La correspondance inédite du B. Marcantonio Durando

La correspondance inédite du Bienheureux Marcantonio Durando

(1801-1880)

par Luigi Chierotti, C.M.

Province de Turin

Le P. Durando n'a jamais écrit ni publié de livres, exception faite d'un petit opuscule « éducatif », composé pour un Institut des Filles de la Charité de Fontanetto Po.

Toutefois, sa correspondance est un véritable « monument » et une mine d'informations sur la vie religieuse et civile, sur la direction spirituelle des âmes, les dispositions d'administration des œuvres etc… de 1831 à 1880.

Aujourd'hui, sa correspondance est recueillie en huit gros volumes écrits à la machine et reproduits par photocopie, avec un indice analytique complémentaire.

Ils m'ont coûté un long travail de bénédictin, pour transcrire le texte des lettres « originales », notes et rapports.

C'est un document d'importance historique exceptionnelle, et pas seulement dans le domaine vincentien. Parmi les nombreuses lettres, la Correspondance du Risorgimento, publiée sur les Annali della Missione dans les années 1968-1978, revêt une importance particulière.

  1. Les sources

Je les énumère dans un certain ordre d'importance :

    1. Archives de la Curie générale C.M. de Rome : Elles conservent la correspondance du Bienheureux avec les Supérieurs généraux et les Assistants Généraux italiens.

    2. Archives du Musée du Risorgimento de Turin, et Bibliothèque Vaticane : Ce sont des lettres de grande valeur historique, adressées pour la plus grande partie à son frère Giacomo, Ministre d'État. Elles embrassent une période de plus de trente ans, de 1847 à 1879.

    3. Lettres en dépôt en diverses archives de diocèses piémontais, spécialement de Turin, Mondovì, Saluzzo, Fossano, etc…

    4. Lettres des archives de diverses maisons de la Mission : Turin, Chieri, Mondovì, etc…

    5. Lettres de sœurs ou de laïcs, recueillies par le P. Giovanni Tonello, les Filles de la Charité, Sœurs Nazaréennes et des Madeleines de la Marquise de Barolo.

    6. Vingt lettres du P. Durando conservées et publiées par le P. Vito Guarini, relatives à la tempête occulte sur la Famille Vincentienne de 1842-43 (tentative de détacher de Paris les Missionnaires d'Italie).

J'ai rassemblé ce que j'ai pu, mais je n'exclus pas qu'il y ait encore en circulation de nombreuses lettres autographes du Bienheureux.

  1. Le contenu

Chaque plus petit événement des maisons des Missionnaires était régulièrement signalé par le Visiteur à l'Assistant italien de Paris ou au Supérieur général, avec une fréquence moyenne d'une lettre par mois. Et ceci pendant 40 ans. Des centaines de figures de Missionnaires, de Filles de la Charité ou de personnages illustres du monde civil ou religieux nous sautent ainsi aux yeux esquissés de façon vivante et concise, avec leurs vertus et leurs défauts, leurs enthousiasmes et leurs crises spirituelles. Les protagonistes de la vie ecclésiastique et civile du Risorgimento, que le Bienheureux mentionne, vont du Pape Pie IX à Garibaldi, des rois Carlo Alberto et Vittorio Emmanuele II à Napoléon III, de Rosmini à Gioberti, de Mgr Fransoni et ses tristes vicissitudes à Faà di Bruno, de ses frères Camillo et Gustavo Cavour au Général La Marmora et les vévènements de la Crimée.

Le Bienheureux suit d'un œil attentif chaque événement et ne cesse pas de lutter contre le libéralisme funeste et les intrigues de la Maçonnerie.

  1. Le P. Durando comme écrivain plein de finesse

La langue du P. Durando est évidemment celle de son temps. Cependant, le langage est fluide et clair : écriture simple, lisible, bonne ponctuation, les ratures sont rares, bien qu'il écrivait au fil de la plume. Fréquentes sont les expressions piémontaises, les gallicismes et les citations latines appropriées, qui font partie de sa vivacité.

De certains missionnaires paresseux il écrit : Fruges consumere nati = nés seulement pour consommer des provisions !

D'un missionnaire qui de nombreuses fois avait inutilement promis de se corriger d'un très grave défaut, le Bienheureux écrivait tristement : Substantiae non mutantur !…Potest Aetiops mutare pellem suam ? - Les substances ne peuvent se changer…Un Éthiopien peut-il changer la couleur de sa peau ?

D'un supérieur avare dans les plus petites choses il dit : Ab ungue disce leonem = Il juge le lion par ses griffes !

Un missionnaire « gros mangeur » est défini : La meilleure dent de la maison. Un autre secret comme le tonnerre, est dénommé Une trompette ! Deux confrères rivaux dans la même maison : Deux coqs dans un poulailler ! D'un autre encore, entêté dans ses idées, le Bienheureux écrit : Quand il plante un clou, il n'y a pas moyen de le faire changer ! Une fois, un missionnaire avait exagéré avec véhémence contre son supérieur. Le P. Durando commente : Espérons que la neige de cet hiver servira à rafraîchir tant de feu !

D'un sujet peu apte à la fonction d'économe, le visiteur écrit à Paris : Il est aussi bon à être procureur que moi à être poète !

  1. Expressions typiques

Certaines expressions particulières sous la plume du P. Durando sont très savoureuses.

Quando sono ne' stracci, ricorrono al Visitatore ; il voulait dire : les supérieurs locaux font des dettes et quand ils ne savent pas comment en sortir ils recourent au Visiteur.

Se mi manca fuoco signifiait : si je n'ai pas d'autre sujets. Il busillis è unde

un capere - La chose difficile c'est où en trouver !

Mettre encore une pièce (une reprise) voulait dire arranger une situation avec le dernier expédient.

Tirarla co' denti = situation économique difficile.

Battere campagna o Trarsi d'affare passer au large ou se laver les mains d'une affaire.

Piglia tempo e camperai = avoir de la patience.

Dai preti `liberali' libera nos Domine ! Des prêtres libéraux, délivre-nous Seigneur !

Le P. Durando sait aussi rire de lui-même. Il ne connaissait pas bien la langue française, et sa façon d'écrire en français était encore pire. Donc une fois il pria le P. Sturchi, Assistant Général, de relire et de corriger une lettre, avant de la présenter au Supérieur général :

Faites-moi la grâce de prendre lecture de l'incluse, avant de la fermer. Vous y trouverez un morceau d'éloquence et tant de pureté de langue française et d'élocution, que, si on me connaissait comme je le mériterais, je serais nommé membre de l'Académie française. Vous voyez bien que je ne veux pas mourir de tristesse.

  1. Contenu spirituel et organisationnel

La correspondance du Bienheureux est aussi un témoignage de première main sur son humilité, sa charité envers ses confrères, sa méthode d'action.

À partir de 1839 jusqu'à la fin de sa vie, il ne renonça pas à implorer du Supérieur Général la grâce d'être dispensé des charges de Visiteur, de Supérieur et de Directeur des Filles de la Charité. Ses demandes inutiles se renouvelèrent en 1845-46-47-48-56-63-71-72 et les années suivantes jusqu'à sa mort, mais toutes ses prières se brisèrent contre la volonté du P. Etienne.

Le P. Etienne, Supérieur général, était beaucoup plus résolu dans ses décisions disciplinaires, mais le Bienheureux le calmait, adoptant la méthode du fortiter et suaviter. Il était ardemment désiré par certains sujets trop ardents pour le bon ordre - lui écrivait-il -, que je fasse comme l'allemand qui parle et lève en un instant le bâton ; mais pareille façon de faire me semble contraire à l'esprit de notre saint. Si en peu de temps on peut obtenir la chose sans heurter… il me semble que c'est plus convenable.

D'un missionnaire qui était sur le point d'être congédié par le Supérieur Général, le Bienheureux écrit en le défendant :

Pauvre enfant, que fera-t-il maintenant ?… Le congédier me semble dur, parce que cela le priverait d'une retraite, dans le cas où la Loi serait appliquée… Je ne voudrais pas aller contre l'Apôtre qui dit Charitas omnia sperat !. J'ai peu d'espérance dans les hommes ; le Seigneur fera… Il me semble qu'ils peuvent prendre la chose doucement et la Providence fera le reste.

Nous connaissons son amour pour les missions extérieures : sa vocation même parmi les Missionnaires de saint Vincent était partie de son désir de se rendre comme missionnaire en Chine. Comme Visiteur et représentant de l'œuvre de la Propagation de la Foi, le P. Durando fut l'un des défenseurs les plus actifs des missions extérieures, y contribuant par du personnel et par une aide matérielle. En 1841 il écrivait au P. Fiorillo, Assistant Général : Je n'ai pas été digne d'être envoyé aux missions étrangères ; au moins, au moins que je puisse y coopérer de quelque manière…

Les besoins d'une mission m'attendrissent, et pris seul à seul je suis mort et je n'ai plus de force et il faisait son possible pour envoyer des missionnaires ad gentes.

Ce que le P. Durando ne pouvait supporter, c'était l'inertie, la paresse. Avec combien de peine il écrivit un jour : Il y a des maisons, où les nôtres ne font rien du tout…, ils ne sortent pas donner des missions, faire des exercices spirituels…Beaucoup de sujets s'ennuient !

Combien son cœur dut au contraire se réjouir quand il put écrire à Paris en 1877 :

Les missions que fait la maison (de Turin) sont toujours dix, douze par an, elles sont longues ou plus brèves…et elles sont toujours aussi fructueuses maintenant qu'il y a 40 ou 50 ans. Les nôtres, lorsqu'ils sont en mission, se gardant d'entrer dans les affaires politiques, n'ont jamais reçu aucun mécontentement de la part des autorités au cours de toutes ces années. Au contraire bien souvent, lorsqu'ils ont fini, le maire et les autorités vont les visiter et plus d'une fois la fanfare du pays les accompagne jusqu'à la gare. À peine compte-t-on quelques personnes qui ne s'approchent pas des sacrements. Les lettres de remerciements que je reçois des curés sont émouvantes.

On ne m'a pas donné assez de place pour poursuivre les analyses de la Correspondance du nouveau Bienheureux, et par conséquent je renvoie les intéressés à mes deux volumes publiés en 1987-1988.

  1. Le P. Durando à travers sa Correspondance

Vol. I - L'homme de gouvernement ; Vol. II - L'homme de vertu. 

La Correspondance dont j'ai essayé de donner une idée synthétique m'a demandé beaucoup de travail. Elle ne sera peut-être jamais publiée, mais les archives des Missionnaires et des Sœurs Nazaréennes de Turin en conservent une copie, toujours consultable aussi par des personnes qui ne sont pas de la Communauté.

(Traduction : JEAN LANDOUSIES, C.M.)

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