Ratio Missionum - Appendix 1

APPENDICE I

Paroles de saint Vincent au sujet des missions

  1. À propos de ce que l'on vient de dire du don des langues je pense que nous ferons bien aujourd'hui de demander à Dieu la grâce de bien apprendre les langues étrangères, pour ceux qui seront envoyés aux pays éloignés; car, puisqu'il a plu à sa divine Majesté se susciter cette petite Compagnie pour faire parmi le monde quelque petite chose de ce que les apôtres y ont fait, nous avons besoin de participer avec eux à ce don des langues tant nécessaire pour enseigner au peuple la doctrine de la foi; car, si la foi entre par l'ouïe, comme dit saint Paul, fides ex auditu, il faut que ceux qui l'annoncent se fassent entendre à ceux en qui ils veulent répandre cette divine lumière. Or, la diversité des langues est très grande, non seulement en l'Europe, l'Afrique et, l'Asie, mais même en Canada; car nous voyons dans les relations des Pères jésuites qu'il y a autant de sortes de langues que de pays. Les Hurons ne parlent pas comme les Iroquois ni ceux-ci comme leurs voisins; et qui entend les uns n'entend pas les autres.

Comment donc les missionnaires pourraient-ils dans ces différences de parler, aller par tout le monde annoncer l'Évangile, s'ils ne savent que leur propre langue? Et comment en sauront-ils d'autres s'ils ne les demandent à Dieu et ne s'y appliquent? Que veut dire missionnaire? C'est à dire envoyé. Oui, mes frères, missionnaire veut dire envoyé de Dieu, et c'est à vous que Notre-Seigneur a dit: Euntes in mundum universum, prædicate Evangelium omni creaturæ. Et pour cela, il veut que vous entendiez les langues nécessaires. Jamais Dieu n'appelle un homme à une condition, qu'il ne voie en lui les qualités qu'il faut, ou qu'il n'ait dessein de les lui donner. Selon cela, mes frères espérons que, s'il lui plaît vous appeler aux pays éloignés il vous fera la grâce d'en apprendre la langue. Confiez-vous en lui, il ne veut pas la fin sans les moyens; et s'il vous demande l'un, il vous donnera l'autre.

(SV XII, 26-27, N° 183 du 09/06/1658)

  1. Ah! Messieurs et mes frères, quelle joie aura Dieu, si, dans le débris de son Église, dans ces bouleversements qu'ont faits les hérésies, dans les embrasements que la concupiscence met de tous côtés, si, dans cette ruine, il se trouve quelques personnes qui s'offrent à lui pour transporter ailleurs, s'il faut ainsi parler, les restes de son Église, et d'autres pour défendre et pour garder ici ce peu qui reste! Ô Sauveur, quelle joie recevez-vous de voir de tels serviteurs et une telle ferveur pour tenir bon et pour défendre ce qui vous reste ici, pendant que les autres vont pour vous acquérir de nouvelles terres! Ô Messieurs, quel sujet de joie! Vous voyez que les conquérants laissent une partie de leurs troupes pour garder ce qu'ils possèdent, et envoient l'autre pour acquérir de nouvelles places et étendre leur empire. C'est ainsi que nous devons faire: maintenir ici courageusement les possessions de l'Église et les intérêts de Jésus-Christ, et avec cela travailler sans cesse à lui faire de nouvelles conquêtes et à le faire reconnaître par les peuples les plus éloignés.

(SV XI, 354-355, N° 154 de septembre 1656)

3. En sommes-nous là, Messieurs et mes frères? Sommes-nous prêts d'endurer les peines que Dieu nous enverra, et d'étouffer les mouvements de la nature pour ne vivre plus que la vie de Jésus-Christ? Sommes-nous disposés d'aller en Pologne, en Barbarie, aux Indes lui sacrifier nos satisfactions et nos vies? Si cela est, bénissons Dieu. Mais si, au contraire, il y en a qui craignent de quitter leurs commodités, qui soient si tendres que de se plaindre pour la moindre chose qui leur manque, et si délicats que de vouloir changer de maison et d'emploi, parce que l'air n'y est pas bon, que la nourriture y est pauvre, et qu'ils n'ont pas assez de liberté pour aller et venir; en un mot, Messieurs, Si quelques-uns d'entre nous sont encore esclaves de la nature, adonnés aux plaisirs de leurs sens, ainsi que l'est ce misérable pécheur qui vous parle, qui, en l'âge de soixante et dix [sept] ans, est encore tout profane, qu'ils se réputent indignes de la condition apostolique où Dieu les a appelés, et qu'ils entrent en confusion de voir leurs frères qui l'exercent si dignement, et qu'ils sont si éloignés de leur esprit et de leur courage.

Mais qu'ont-ils souffert en ce pays-là? La famine? Elle y est. La peste? Ils l'ont eue tous deux, et l'un par deux fois. La guerre? Ils sont au milieu des armées et ont passé par les mains des soldats ennemis. Enfin Dieu les a éprouvés par tous les fléaux. Et nous serons ici comme des casaniers sans cœur et sans zèle! Nous verrons les autres s'exposer aux périls pour le service de Dieu, et nous serons aussi timides comme des poules mouillées! Ô misère! Ô chétiveté! Voilà vingt mille soldats qui s'en vont à la guerre pour y souffrir toutes sortes de maux, où l'un perdra un bras, l'autre une jambe, et plusieurs la vie, pour un peu de vent et pour des espérances fort incertaines; et cependant ils n'ont aucune peur et ne laissent pas d'y courir comme après un trésor. Mais pour gagner le ciel, Messieurs, il n'y a presque personne qui se remue; souvent ceux qui ont entrepris de le conquérir mènent une vie si lâche et si sensuelle, qu'elle est indigne non seulement d'un prêtre et d'un chrétien, mais d'un homme raisonnable; et s'il y en avait parmi nous de semblables, ce ne seraient que des cadavres de missionnaires. Or sus, mon Dieu, soyez à jamais béni et glorifié des grâces que vous faites à ceux qui s'abandonnent à vous; soyez vous-même votre louange d'avoir donné à cette petite Compagnie ces deux hommes de grâce.

(SV XI, 411-412, N° 170)

4. Savez-vous la pensée qui me vient quand on parle des besoins éloignés des Missions étrangères? Nous entendons cela; il nous vient quelque affection; nous estimons bienheureux M. Nacquart, M. Gondrée et tous ces autres missionnaires qui sont morts en hommes apostoliques pour l'établissement d'une nouvelle Église. Ils sont bienheureux, en effet, car ils ont sauvé leurs âmes en les donnant pour la foi et pour la charité chrétienne. Cela est beau; voilà qui est saint; chacun loue leur zèle et leur courage; et puis c'est tout. Mais si nous avions cette indifférence, si nous ne tenions à une telle bagatelle que nous aimons et à certaine réserve que nous avons, qui est-ce qui ne s'offrirait pour Madagascar, pour la Barbarie, pour la Pologne et pour ailleurs où Dieu se plaît d'être servi par la Compagnie?

(SV XII, 241, N° 205 du 16/05/1659)

  1. Demandons à Dieu qu'il donne à la Compagnie cet esprit, ce cœur, ce cœur qui nous fasse aller partout, ce cœur du Fils de Dieu, cœur de Notre-Seigneur, cœur de Notre-Seigneur, cœur de Notre-Seigneur, qui nous dispose à aller comme il irait et comme il serait allé, si sa sagesse éternelle eût jugé à propos de travailler pour la conversion des nations pauvres. Il a envoyé pour cela les apôtres; il nous envoie comme eux pour porter partout le feu, partout. Ignem veni mittere in terram, et quid volo nisi ut accendatur; partout ce feu divin, ce feu d'amour, de crainte de Dieu, par tout le monde: en Barbarie, aux Indes, au Japon.

(SV XI, 291, N° 135 du 22/08/1655)

  1. Ah! Messieurs, demandons bien tous à Dieu cet esprit pour toute la Compagnie, qui nous porte partout, de sorte que, quand on verra un ou deux missionnaires, on puisse dire: «Voilà des personnes apostoliques sur le point d'aller aux quatre coins du monde porter la parole de Dieu». Prions Dieu de nous accorder ce cœur il y en a, par la grâce de Dieu qui l'ont, et tous sont serviteurs de Dieu. Mais aller là! Ô Sauveur! N'être point arrêté, ah! C'est quelque chose! Il faut que nous ayons ce cœur, tous un même cœur, détaché de tout, que nous ayons une parfaite confiance en la miséricorde de Dieu, sans sonner, s'inquiéter, perdre courage. «Aurai-je ceci en ce pays-là? Quel moyen? » O Sauveur! Dieu ne nous manquera jamais! Ah! Messieurs, quand nous entendrons parler de la mort glorieuse de ceux qui y sont, ô Dieu! Qui ne désirera être en leur place? Ah! Qui ne souhaite de mourir comme eux, d'être assuré de la récompense éternelle! Ô Sauveur! y a-t-il rien de plus souhaitable! Ne soyons donc pas liés à ceci ou à cela; courage! Allons où Dieu nous appelle, il sera notre pourvoyeur, n'appréhendons rien. Or sus, Dieu soit béni! Prions-le tous à cette intention.

(SV XI, 291-292, N° 135 du 22/08/1655)

  1. Nous sommes choisis de Dieu comme instruments de son immense et paternelle charité, qui se veut établir et dilater dans les âmes. Ah! Si nous savions ce que c'est que cette sainte application! Nous ne le verrons jamais bien en cette vie; car, si nous le voyions, oh! Que nous agirions d'une autre sorte, au moins moi misérable! Notre vocation est donc d'aller, non en une paroisse, ni seulement en un évêché, mais par toute la terre; et quoi faire? Embraser les cœurs des hommes, faire ce que le Fils de Dieu a fait, lui qui est venu mettre le feu au monde afin de l'enflammer de son amour. Qu'avons nous à vouloir, sinon qu'il brûle et qu'il consume tout? Mes chers frères, faisons réflexion à cela, s'il vous plaît.

(SV XII, 262, N° 207 du 30/05/1659)

8. Or, si tant est que nous soyons appelés pour porter loin et près l'amour de Dieu, si nous en devons enflammer les nations, si nous avons vocation d'aller mettre ce feu divin par tout le monde, si cela est ainsi, dis-je, si cela est ainsi, mes frères, combien dois-je brûler moi-même de ce feu divin!

(SV XII, 263, N° 207 du 30/05/1659)

  1. Oui, Messieurs, il faut que nous soyons tout à Dieu et au service du public; il faut nous donner à Dieu pour cela, nous consumer pour cela, donner nos vies pour cela, nous dépouiller, par manière de dire, pour le revêtir; du moins désirer d'être dans cette disposition, si nous n'y sommes déjà; être prêts et disposés à aller et venir où il plaira à Dieu, soit aux Indes ou ailleurs, enfin nous exposer volontiers pour le service du prochain, pour amplifier l'empire de Jésus-Christ dans les âmes. Et moi-même, quoique vieux et âgé comme je suis, je ne dois pas laisser d'avoir cette disposition en moi, voire même de passer aux Indes, afin d'y gagner des âmes à Dieu, encore bien que je dusse mourir par le chemin ou dans le vaisseau; car que pensez-vous que Dieu demande de nous? Le corps? Eh! Point du tout. Et quoi donc? Dieu demande notre bonne volonté, une bonne et vraie disposition d'embrasser toutes les occasions de le servir, même au péril de notre vie, d'avoir et entretenir en nous ce désir du martyre, que Dieu quelquefois a aussi agréable que si nous l'avions souffert en effet.

(SV XI, 402-403, N° 167 du 17/06/1657)

10. Après que je m'en serai allé, il viendra des loups ravissants, et d'entre vous se lèveront de faux frères qui annonceront choses perverses et qui vous enseigneront le contraire de ce que je vous ai dit; mais ne les écoutez pas, ce sont de faux prophètes. Il se trouvera de même, mes frères, des carcasses de missionnaires qui tâcheront d'insinuer de fausses maximes pour ruiner, s'ils peuvent, ces fondements de la Compagnie; à ceux-là il faut leur résister.

S'il arrivait qu'on proposât ci-après en la Compagnie d'ôter cette pratique, de quitter cet hôpital, de rappeler les ouvriers de Barbarie, de se tenir ici, de n'aller pas là, d'abandonner cet emploi et de ne courir pas aux besoins éloignés, qu'on dise hardiment à ces faux frères: «Messieurs, laissez-nous dans les lois de nos pères, en l'état où nous sommes; Dieu nous y a mis et veut que nous y demeurions.» Tenez ferme.

Mais la Compagnie, diront-ils, est embarrassée d'un tel emploi. - Hélas! Si, en l'enfance, elle a soutenu celui là et porté tous les autres fardeaux, pourquoi n'en viendra-t-elle pas à bout quand elle sera plus forte? «Laissez-nous, leur faut-il dire, laissez-nous en l'état où Notre-Seigneur était sur la terre; nous faisons ce qu'il a fait; ne nous empêchez pas de l'imiter.» Les avertir, voyez-vous, les avertir et ne les écouter pas.

Mais qui sera-ce qui nous détournera de ces biens commencés? Ce seront des esprits libertins, libertins, libertins, qui ne demandent qu'à se divertir, et, pourvu qu'il y ait à dîner, ne se mettent peine d'autre chose. Qui encore? Ce seront… Il vaut mieux que je ne le dise pas. Ce seront des gens mitonnés (il disait cela en mettant les mains sous ses aisselles, contrefaisant les paresseux), des gens qui n'ont qu'une petite périphérie, qui bornent leur vue et leurs desseins à certaine circonférence où ils s'enferment comme en un point; ils ne veulent sortir de là; et si on leur montre quelque chose au delà et qu'ils s'en approchent pour la considérer, aussitôt ils retournent en leur centre, comme les limaçons en leur coquille.

(SV XII, 91-93, N° 195 du 06/12/1658)

  1. Il y en aura qui contre-diront ces œuvres, n'en doutez pas; et d'autres diront que c'est trop entreprendre d'envoyer aux pays éloignés, aux Indes, en Barbarie. Mais, mon Dieu, mais, mon Seigneur, n'avez-vous pas envoyé saint Thomas, aux Indes et les autres apôtres par toute la terre? Ne les avez-vous pas chargés du soin et de la conduite de tous les peuples en général et de beaucoup de personnes et de familles en particulier? N'importe; notre vocation est: Evangelizare pauperibus.

(SV XII, 90, N° 195 du 06/12/1658)

  1. L'embarquement pour Madagascar est encore différé jusqu'au mois de septembre. Puisque nous avons tant attendu, nous attendrons bien encore quatre ou cinq mois; un grand bien mérite d'être longtemps désiré. Et vous qui avez reçu de Dieu beaucoup d'attrait pour cette mission et qui vous êtes offert à lui pour l'entreprendre, devez vous conserver dans la même disposition, tant pour ce que c'est là une marque de vocation, qu'à cause que la compagnie vous y a destiné dès le commencement et qu'elle vous y destine encore, qui est une seconde marque. Et pour vous en dire une troisième, c'est que non seulement vous avez été nommé à Rome, comme je vous ai ci-devant écrit, mais on vous a envoyé les facultés qu'on a coutume de donner à ceux qui vont travailler à la conversion des infidèles, et nous vous les gardons ici.

Après cela, Monsieur, il n'y a pas lieu de douter que le bon Dieu ne s'attende à vous pour une oeuvre si sainte. Vous ferez donc bien de vous en tenir à la résolution que vous avez prise de ne plus penser aux Chartreux, d'autant plus que vous m'écrivez que, s'il y avait plus du bon plaisir divin à vous faire artisan, que de passer dans ce saint Ordre, vous le feriez volontiers, tant vous avez de respect et d'amour pour l'adorable volonté de Dieu Offrez-vous à lui de nouveau, comme un ouvrier qu'il appelle à un emploi le plus relevé, le plus utile et le plus sanctifiant qui soit sur la terre, tel qu'est celui d'attirer les âmes à la connaissance de Jésus-Christ et d'aller étendre son empire aux lieux où le démon règne depuis si longtemps. Les apôtres et plusieurs grands saints se sont estimés bien heureux de se consumer pour cela. Nous voyons même présentement quantité de religieux qui sortent de leurs cloîtres, et quantité d'ecclésiastiques de leurs pays, pour aller prêcher l'Évangile aux infidèles; et s'il ne s'en trouvait pas, il faudrait faire quitter la solitude aux Chartreux pour les y envoyer. Et partant, Monsieur, je vous prie, au nom de Notre-Seigneur, d'attendre en patience que l'heure vienne à laquelle il a marqué votre départ. Cependant vous servez Dieu fort utilement là où vous êtes.

(SV IV, 368-369, N° 1489 du 24/04/1652)

13. Le capital de votre étude, après avoir travaillé à vivre parmi ceux que vous devrez converser en odeur de suavité et de bon exemple, sera de faire concevoir à ces pauvres gens, nés dans les ténèbres de l'ignorance de leur Créateur, les vérités de notre foi, non pas par des raisons subtiles de la théologie, mais par des raisonnements pris de la nature; car il faut commencer par là, tâchant de leur faire connaître que vous ne faites que développer en eux les marques que Dieu leur a laissées de soi-même, que la corruption de la nature, depuis longtemps habituée au mal, leur avait effacées. Pour cela, Monsieur, il faudra souvent vous adresser au Père des lumières et lui répéter ce que vous lui dites tous les jours: Da mihi intellectum ut sciam testimonia tua, Vous rangerez par la méditation les lumières qu'il vous donnera, et pour montrer la vérité du premier et souverain Être et les convenances pour le mystère de la Trinité, la nécessité du mystère de l'Incarnation, qui nous fait naître un second homme parfait, après la corruption du premier, pour nous réformer et redresser sur lui. Je voudrais leur faire voir les infirmités de la nature humaine par les désordres qu'eux-mêmes condamnent; car ils ont des lois, des rois et des châtiments.

Quoiqu'il y ait quelques livres qui traitent ces matières, comme le catéchisme de Grenade ou autre, que nous tâcherons de vous envoyer, je ne puis que je ne vous répète, Monsieur, que le meilleur sera l'oraison: Accedite ad eum et illuminamini; s'abandonner à l'esprit de Dieu, qui parle en ces rencontres. S'il plaît à sa divine bonté vous donner grâce pour cultiver la semence des chrétiens qui y sont déjà et qui y vivent avec ces bonnes gens dans la charité chrétienne, je ne doute nullement, Monsieur, que Notre-Seigneur ne se serve de vous de delà pour préparer à la compagnie une ample moisson. Allez donc, Monsieur, et, ayant mission de Dieu par ceux qui vous le représentent sur la terre, jetez hardiment les rets.

(SV III, 281-282, N° 1020 du 22/3/1648)

14. Dieu fait de telles grâces que d'être prêts et disposés à aller dans les pays éloignés pour y employer leur vie pour Jésus-Christ! Les histoires nous font mention de tant de martyres d'hommes qui se sont sacrifiés pour Dieu; et si nous voyons que, dans les armées, tant de gens exposent leur vie pour un peu d'honneur, ou peut être dans l'espérance d'une petite récompense temporelle, à combien plus forte raison, on nous autres devons nous exposer nos vies pour porter l'Évangile de Jésus Christ aux pays les plus éloignés où sa divine Providence nous appelle!

(SV XII, 51, N° 188 du 30/08/1658)

  1. Nos missionnaires de Barbarie et ceux qui sont à Madagascar, qu'ont-ils entrepris? Qu'ont-ils exécuté? Qu'ont-ils fait? Qu'ont-ils souffert? Un homme seul entreprend une galère où il y a quelquefois deux cents forçats: instructions, confessions générales aux sains, aux malades, de jour et de nuit, pendant quinze jours; et au bout de ce temps, il les traite, il va lui-même acheter un bœuf, il fait cuire cela; c'est leur régal; un homme seul fait cela! Tantôt il s'en va dans les fermes où l'on met des esclaves, et va trouver les maîtres pour les prier de lui permettre de travailler à l'instruction de leurs pauvres esclaves; il prend leur temps et leur fait connaître Dieu, les rend capables de participer aux sacrements, et à la fin il les traite et leur fait un petit régal.

Il parla aussi des frères Guillaume et Duchesne, qui, après avoir été esclaves, furent rachetés par l'aide du consul, à cause du zèle dont ils étaient animés dans leurs emplois auprès des pauvres esclaves.

À Madagascar, dit encore M. Vincent, les missionnaires prêchent, confessent, catéchisent continuellement depuis quatre heures du matin jusqu'à dix, et depuis deux heures après midi jusqu'à la nuit; le reste du temps, c'est l'office, c'est la visite des malades. Voilà des ouvriers, voilà de vrais missionnaires! Plaise à la bonté de Dieu nous donner cet esprit qui les anime, un cœur grand, vaste, ample! Magnificat anima mea Dominum!

(SV XI, 203-204, N° 125 du 26/07/1655)

  1. Il est temps que cette semence de la divine vocation sur vous ait son effet. Et voilà que M. le nonce, de l'autorité de la Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi, de laquelle notre Saint-Père le Pape est chef, a choisi la compagnie pour aller servir Dieu dans l'île Saint-Laurent, autrement dite Madagascar; et la compagnie a jeté les yeux sur vous, comme sur la meilleure hostie qu'elle ait, pour en faire hommage à notre souverain Créateur, pour lui rendre ce service, avec un autre bon prêtre de la compagnie.

Ô mon plus que très cher Monsieur, que dit votre cœur à cette nouvelle? A-t-il la honte et la confusion convenables pour recevoir une telle grâce du ciel? Vocation aussi grande et aussi adorable que celle des plus grands apôtres et des plus grands saints de l'Église de Dieu; desseins éternels accomplis dans le temps sur vous! L'humilité, Monsieur, est seule capable de porter cette grâce; le parfait abandon de tout ce que vous êtes et pouvez être, dans l'exubérante confiance en votre souverain Créateur doit suivre. La générosité et grandeur de courage vous est nécessaire. Il vous faut une foi aussi grande que celle d'Abraham; la charité de saint Paul vous fait grand besoin; le zèle, la patience, la déférence, la pauvreté, la sollicitude, la discrétion, l'intégrité des mœurs et le grand désir de vous consommer tout pour Dieu vous sont aussi convenables qu'au grand saint François Xavier.

(SV, III 278-279, N° 1020 du 22/0/648)

17. Quoi qu'il en soit, Monsieur, nous avons grandement regretté la privation de ces bons serviteurs de Dieu, et nous avons eu grand sujet d'admirer en cette dernière occasion surprenante les ressorts incompréhensibles de sa conduite. Il sait que de bon cœur nous avons baisé la main qui nous a frappés, nous soumettant humblement à ses touches si sensibles, quoique nous ne puissions comprendre les raisons d'une mort si prompte en des hommes qui promettaient beaucoup, au milieu d'un peuple qui demande instruction, et après tant de marques de vocation qui ont paru en eux pour le christianiser.

Cette perte pourtant, non plus que les précédentes, ni les accidents qui sont arrivés depuis, n'ont pas été capables de rien rabattre de notre résolution à vous secourir, ni d'ébranler celle de ces quatre prêtres et un frère qui s'en vont vers vous, lesquels, ayant eu de l'attrait pour votre Mission, nous ont fait de longues instances pour y être envoyés...

Je ne sais qui sera plus consolé à leur arrivée, ou vous, qui les attendez depuis si longtemps, ou eux, qui ont un très grand désir de se voir avec vous. Ils regarderont Notre-Seigneur en vous, et vous en Notre-Seigneur, et, dans cette vue, ils vous obéiront comme à nous-mêmes, moyennant sa grâce. Pour cela, je vous prie de prendre leur direction. J'espère que Dieu bénira votre conduite et leur soumission. Vous n'auriez pas été si longtemps sans être secouru, si deux embarquements qu'on a faits n'avaient mal réussi. L'un s'est perdu sur la rivière de Nantes, il y avait deux de nos prêtres et un frère, qui furent sauvés par une protection spéciale de Dieu; et près de cent personnes y périrent. L'autre, étant parti l'année passée, fut pris des Espagnols, et quatre autres de nos prêtres et un frère qui étaient dedans sont revenus. De sorte qu'il n'a pas plu à Dieu qu'aucune aide ni consolation vous soit arrivée de ce côté ici, mais il a voulu qu'elle vous soit venue immédiatement de lui seul; il a voulu être votre premier et votre second en cet ouvrage apostolique et divin auquel il vous a appliqué pour montrer que l'établissement de la foi est son affaire propre, et non pas l'œuvre des hommes. C'est ainsi qu'il en usa au commencement de l'établissement de l'Eglise universelle choisissant seulement douze apôtres, qui s'en allèrent, séparés par toute la terre, pour y annoncer la venue et la doctrine de leur divin Maître. Mais cette sainte semence ayant commencé de croître, sa providence fit que le nombre des ouvriers s'augmenta, et elle fera aussi que votre Eglise naissante, se multipliant peu à peu, sera pourvue à la fin de prêtres qui subsisteront pour la cultiver et pour l'étendre.

(SV VIII, 158-159, N° 3013 de Novembre 1659)

18. «Allez, Messieurs, au nom de Notre-Seigneur, c'est lui qui vous envoie, c'est pour son service et pour sa gloire que vous entreprenez ce voyage et cette mission; ce sera aussi lui qui vous conduira, et qui vous assistera et protégera. Nous l'espérons ainsi de sa bonté infinie: tenez-vous toujours dans une fidèle dépendance de sa fidèle conduite; ayez recours à lui en tous lieux et en toutes rencontres; jetez-vous entre ses bras, comme de celui que vous devez reconnaître pour votre très bon père, avec une ferme confiance qu'il vous assistera et qu'il bénira vos travaux.»

(Abelly, livre III, chapitre 3, p. 12)

  1. Mais y a-t-il chose plus rapportante à ce qu'a fait Notre Seigneur, lorsqu'il est descendu sur la terre pour délivrer les hommes de la captivité du péché, et les instruire par ses paroles et par ses exemples? Voilà l'exemple que tous les Missionnaires doivent suivre. Ils doivent être prêts à quitter leur pays, leurs commodités, leur repos pour ce sujet, ainsi qu'ont fait nos bons confrères qui sont à Tunis et à Alger, qui se sont entièrement donnés au service de Dieu et du prochain dans ces terres barbares et infidèles».

(Abelly, livre II, chapitre1, p. 142-143)

20. Monsieur, qu'un bon missionnaire est de grand prix! Il faut que Dieu le suscite et le façonne; c'est l'ouvrage de sa toute-puissance et de sa grande bonté. C'est pourquoi Notre-Seigneur nous a expressément recommandé de prier Dieu qu'il envoie de bons ouvriers à sa vigne; car, en effet, il ne s'en trouve point de bons, si Dieu ne les envoie, et de ceux-là il n'en faut que peu pour faire beaucoup: douze ont suffi pour établir l'Église universelle, malgré la sagesse humaine, la puissance du monde et la rage des démons. Prions Notre-Seigneur, Monsieur, qu'il communique l'esprit apostolique à la compagnie, puisqu'il l'a envoyée pour en faire l'office.

(SV VII, 613 N° 2879 du 20/06/1659 )