la personne et revenant toujours aux rapports des personnes entre elles et avec Dieu. (EN 20). De cette façon l'Évangile imprègne la culture et s'incarne en elle. Cela crée un dynamisme qui permet à la parole de Dieu de transformer la culture en promouvant des valeurs déjà présentes en elle, tout en mettant en question ce qui n'est pas de Dieu dans cette culture et ce qui viole la personne humaine.

Le missionnaire ne franchit pas que des frontières géographiques; il franchit aussi des frontières culturelles pour annoncer l'Évangile de Jésus Christ. L'inculturation de l'Évangile ne consiste pas uniquement en une traduction de propositions théologiques dans une langue différente, comme si la Bonne Nouvelle n'était rien de plus qu'un ramassis d'idées à apprendre par cœur. C'est une communication du message du Royaume en paroles et en actions, faite de telle sorte que les gens puissent rencontrer la personne du Christ et devenir ses disciples.

Les missionnaires, tout en demeurant fidèles au message de l'Évangile, doivent aussi s'efforcer de découvrir les germes du Verbe dans la culture locale. L'inculturation est un processus long et difficile. Elle exige étude et réflexion. Elle demande le dialogue, le respect et l'humilité. Elle implique que l'on ait pris conscience lucidement des valeurs de sa propre culture, des réponses données et des préjugés acquis, avec - en plus - une bonne compréhension du contexte local. La rencontre entre cultures qui accompagne toute évangélisation peut être mutuellement enrichissante, mais cela, uniquement si le dialogue est entrepris dans une atmosphère de respect, d'ouverture et de délicatesse.

2.3Une Église polycentrique

Une conséquence logique d'une inculturation de l'Évangile est la reconnaissance qu'il existe plusieurs manières de vivre sa foi en Jésus. L'Encyclique Evangelii Nuntiandi le souligne:

L'Église universelle s'incarne de fait dans les Églises particulières constituées, elles, de telle ou telle portion d'humanité concrète, parlant telle langue, tributaire d'un héritage culturel, d'une vision du monde, d'un passé historique, d'un substrat humain déterminé. L'ouverture aux richesses de l'Église particulière répond à une sensibilité spéciale de l'homme contemporain (EN 62).

L'alternative, nous voulons dire: une approche centrée sur la culture occidentale ou sur toute autre culture particulière, rendra impossible l'accomplissement de la mission évangélisatrice de l'Église.

Le nouveau paradigme missionnaire met sur les épaules des Églises locales une grande responsabilité en matière d'évangélisation. La plus grande part de l'initiative et de la créativité, lorsqu'il s'agit de trouver les meilleures façons d'inculturer l'Évangile et la pratique de la foi doivent venir des communautés chrétiennes locales. Le paradigme envisage une communion d'Églises locales se soutenant l'une l'autre, comme égales, grâce à un partage des préoccupations et une réponse à leurs besoins mutuels. Le flux des missionnaires ne se dirige donc pas du Nord au Sud: il est multidirectionnel.

L'Église polycentrique vit au sein d'une communion grâce à sa foi en la personne de Jésus, aux liens de charité qui unit ses membres entre eux, et grâce enfin à une structure ecclésiale unifiante - le collège des évêques, en union avec Pierre, qui continue le ministère enseignant, gouvernant et sanctifiant de Jésus. L'Église Catholique est à la fois une et universelle. Elle est un signe d'unité dans la diversité. Le Pape Paul VI affirmait dans Evangelii Nuntiandi:

Gardons-nous bien de concevoir l'Église universelle comme la somme, ou, si l'on peut dire, la fédération plus ou moins hétéroclite d'Églises particulières essentiellement diverses. Dans la pensée du Seigneur c'est l'Église, universelle par vocation et par mission, qui, jetant ses racines dans la variété des terrains culturels, sociaux, humains, prend dans chaque portion du monde des visages, des expressions extérieures diverses. (EN 62).

Le rôle du Collège des évêques, en union avec l'évêque de Rome, est de promouvoir l'unité de l'Église, mais une unité dans la diversité. La concrétisation de la manière dont cette diversité prend forme dans la liturgie, dans la loi et la pratique, exige beaucoup de dialogue entre les Églises locales et le Saint Siège. C'est un défi perpétuel pour l'Église Catholique en tant qu'Église missionnaire.

2.4Le Respect des autres religions et l'œcuménisme

Dans chaque pays, l'Église Catholique rencontre des gens qui sont membres de communions ecclésiales ou de religions différentes. Or le dialogue Inter-religieux fait partie de la mission évangélisatrice de l'Église (RM 55). Du fait que l'Église elle-même est invitée à une conversion continuelle, elle accepte de bon gré le dialogue avec les hommes et les femmes appartenant à des fois différentes. Le dialogue n'est pas la conséquence d'une stratégie ou d'un intérêt (RM 56). Il est une conséquence du respect de l'Église pour la liberté humaine. Le partage avec des personnes qui se réclament d'une foi différente de la nôtre peut être source d'enrichissement mutuel. Il peut être l'occasion, pour les deux parties, d'une meilleure saisie de l'activité de Dieu dans le monde et créer ainsi une nouvelle sensibilité aux diverses expériences de la vie.

Cet enrichissement mutuel est le fruit du respect, de l'effort de compréhension et d'une recherche commune de la vérité. Les missionnaires doivent se rappeler que la vérité réside aussi au-delà des frontières de l`Église Catholique. Les autres religions enracinées plus profondément dans un pays ont souvent une meilleure saisie que nous des cultures locales. À partir de la sagesse des religions différentes nous pouvons beaucoup apprendre et par-là fortifier notre foi Chrétienne en nous rendant compte de ce que la présence de Dieu peut revêtir des formes auxquelles nous n'avions jamais pensé.

Le dialogue inter-religieux n'implique pas que nous abandonnions la mission évangélisatrice de l'Église. La fidélité à sa propre identité est un facteur essentiel de tout dialogue sincère. Tout en engageant au dialogue, le Saint Père met en garde contre une relativisation de la Personne du Christ et de son message. Les Chrétiens ne peuvent pas parler de l'action de Dieu dans l'histoire et dans le monde sans faire référence au Christ. Le dialogue permettra de découvrir des domaines où il est possible de s'accorder et de partager mutuellement nos préoccupations. Il nous ouvrira aussi à des points de divergence et de désaccord.

Les missionnaires dans cette démarche de dialogue, doivent toujours se appeler que l'Église propose, qu'elle n'impose rien (RM 39). La fidélité au Christ et à l'Évangile ne comporte aucune sorte d'intransigeance à l'égard des autres types de foi. Bien au contraire, le témoignage du Chrétien implique l'amour, le respect et la liberté.

III. Notre RÉponse PrÉsente en tant que Fils de Saint Vincent

3.1La collaboration des missions déjà établies par des Provinces avec l'Église Locale

Le nouveau contexte de l'évangélisation et le nouveau paradigme missionnaire décrit plus haut exigent une réponse renouvelée de notre part en tant que membres de la Congrégation de la Mission.

Au cours de notre histoire, de nombreuses provinces de la Congrégation ont répondu à l'appel de l'Église demandant d'envoyer des missionnaires dans les régions où l'Évangile n'avait pas encore été prêché. En collaboration avec des membres d'autres congrégations missionnaires, nos confrères ont aidé à fonder l'Église locale dans plusieurs parties du monde. Certaines provinces ont une longue histoire relatant l'aide apportée à des Églises locales déjà constituées par l'envoi de missionnaires et par une assistance matérielle.

Bien qu'il existe aujourd'hui des Églises locales dans presque toutes les parties du globe, beaucoup d'entre elles ont encore un grand besoin de personnel, de finances et du soutien professionnel d'experts étrangers. Le dialogue entre les provinces soutenant des missions et les Églises locales en matière de besoins à satisfaire et de notre capacité de leur répondre est permanent.

Les Supérieurs Généraux ont eu plus d'une fois recours à nos provinces et à nos confrères pour leur demander de répondre aux appels missionnaires. Beaucoup d'entre nous ont su répondre avec générosité.

    • Nouvelles Missions Internationales

Pour répondre aux sollicitations de diverses hiérarchies locales, au cours des années récentes, le Supérieur Général a établi des équipes missionnaires internationales en Albanie, au Rwanda, au Burundi, en Ukraine, en Russie, en Bolivie, aux Iles Salomon et en Tanzanie. Des volontaires ont été aussi envoyés aux provinces missionnaires établies en Chine, en Ethiopie, au Mozambique et à Cuba. Du fait que, à ce moment de notre histoire, les provinces individuelles étaient incapables de répondre à ces appels, l'organisation d'équipes missionnaires internationales a été providentielle. Non seulement elles ont aidé les Églises locales, mais encore elles ont été une source de bénédictions pour la Congrégation elle-même. Ces nouvelles missions internationales nous ont permis de nous sentir partie prenante d'une communauté mondiale d'une manière plus profonde et nouvelle. Dans de nombreuses provinces les missions internationales ont allumé un nouvel intérêt pour les missions à l'étranger. Les membres des équipes internationales ont donné un témoignage éloquent de l'universalité de l'Église et de la possibilité de bâtir des communautés fraternelles débordant les frontières culturelles.

Certains parmi les confrères engagés dans les équipes missionnaires internationales sont devenus membres de plein droit dans des provinces établies. Certains autres appartiennent à des équipes dépendant directement de la Curie Générale ou d'une province particulière. Les missions en Ukraine, en Russie et en Biélorussie sont devenues une vice-province. La mission d'Albanie est maintenant sous la responsabilité de la Province de Naples, avec l'aide des autres provinces d'Italie. La mission en Tanzanie est maintenant sous la responsabilité de la Province de l'Inde du Sud. Le but poursuivi est de faire en sorte que les missions internationales s'enracinent et deviennent partie d'une province particulière. Ce qui n'élimine pas, toutefois, le besoin de structures internationales qui capitaliseront la nouvelle énergie déclenchée par les nouvelles missions internationales.

3.3Organisation de nos Missions

Une saine organisation est indispensable pour que nos missions deviennent efficaces. Cela exige un dur labeur et la formulation de critères spécifiques. De tels critères ne sont pas seulement nécessaires aux nouvelles missions, ils peuvent être utiles aussi à des missions plus anciennes, déjà établies:

3.3.1Critères pour accepter et évaluer une Mission

Les Églises locales ont beaucoup de besoins, et des besoins variés. En tant que membres de la Congrégation de la Mission, nous cherchons à répondre à ces besoins dans un esprit de fidélité au charisme Vincentien d'évangélisation des pauvres. C'est là le premier critère pour accepter ou refuser les missions qui nous sont proposées par les évêques. L'article 12 de nos Constitutions exprime très clairement quelques autres critères dont il nous faudra tenir aussi compte:

  • une préférence clairement exprimée pour l'apostolat parmi les pauvres,

  • une attention aux réalités sociales,

  • une participation à la condition des pauvres,

  • un vrai sens communautaire dans l'œuvre apostolique,

  • une disponibilité à aller partout dans le monde,

  • une conversion permanente.

Lorsqu'il s'agit de l'acceptation d'une mission, le dialogue avec l'ordinaire local est indispensable, puisqu'il est le chef de l'Église locale. Dès le point de départ des discussions, il convient de se mettre d'accord sur un contrat qui sera signé. Ce contrat devra exprimer clairement les souhaits, les droits et les responsabilités de toutes les parties aussi concrètement et spécifiquement que possible. Cette façon de faire aidera à éviter les malentendus et fournira aussi des directives claires concernant la vie et le ministère de la mission.

3.3.2Le caractère d'une Mission Vincentienne

Nos Constitutions, tout en présentant des critères généraux bien clairs de ce que devrait être une mission Vincentienne, laissent suffisamment de place à la créativité en ce qui concerne le développement des ministères spécifiques au service des pauvres de la mission. Une mission typiquement Vincentienne devrait se caractériser par:

  • Une Évangélisation par “Paroles et par actions” (SV XII, 88):

    1. opar paroles: catéchèse, prédication, éducation, formation de Communautés Chrétiennes de Base, organisation de Missions Populaires;

    2. opar œuvres: en proposant des programmes de promotion humaine, en se tenant à côté des pauvres dans leur lutte pour les Droits de l'homme, en organisant des projets de lutte contre la faim, en formant les jeunes aux capacités humaines de base, en établissant des centres de santé, en démarrant des programmes en vue de la promotion de la dignité des femmes et du soin des enfants.

    • Une Formation:

    Puisque la fin de la Congrégation de la Mission se réalise non seulement par l'évangélisation des pauvres, mais encore par l'assistance apportée au clergé et au laïcat dans leur formation, pour qu'ils puissent, eux aussi, évangéliser les pauvres à leur tour, nos missions devraient se préoccuper tout spécialement de la formation de "leaders" pour l'Église locale: clergé, sœurs, laïques.

    Nos missionnaires devraient exhorter la population à s'impliquer elle-même dans le ministère, à la fois de la parole et de l'action, de sorte que chacun devienne un agent actif de sa propre promotion humaine et chrétienne.

    3.3.3Les candidats à la Mission

    3.3.3.1Leur sélection

    Certaines provinces, prises individuellement, ont leurs propres missions et peuvent inviter des confrères d'autres provinces à participer à leur activité missionnaire, selon les procédures décrites dans les Constitutions et les Statuts. Le Supérieur Général a aussi le droit et la responsabilité d'inviter et d'envoyer, après dialogue avec les provinciaux, des confrères volontaires pour des missions internationales (cf. Statut 3 approuvé par la 38ème Assemblée Générale, 1992).

    Les candidats aux missions devraient posséder un certain nombre de qualités humaines, chrétiennes et vincentiennes: la maturité psychologique et relationnelle, une bonne santé physique, une grande flexibilité et la capacité de respecter les autres cultures. L'habileté en matière de langues est, elle aussi, essentielle. L'esprit de sacrifice, la serviabilité, l'humilité et la simplicité sont nécessaires, en même temps que le sens de la communauté et celui de l'Église.

    3.3.3.2Préparation à la Mission et arrivée sur place

    Il est difficile d'entrer dans une nouvelle culture. Les confrères envoyés en mission ont besoin d'une préparation adaptée. En plus d'une formation théologique de base et d'une formation Vincentienne, leur préparation devrait inclure des études anthropologiques et sociologiques. Sont essentiels une compréhension de ce que signifie l'inculturation en général et une étude particulière de la culture spécifique et de la langue qu'ils auront à appliquer.

    Même le missionnaire le mieux préparé ne peut s'empêcher de considérer comme une entreprise difficile la transition vers une nouvelle culture. Les nouveaux missionnaires ont besoin d'être accompagnés. Un programme de "guidage" ou d'apprentissage devrait être conçu pour les assister au moment de leur arrivée dans la mission. Des missionnaires expérimentés devraient prévoir des moments de temps libre pour se consacrer à l'écoute des craintes, des difficultés, des doutes et autres sentiments qui assailliront inévitablement le missionnaire novice pénétrant dans une culture nouvelle qui lui est étrangère. La direction spirituelle est une ressource très valable mais, malheureusement, souvent inutilisée.

    Après une période convenable d'apprentissage, pendant laquelle on insistera sur l'étude de la langue locale et l'apprivoisement à la culture, le jeune missionnaire prendra en mains son nouveau poste. Un dialogue avec le nouveau missionnaire lui-même et avec les autres confrères, permettra au Supérieur de la Mission de décider du meilleur placement.

    Les relations entre le missionnaire, la nouvelle mission vers laquelle il est envoyé et sa province d'origine devraient être clairement définies par un contrat ou une lettre d'acceptation. Ce contrat devrait spécifier, entre autres choses: son affectation apostolique à la mission, la durée de cette affectation, le lieu où il jouira de la voix active et passive, qui porte la responsabilité économique de sa vie et de son travail, les assurances santé, la sécurité sociale et le rythme de ses périodes de vacances.

    3.3.4Plan Financier

    Chaque mission doit avoir des ressources économiques suffisantes pour supporter ses travaux d'évangélisation et de formation et pour subvenir au bien-être des confrères. Elle doit faire en sorte de s'efforcer de sortir du stage de dépendance économique et d'évoluer en direction de l'indépendance financière et de l'autosuffisance. C'est pourquoi il est important de trouver les moyens d'un développement des capitaux nécessaires à chaque mission.

    En fin de compte, la lutte contre la pauvreté et la recherche de la justice économique, aux niveaux national et international, sont essentielles pour dépasser le stage de dépendance économique en pays de mission. En attendant, il nous faut faire un effort de créativité lorsqu'il s'agit de développer des moyens de promouvoir une autonomie économique relative pour nos missions, tout en visant un futur progressivement plus stable.

    Au plan local, chaque mission devrait avoir un budget tenant compte des œuvres, de la formation initiale et permanente, du soin des missionnaires vieillissants, des besoins de tous les confrères, et du style de vie des pauvres de l'endroit. La transparence financière parmi les confrères à la mission est essentielle. Il conviendrait de planifier la création de sources de capital et des projets d'investissements pour le futur. L'Économe Général, les Économes provinciaux et des conseillers laïcs peuvent être d'un grand secours par leurs conseils en la matière.

    Au niveau mondial de la Congrégation, on encourage de plus en plus une collaboration financière, en se basant sur la nature communautaire de notre vœu de pauvreté, lequel envisage la solidarité des uns avec les autres et avec les pauvres. Nos Constitutions affirment explicitement ceci: les Provinces et les maisons doivent s'assister matériellement, les mieux pourvues venant en aide à celles qui sont dans le besoin (C. 152, § 1). Cela se réalise déjà de bien des façons. Nous espérons pouvoir faire encore mieux. Une de ces façons, c'est à travers le Fonds International des Missions, lequel est mis en œuvre pour fournir de l'argent en vue de projets spécifiques dans nos missions et nos provinces plus pauvres. Les Provinces disposant de plus grandes ressources économiques sont encouragées à prévoir dans leur budget annuel certaines sommes destinées à renflouer ce fonds. Un autre moyen de collaboration financière, c'est la réponse directe des provinces à des projets et des demandes présentées par les missions et les provinces nécessiteuses. Cela non seulement a pour effet de promouvoir la solidarité, mais encore souligne le caractère international de la Congrégation.

    Signalons une autre méthode de collaboration et de promotion de l'indépendance économique des missions et des provinces nécessiteuses: c'est l'établissement de fonds patrimoniaux. Il s'agit de fonds établis par une ou plusieurs provinces donatrices en vue d'aider une province missionnaire dans ses besoins en matière de formation, de service des pauvres et du soin des confères âgés et infirmes. La province donatrice collabore avec la province bénéficiaire en l'aidant à se préparer, à prendre en mains la responsabilité de l'administration du fonds. Après un certain temps, le fonds passe directement dans les mains de la province bénéficiaire.

    3.3.5La Communauté pour la Mission

    Depuis ses origines, la vie communautaire est une marque distinctive de la Congrégation et son mode habituel de vie... (C. 21, § 1). Les confrères appelés aux missions devraient avoir conscience que notre mission est réalisée en communauté. En fait, notre communauté est une communauté pour la mission. Une vie ensemble caractérisée par l'amour fraternel, la cordialité, le respect des différences et la réconciliation crée un contexte où l'évangélisation des pauvres sera réalisée plus effectivement. Nos œuvres devraient, autant que possible, être des œuvres communautaires. Il n'est pas dans l'esprit de notre vocation d'entreprendre des œuvres purement personnelles, en s'isolant des autres confrères.

    Notre communauté n'est pas seulement une communauté pour la mission, mais aussi une communauté de prière dans laquelle nous recherchons, les uns avec les autres, dans la foi, le Seigneur, spécialement dans la célébration quotidienne de l'Eucharistie et dans l'oraison journalière.

    Nos maisons devraient être des endroits où le partage de la foi et les échanges mutuels sur nos expériences humaines, pastorales et spirituelles favorisent la croissance des membres. Cela dépendra pour une grande part du climat de confiance de tous nos membres entre eux.

    Nos Constitutions ne nous imposent pas un type unique de structure communautaire. Il existe de nombreux styles possibles. En certains endroits, tous les confrères d'une maison vivent sous le même toit, sont impliqués dans le même ministère, et suivent le même ordre du jour. À d'autres endroits, les confrères vivent ensemble, mais travaillent dans différentes zones ou villages. Ailleurs encore, ils vivent dans des localités différentes à cause des besoins de la mission, mais ils appartiennent à la même maison canonique, s'efforçant de créer la communauté par des réunions régulières pour la prière, pour une réflexion pastorale commune, pour la détente. Chacune de ces situations exige que l'on prenne intérêt au bien-être des autres confrères et que l'on fasse effort pour maintenir des partages mutuels de vie et de ministère. La rédaction d'un projet communautaire est un moyen important de promouvoir des liens communs dans ces différents milieux.

    Il est important pour la communauté de tenir de fréquentes réunions en vue d'une évaluation des divers aspects de notre vie et de notre ministère. Nos évaluations ne doivent pas devenir de pures formalités. Elles devraient être faites dans un esprit de vérité et de charité, de sorte que, les uns avec les autres, nous puissions découvrir les hauts et les bas, les parts de clarté et d'ombre de notre vie et de notre ministère au sein de la mission. Le rythme de fréquence des réunions sera établi dans le projet communautaire local. Il peut être souhaitable que, parfois, certains de nos coopérateurs, spécialement ceux qui servent avec nous dans nos ministères pastoraux, soient invités à participer à nos réunions.

    3.3.6Promotion vocationnelle

    Si le charisme Vincentien doit être inculturé et la mission de la Congrégation poursuivie, nous aurons besoin de favoriser les vocations locales. L'exemple de joyeux service des pauvres en communauté est à lui seul attirant pour les jeunes. Mais il nous faudrait aussi établir des programmes pour la promotion vocationnelle. Il faut inviter les jeunes dans nos maisons pour leur permettre d'expérimenter notre vie et notre prière communautaires au cours de nos ministères. Il faut savoir les rendre participants de nos ministères pour qu'ils puissent faire personnellement l'expérience de la joie qu'il y a à servir les pauvres. Des maisons et des groupes de discernement peuvent aussi être un moyen efficace de promouvoir les vocations.

    Bien sûr, quelques jeunes seulement sont appelés à entrer dans la Congrégation. Le discernement vocationel doit aussi tenir compte des autres types d'appel: aux ministères laïcs, au sacerdoce diocésain, à la vie religieuse proprement dite. Travailler à la promotion de toutes ces vocations est un grand service rendu à l'Église locale.

    3.4La Collaboration entre Provinces

    Les nouvelles missions internationales, ainsi que nos missions anciennes établies autrefois, offrent des exemples très positifs de collaboration entre les provinces de la Congrégation. Il faudrait encourager le développement des liens entre la mission et la province qui lui fournit son personnel et toute autre ressource. L'expérience des missionnaires, leurs succès et leurs échecs, leurs victoires et leurs intuitions sont des choses qui devraient être partagées avec les confrères de leur pays d'origine, pour que l'étincelle des missions mette le feu au cœur de tous. Tous les membres de la Congrégation de la Mission devraient sentir que les missions représentent une manière particulière de vivre notre charisme.

    Le fait d'appartenir à l'Église universelle et à une Congrégation véritablement internationale exige une réelle solidarité parmi les membres et les communautés de la Congrégation de la Mission. Une manière d'exprimer cette solidarité pourrait consister à entreprendre une réflexion commune sur les présupposés théologiques et les perspectives pastorales découlant du fait que nous sommes une communauté pour la mission. Un dialogue entre les provinces peut être mutuellement enrichissant. Les démarches simples, pratiques en vue de promouvoir ce partage inter provincial pourraient être les suivantes: créer des occasions offertes aux membres de provinces variées de se rencontrer les uns les autres, s'informer des besoins et des préoccupations d'autrui, échanger ses expériences du travail pour les pauvres, étudier la possibilité de développer des plans pastoraux communs et de prier ensemble. Il est possible également de se communiquer des informations en échangeant des bulletins provinciaux et en s'envoyant des nouvelles en utilisant le site web de la Famille Vincentienne (www.famvin.org).

    La solidarité doit aller au-delà du niveau de la réflexion et se concrétiser en collaboration active. La mise en commun des ressources humaines est un pas important en matière de collaboration entre provinces. Une vision internationale de la Congrégation et un sens de la solidarité avec les autres provinces prépare la voie pour des initiatives créatrices en vue de mobiliser le personnel. On a encore besoin de missionnaires dans l'Hémisphère Sud et en Asie. Mais il faudrait aussi songer à envoyer des missionnaires de ces contrées lointaines vers le Nord pour y participer à la Nouvelle Evangélisation.

    Une assistance financière mutuelle entre les provinces est indispensable. Notre vœu de pauvreté nous appelle à entrer en solidarité. Les provinces ne devraient pas se contenter de donner de leur surplus, mais elles devraient aussi parfois sentir un aiguillon les poussant à partager ce qui est le plus précieux à leurs yeux, cela en vue de répartir entre tous le fardeau de la mission.

    3.5La Collaboration avec la Famille Vincentienne

    La collaboration au sein de la Famille Vincentienne pour le bien du service des pauvres s'est développée de façon spectaculaire au cours des dernières années. Chaque branche de la Famille Vincentienne, avec sa propre identité et sa propre autonomie, doit toujours être respectée par les autres. Mais nous possédons aussi beaucoup de choses en commun. Notre coopération mutuelle sera d'autant plus effective que nous entretiendrons des contacts réguliers les uns avec les autres aux niveaux local, national et international. Cela facilitera la canalisation de nos énergies et de nos ressources vers le but que nous poursuivons tous ensemble: le service des pauvres.

    La possibilité de nouvelles manières d'inclure les Laïques Vincentiens et les jeunes volontaires dans nos équipes missionnaires devrait être explorée. Mais les Laïques missionnaires, comme tous les missionnaires, ont besoin d'une préparation. L'intégration de missionnaires laïques dans nos missions étrangères exigera des adaptations et des sacrifices de notre part et de la leur. Mais les avantages gagnés, pour les pauvres, pour le Laïcat Vincentien et pour nous dépasseront de loin les difficultés affrontées.

    IV. Formation à la Mission

    4.1Son urgence et son importance

    La nouvelle situation des missions aujourd'hui exige de nous que nous réexaminions la formation de nos missionnaires. La vocation aux missions étrangères est un appel très spécial, qui demande une sérieuse préparation et une compétence bien spécifique. La bonne volonté ne suffit pas. De même qu'il ne suffit pas simplement d'avoir été ordonné prêtre ou d'avoir fait les vœux en tant que frère. Nos Statuts signalent l'importance d'une solide formation missionnaire:

    Les Missionnaires envoyés à l'extérieur se prépareront soigneusement, par l'étude des réalités du pays où ils devront travailler, aux fonctions spéciales qu'ils auront à y remplir, afin que l'action pastorale qu'ils assumeront réponde efficacement aux besoins locaux. (Statut 6).

    4.2Formation Missionnaire Générale

    Au cours du processus de la formation initiale, des cours généraux de missiologie devraient être proposés. A ce propos le Pape Jean Paul II écrit :

    La formation théologique ne peut ni ne doit ignorer la mission universelle de l'Église, l'œcuménisme, l'étude des grandes religions et de la missiologie. Je recommande que, surtout dans les séminaires et dans les maisons de formation pour religieux et religieuses on se livre à une telle étude, en veillant aussi à ce que quelques prêtres ou quelques étudiants et étudiantes se spécialisent dans les divers secteurs des sciences missiologiques. (RM 83 § 3).

    Il est particulièrement important que des cours de ce genre fassent partie de la formation des membres d'une Société de Vie Apostolique ayant beaucoup de ses gens au travail dans les missions ad gentes (Ratio Formationis pour la Théologie, 38).

    Les cours proposés durant la formation initiale devraient également traiter de l'inculturation et réfléchir sur les adaptations nécessitées par l'entrée de cultures étrangères. C'est important non seulement pour ceux qui travaillent dans les missions ad gentes, mais aussi pour ceux qui travaillent au milieu des pauvres dans ce contexte. Ces cours devraient aussi explorer les manières d'aborder la théologie dans les cultures différentes.

    Une connaissance des sciences sociales (sociologie, économie et politique) sera aussi utile pour accompagner les pauvres, et pour analyser les causes cachées de la pauvreté, ainsi que les moyens de les éradiquer.

    Toutefois, l'étude n'est pas l'unique préparation nécessaire. Il convient de développer également des attitudes de flexibilité et d'ouverture, ainsi qu'une mobilité qui ne soit pas seulement géographique, mais aussi culturelle et sociale. Les Constitutions en parlent de la façon suivante:

    L'œuvre d'évangélisation que la Congrégation se propose d'accomplir doit se caractériser par [...] une disponibilité pour aller partout dans le monde, à l'exemple des premiers missionnaires de la Congrégation…(C.12 § 5).

    La solidarité avec les pauvres, exprimée dans un style de vie simple, est un élément essentiel de l'Évangile à cultiver de préférence dès les débuts. Un réel danger qui menace les missionnaires, c'est la possibilité qu'ils soient amenés par les circonstances à vivre un style de vie très éloigné de la pauvreté des gens qu'ils évangélisent. Cela devient alors un obstacle à l'inculturation et à l'évangélisation parce que cela nous isole des pauvres.

    4.3 Formation Missionnaire Spécifique

    Si la formation générale à la mission est importante, il est toutefois nécessaire que le futur missionnaire reçoive une préparation spécifique qui le disposera à s'adapter aux réalités de la région où il vivra sa vocation missionnaire. Les confrères déjà au travail dans la région, qui ont acquis une expérience directe, peuvent être particulièrement utiles en dressant un plan pour cette formation spécifique.

    L'étude de la langue est indispensable pour transmettre l'Évangile et établir des relations dans un nouveau pays. Mais la langue n'est qu'un des moyens pour les gens de communiquer entre eux au sein d'une culture. Les missionnaires ont besoin de connaître et de comprendre les coutumes, les symboles, les valeurs et la vision du monde propres aux gens qu'ils entendent servir. Cela implique bien plus qu'une simple appréciation du folklore et des arts; c'est plutôt une pénétration qui permet de saisir les attitudes choisies par les autochtones pour exprimer leurs préoccupations profondes, leurs aspirations et, à partir de cela, structurer leurs vies. Il est à conseiller que les nouveaux missionnaires assistent à des programmes missiologiques, fréquentent des instituts pastoraux et des centres d'études culturelles spécialisés qui les aideront directement à se préparer à vivre et à travailler dans cette région spécifique. De tels programmes existent dans presque tous les pays, souvent même ils sont sponsorisés par l'Église locale.

    L'étude formelle d'une nouvelle culture est une préparation essentielle, mais insuffisante pour pénétrer dans cette culture. Du fait que les étrangers ne saisiront jamais complètement l'essence d'une culture autre, le processus d'inculturation est sans fin. Les missionnaires ont souvent besoin de suspendre leur jugement au sujet des expressions culturelles et d'approcher les nouvelles situations avec humilité et ouverture d'esprit. Il y a toujours beaucoup à apprendre de la fréquentation de la population locale, et cette initiation ne peut être fructueuse que là où existe un esprit de dialogue respectueux. Les missionnaires apportent avec eux leurs propres expériences culturelles. La culture dans laquelle on a été formé influence toujours nos façons de penser et d'agir. Le but du missionnaire n'est pas d'abandonner complètement sa culture originaire. Il est plutôt de comprendre comment sa propre culture influence, facilite ou gêne sa rencontre avec les gens d'une culture différente. Une part cruciale du processus d'apprentissage missionnaire consiste à comprendre comment on réagit dans un nouveau milieu culturel.

    Les missionnaires cherchent à devenir des "facilitateurs" dans un processus au cours duquel la population pourra entendre le message de l'Évangile, rencontrer Jésus Christ, et devenir ses disciples. Cela n'est possible que lorsque l'Évangile a été inculturé par ceux qui reçoivent le message et l'assimilent dans leurs vies comme une Bonne Nouvelle. Les missionnaires ont besoin d'apprendre comment discerner la présence des germes du Verbe et l'action de l'Esprit Saint dans la culture locale, tout en respectant l'intégrité du message évangélique. En un sens, ils vivent avec une oreille tournée vers le peuple et l'autre tournée vers l'Évangile. Ils ont besoin de développer en eux-mêmes le savoir-faire qui les rendra capables d'accompagner la population locale lorsqu'elle décidera quels sont les éléments de leur culture qui s'accordent - et ceux qui ne s'accordent pas - avec l'Évangile.

    4.4Formation Vincentienne

    Les confrères qui partent pour la mission le font en tant que fils de saint. Vincent. Toute leur vie doit donc rayonner du charisme Vincentien. Une solide formation Vincentienne les aidera à le faire. Cette éducation à une vie selon saint Vincent commence dès le Séminaire Interne (cf. Ratio Formationis pour le Séminaire Interne ). Mais les membres de la Congrégation de la Mission ont besoin d'étudier le charisme de saint Vincent et d'y réfléchir continuellement.

    La tradition Vincentienne contient un trésor de ressources pour les missionnaires. Il est certainement essentiel de connaître la vie et l'esprit de notre fondateur. L'histoire des missions étrangères de la Congrégation est un mélange d'éléments positifs et négatifs sur lesquels il vaut la peine de réfléchir aujourd'hui. Il y a beaucoup à apprendre à partir de la vie de nos meilleurs prédécesseurs dans la mission (cf. Ratio Formationis pour le Séminaire Interne, III, A).

    C'est peut-être dans le domaine de la spiritualité missionnaire que l'on trouve la plus grande contribution de la tradition Vincentienne. La spiritualité Vincentienne est une spiritualité pour la mission. Vincent de Paul était convaincu que le Christ est présent dans les pauvres (SV IX, 252; X, 332). Il s'efforça de préparer ses missionnaires à découvrir le Christ parmi les pauvres et à marcher dans les pas du Christ dans la mission. Une grande partie de sa correspondance et la plupart de ses conférences étaient adressées à des hommes et à des femmes engagés dans une vocation missionnaire ou se préparant à la vivre. Il leur offrit une possibilité, une manière de vivre l'Évangile dans la mission. Le fait d'appartenir à une Société de Vie Apostolique, comme c'est le cas dans la Congrégation de la Mission, implique que l'on apprenne à rejoindre la sainteté à travers des relations de charité et de service.

    C'est dans ce contexte que l'Instruction sur la Stabilité, la Chasteté, la Pauvreté et l'Obéissance dans la Congrégation de la Mission nous propose de regarder les conseils évangéliques comme des moyens de nous libérer en vue de la mission. On pourrait dire la même chose des cinq vertus caractéristiques. Saint Vincent en a fréquemment parlé en les présentant comme des vertus pour la mission, qui nous aident à devenir de meilleurs évangélisateurs des pauvres. Les missionnaires devraient réfléchir constamment sur les façons dont une croissance en simplicité, en humilité, en douceur, en mortification et en zèle évangélique peut nous rendre plus capables de mieux servir dans la mission.

    Une spiritualité missionnaire implique qu'on se laisse soi-même évangéliser par les pauvres. Appelé et envoyé à partager la vie d'un peuple nouveau - à partager donc leurs joies et leurs souffrances, leurs peines et leurs victoires - un missionnaire reçoit aussi en don leur culture. Or tout nouveau contexte culturel nous met au défi de vivre l'Évangile d'une nouvelle manière à travers de nouvelles relations. Le missionnaire est lui-même évangélisé dans la mesure où il répond à cet appel à la conversion que représente l'accompagnement des pauvres.

    4.5Education Permanente

    Éducation et apprentissage sont des entreprises qui durent toute la vie. Il est particulièrement important que les confrères dans les missions étrangères réservent du temps pour la formation permanente. Individuellement et en tant que communautés, les confrères ont besoin de reconnaître les domaines de la vie - domaine personnel, domaine spirituel, domaine pastoral et domaine théologique - où l'étude et la réflexion sont les plus nécessaires. Quelques missions et beaucoup de provinces organisent des sessions régulières d'études et des cours pour les confrères. D'autres tirent profit de cours donnés dans des centres locaux ou encore envoient leurs gens étudier à l'étranger. Il serait prudent que les missions et les provinces prévoient du temps et de l'argent pour favoriser l'éducation permanente.

    4.6Le Retour des Missionnaires

    Parfois, il arrive que beaucoup de missionnaires décident de retourner dans leur province d'origine (cf. Statuts 29, 30, 32). Le retour à la patrie ou à la province d'origine n'est pas seulement un acte administratif ou juridique. Les missionnaires qui ont vécu au-delà des mers, spécialement pendant de longues périodes de temps, ont besoin de se réadapter à leur culture d'origine et de rétablir des relations avec les membres de leur province originaire. Ils sont revenus dans un monde différent. On a pris beaucoup de peine pour préparer les missionnaires à partir, mais on s'est moins préoccupé de comment recevoir ceux qui revenaient au pays. Les provinces devraient envisager des manières de faciliter la transition aux missionnaires rapatriés. Dans certains pays on a prévu des programmes spéciaux pour pallier ce problème. Mais même là où existent de tels programmes, les provinces elles-mêmes devraient chercher des moyens d'aider les missionnaires de retour au pays à rétablir les relations avec les confrères et la patrie. Ce serait certainement un premier pas positif que d'interroger les missionnaires de retour, de les écouter, et de dialoguer avec eux, à propos de cette expérience du retour au pays.