Le Sanctuaire de Saint Justin de Jacobis à Hebo (Érythrée)

Le sanctuaire de saint Justin de Jacobis à Hebo (Érythrée)*

par Antonio Caccetta, C.M.

Province de Naples

Le 8 août 1953 saint Justin note dans son Journal intime  :

La nuit dernière les Shoho', garde-chèvres, ont vu ces deux mêmes lions, qui rugissaient hier soir près de notre maison, se promener à la clarté de la lune toute la nuit jusqu'au petit jour autour de notre église de Hebo. La veille au soir, par peur, tous les troupeaux étaient entrés en lieu sûr. Les lions, pendant ce temps, n'avaient d'autre souci, semblait-il, que de cerner tranquillement l'église. On dit en Abyssinie que les lions ont l'habitude de visiter les grands sanctuaires et leur manifester leur respect. Ne serait-ce pas pour cela que notre église est devenue, pour les musulmans eux-mêmes, un grand sanctuaire ?.

Un « rêve » pour la mission de Hebo

Si pour Justin c'est une considération (et peut-être quelque chose de plus, vu qu'il avait des dons peu communs) liée aussi à son association avec la croyance populaire des « lions autour d'une église », pour les confrères de Hebo c'est vraiment un « projet », devenu au fur et à mesure, à cause des événements de la guerre, une chimère, un « rêve » toujours plus lointain, mais qui ensuite se réalise de façon merveilleuse et couronne des décennies d'attente et beaucoup de sacrifices et de soucis (pas encore totalement finis).

Après saint Justin, la présence des Vincentiens en Érythrée (et en Éthiopie) a suivi les conditions et les événements variables de l'occupation italienne des territoires ; c'est pourquoi elle fut instable et de peu d'incidence. C'est seulement après 1945, à l'initiative de Mgr Pane, C.M., avec le soutien effectif de Mgr Kidanemariam Kasà, premier évêque de l'Érythrée et de l'Éthiopie, qu'on eut l'accord du Saint-Siège pour une présence des Vincentiens de Naples à Hebo, village qui garde jalousement la tombe de saint Justin. Les notables du lieu offrirent aussi le terrain où ensuite s'est développée la « Mission », avec ses divers ensembles : la Maison des missionnaires-école apostolique, la Maison des Filles de la Charité avec l'orphelinat et le dispensaire médical, l'Église paroissiale, et un vaste terrain où, par la suite, ont vu le jour d'autres constructions et entrepôts variés, puits, école (offerte par la paroisse S. Maria dell'Idria de Lecce), bibliothèque, chapelle de cimetière et potagers pour les besoins de la Mission.

La signature définitive des documents relatifs à la fondation fut apposée le 28 juillet 1948 ; la confirmation au niveau civil eut lieu le 21 juin 1950.

Faisant allusion à l'église-sanctuaire Mgr Pane souhaitait déjà (1950) : « Ce qui surgira sera dédié au Cœur immaculé de Marie et au grand Apôtre du culte marial en Éthiopie, notre Bienheureux Justin… ».

La première pierre fut posée le 25 juin 1961, sur un projet de l'architecte Sticchi. Les difficultés économiques, la guerre de libération de l'Érythrée, en plus de rendre momentanément la construction inopportune et impossible, obligèrent aussi à repenser le projet primitif (disproportionné pour le lieu et les besoins du culte), pour en arriver dans les années 90, après diverses péripéties, à celui définitif de l'ingénieur Fidane Woldeghiorghis (EKIP), répondant mieux aux nouveaux besoins, tout en étant dans la ligne de la tradition et de l'architecture orientale et copte. D'autres difficultés ont encore accompagné la réalisation du nouveau projet, (en 1998 la guerre du Bedemè, avec toutes les conséquences économiques, de pénurie de matériaux, de problèmes de transport, de main-d'œuvre ; la moindre ne fut pas l'effondrement du clocher survenu le 19 avril de cette année là, heureusement sans aucune conséquence pour les personnes et pour les autres structures).

De toute façon la date prévue pour le Jubilé de l'an 2000 nécessairement ne pouvait pas être respectée, même s'il était possible d'utiliser le sous-sol.

28 juillet 2002

La réalisation du rêve se concrétisa en un jour cette fois respecté, (même si, comme cela arrive presque toujours, en étant dans le pétrin jusqu'au cou et en renvoyant à plus tard beaucoup de finissage), qui rappelle les 150 ans de la Bénédiction de la petite église de saint Justin à Hebo, où jusqu'à présent l'urne du saint a été vénérée, maintenant transférée dans le nouveau sanctuaire.

Un rêve se réalise : images multicolores, imprimées dans les yeux de tous, chants, musiques, personnes importantes participant comme représentants du Gouvernement et des diverses religions, des centaines de pèlerins, avec la foi et l'affection de toujours pour leur très aimé Abuna Jaqob Mariam. Tous les évêques d'Érythrée, avec Mgr Beniamino De Palma, ancien provincial lazariste de Naples, ont concélébré avec l'évêque d'Asmara et ont consacré et béni le sanctuaire. Étaient naturellement présents l'actuel provincial de Naples, le P. Giuseppe Guerra, et aussi le Vicaire Général lazariste le P. Fernandez H. de Mendoza, représentant le Père Général, retenu à Toronto aux Journées Mondiales de la Jeunesse, l'Assistant Général pour les Missions, le P. Victor Bieler, pratiquement tous les confrères de la vice-province d'Érythrée, ainsi que d'autres confrères venus d'Italie et du Mozambique.

Déjà depuis la veille les pèlerins sont arrivés de façon ininterrompue, très nombreux à pieds, parfois précédés d'un bœuf à offrir pour la fête. Hebo, dans toute son histoire, n'a jamais vu tant de gens présents, rendant grâce finalement, à l'intérieur et à l'extérieur du sanctuaire, pour un rêve réalisé au nom de son fondateur, S. Justin de Jacobis, et avec la contribution et l'abnégation de nombreux confrères et bienfaiteurs, dont certains jouissent déjà de la récompense éternelle pour leurs peines.

Au-delà des commémorations d'usage, il est difficile d'exprimer les sentiments profonds des âmes. Ce fut un événement extraordinaire qui pour nous occidentaux nous a rempli l'esprit et le cœur de beaucoup d'émotion et d'admiration. La prière a été encore plus vive parce que ce qui est en jeu c'est la paix, la justice, le bien-être, le progrès, la stabilité, l'avenir de l'Érythrée !

Le ciel, de son côté, y a mis la main, interrompant pour un jour les pluies, même si elles étaient très précieuses, parce que arrivées en retard cette année, compromettant ensemencement et récolte.

Les échos des musiques et des chants ont rempli toute la cuvette de Hebo, pour se répandre, au-delà des montagnes, sur les autres hauts-plateaux… pour un retour certain de Bénédiction et de grâce pour tous.

(Traduction : JEAN LANDOUSIES, C.M.)

* Article déjà publié dans `Informazione Vincenziana (Année IV, n°8 - octobre/novembre 2002), pp. 25-27.

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