La dette internationale

LA DETTE PUBLIQUE

Traducteur: P : Jules Vilbas

Le Pape Jean-Paul II a consacré une attention spéciale à la question de la dette internationale dans sa Lettre «Tertio Millennio Adveniente » et dans sa Bulle «Incarnationis Mysterium ». Le Saint Père pense que «l'Année jubilaire doit être le moment propice pour rétablir la justice sociale et les droits des plus pauvres» (Lettre sur la préparation de l'an 2000, n° 13).

Ce qui opprime le plus les pays pauvres, c'est précisément la dette publique, qui pèse sur la population, rendant impossible toute amélioration des conditions de vie.

De fait, pour faire face aux dettes contractées avec les pays plus riches et avec les créanciers multilatéraux comme la Banque Mondiale ou le Fonds Monétaire International (FMI), les pays les plus pauvres utilisent les investissements nécessaires au développement social et économique de la population.

En décembre 1998, le Conseil National de Solidarité des Evêques français et la Commission Sociale de la Conférence Episcopale publièrent un document sur la dette extérieure des pays pauvres, accompagné d'une pétition adressée aux pays créanciers, leur demandant la suppression de la dette d'ici à l'an 2000. Beaucoup d'autres Conférences Episcopales ont traité le même sujet.

LES FAITS

En analysant le tableau ci-après, tiré des données de la Banque Mondiale, nous nous rendons compte plus exactement de la façon dont la dette publique se répercute sur l'économie des pays les plus pauvres du monde. Les pourcentages se réfèrent à la dette extérieure par rapport au Produit Intérieur Brut (PIB). De tels pourcentages sont supérieurs à la richesse produite en un an, ce qui rend impossible à ces divers pays de faire face à une telle dette. Cela entraîne comme conséquence l'accroissement de cette dette, parce qu'ils doivent destiner toutes leurs ressources au remboursement de leur dette internationale (Cf Tertio Millennio).

En conséquence, le principal problème n'est pas la dette mais la pauvreté des masses. La dette enfonce les peuples dans leur pauvreté, paralysant tout effort pour en sortir.

Presque la moitié de l'humanité doit survivre avec moins de 10 francs par jour. Parmi les riches, 20 % d'entre eux se partagent 83 % du revenu mondial, tandis que 20 % des plus pauvres n'ont droit qu'à 1,4 % du revenu mondial. Dans un tel contexte, le Programme du Développement des Nations Unies (PDNU) estime que les gouvernements sub-sahariens transfèrent à leurs créanciers du Nord quatre fois plus que ce qu'ils dépensent pour la santé de leurs habitants (Information pour le Développement Humain, 1997).

Au Cameroun, la dette extérieure est passée d'environ 4 milliards de dollars, en 1987, à 9,3 milliards de dollars en 1995 ; c'est-à-dire qu'en 8 ans elle a augmenté du double. Presque la moitié des recettes du Cameroun est utilisée pour payer la dette extérieure : plus du double du budget pour l'éducation et la santé réunies.

ANALYSE DES FAITS

Le poids du remboursement de la dette étrangle l'économie des pays affectés, elle bloque leur développement et comporte de lourdes conséquences sociales sur les prix, l'emploi et la santé. Au niveau mondial, l'accumulation de la dette oscille entre les 100 et les 200 milliards de dollars ; et, selon l'avis des mêmes organismes financiers internationaux, elle est en grande partie insolvable, vu les conditions financières des débiteurs et le fait que l'argent prêté n'a pas été investi en activités qui produisent assez de richesses pour payer les échéances. Il y a de lourdes responsabilités du côté des dirigeants des pays qui ont reçu l'argent. Cet argent a été tantôt détourné vers leurs coffres personnels, tantôt dilapidé dans l'achat d'armes ou affecté à des projets mal conçus et peu rentables.

Mais elle est grande aussi la responsabilité des prêteurs de nos pays riches. En 1970, avec la forte hausse des prix du pétrole, les grandes banques internationales ont vu affluer dans leurs coffres des sommes considérables, et ils se mirent à prêter aux pays pauvres, sans se soucier de la solvabilité des débiteurs. Les responsables de nos pays, pour pouvoir exporter et sauvegarder les emplois, accordèrent des prêts aux pays pauvres pour qu'ils achètent leurs produits. Autre grave erreur : ils accordèrent des prêts pour financer les infrastructures indispensables (routes, hôpitaux, écoles, etc.), alors que ces équipements auraient dû être financés par des subventions, puisqu'ils ne créent pas de revenu.

Quand un pays ne peut faire face aux remboursements, la communauté internationale, représentée par le Fonds Monétaire International (FMI), la Banque Mondiale et le club des pays créanciers (Club de Paris), lui accorde un délai pour payer. Les conditions supposent que le pays doit accepter un plan draconien d'austérité, destiné à casser l'inflation, à réduire les dépenses publiques et à libéraliser les échanges commerciaux. Cette politique comprend la dévaluation de la monnaie nationale, l'augmentation des taux d'intérêt, des taxes et l'augmentation des impôts pour accroître les recettes publiques et équilibrer le budget, la réduction des réglementations sur les affaires et sur les flux de capital pour stimuler les investissements locaux et étrangers. La production agricole et industrielle se voit altérée : elle passe des produits alimentaires et des biens essentiels à usage domestique aux marchandises pour l'exportation. Depuis le pays pauvre qui, pour rembourser sa dette, doit utiliser une grande partie des devises que lui fournissent ses exportations, ne peut plus rien acheter à l'extérieur, ni médicaments, ni pièces de rechange pour les machines. Il finit par travailler pour payer seulement les intérêts d'un capital impossible à rembourser.

Comme l'affirme la Oxfam Internationale dans son information d'avril 1997, «Poor Country Debt Relief», «Les paiements de la dette ont signifié des centres de santé sans remèdes, l'école sans les équipements nécessaires pour enseigner et l'effondrement des services d'expansion agricole pour plusieurs millions de familles pauvres du monde rural. La conséquence, c'est qu'elles sont incapables de maintenir leurs niveaux de santé et de nutrition». Les pourcentages de malnutrition et de mortalité infantile augmentent en beaucoup de pays et toute une génération d'enfants sont en train de perdre la chance d'acquérir une éducation. L'obligation de faire face aux paiements de la dette veut dire aussi que l'aide d'autres pays est souvent utilisée à recommencer à payer des remboursements plutôt qu'à améliorer la santé, l'éducation et d'autres services sociaux. La triste vérité, c'est que ce sont souvent les membres les plus faibles de la société qui paient le plus cher, sans aucune faute de leu part : les jeunes qui ont besoin d'être éduqués, les malades qui ont besoin des services médicaux, les pauvres à la recherche d'un travail.

Du point de vue financier, l'endettement important est un signe pour la communauté financière mondiale que le pays est un risque pour les investissements, qu'il n'est pas prêt à payer ses dettes ou qu'il en est incapable. Comme résultat, ces pays sont exclus des marchés financiers internationaux ou paient plus cher pour leur crédit.

Un chemin facile pour obtenir des devises étrangères plus fortes a été d'exploiter les ressources minérales de la terre. Les agriculteurs vivent sous pression pour produire plus de récoltes en de petites zones rurales. Fréquemment, ils utilisent des engrais chimiques coûteux qui dégradent le sol. Les réserves de poissons sont détruites par la pêche excessive. Les forêts sont souvent coupées par des campagnes nationales ou multinationales, au prix du déplacement de la population locale. Ces faits ont aussi des répercussions d'ensemble, même dans les pays riches : détérioration des terres voisines, migration et drogues illégales.

LA TRADITION CHRETIENNE

Quand la dette publique contribue à la souffrance des plus pauvres, elle va à l'encontre de l'enseignement catholique sur la vie et la dignité de l'homme.

Selon le chapitre 25 du Lévitique, le Jubilé était une année de grâce, qui revenait tous les 50 ans, pour «libérer les esclaves, remettre les dettes et permettre à chacun de rentrer en possession de sa terre». Le thème fondamental du Jubilé c'est que Dieu, dans sa bonté, a fait cette terre pour tous et que chacun a droit à en vivre dignement. Le Jubilé rétablit de justes relations entre les hommes et la société.

Le Cardinal Etchegaray, chargé par le Pape Jean-Paul II de la préparation du Jubilé, nous dit : «L'an 2000 doit être un appel fort à la conversion et à l'engagement, y compris sur le plan social et politique. Il est donc temps de rétablir le droit des pauvres et des marginalisés à jouir de la terre et de ses bienfaits qui sont un don du Seigneur à tous et à chacun de ses enfants».

Comme au temps du peuple d'Israël, c'est encore le poids de la dette qui écrase aujourd'hui les plus pauvres. Remettre les dettes est un des moyens de porter remède à une situation d'aujourd'hui intolérable : la permanence - et même l'aggravation - de la misère et de l'exclusion.

Enlaçant cette idée biblique avec le nouveau millénaire, le Pape Jean-Paul II affirme : «Les chrétiens devront se faire la voix de tous les pauvres du monde, proposant que le Jubilé soit un moment propice pour penser, entre autres, à une réduction importante, sinon à un effacement total, de la dette internationale, qui pèse sur le destin de nombreuses nations». (Tertio Millennio Adveniente, 51).

Aucune frontière ne compte : ni géographique, ni culturelle, ni religieuse, quand il s'agit de la dignité humaine. C'est la grande leçon de la parabole du «bon samaritain» : je n'ai pas à définir à l'avance «qui est mon prochain», mais je suis invité à me rendre proche de tout homme qui est dans le besoin.

Qui veut entrer dans la logique du Jubilé est appelé à pratiquer la charité et à prêter attention aux victimes de la pauvreté. Pour l'Eglise, la charité marche avec la justice et s'exprime dans la solidarité et la fraternité. Pour pratiquer la charité, les chrétiens sont appelés à s'engager concrètement dans la lutte contre les drames qui pèsent sur leurs propres frères et sœurs : le chômage, la faim, l'exclusion et la servitude sous toutes ses formes.

Le Secrétaire Général du Grand Jubilé, Mgr Crescenzio Sepe, a parlé d'une «urgence de réconciliation entre le monde des riches et celui des pauvres». Elle doit «se manifester dans des comportements concrets et dans une recherche efficace pour surmonter et éliminer des mécanismes et des structures d'injustice et d'inégalité».

En tant que membres de la Congrégation de la Mission, nous reconnaissons combien nous avons besoin de collaborer dans le service des pauvres. L'enseignement prophétique de saint Vincent, disant que les pauvres sont «nos maîtres et nos seigneurs», nous lance une fois de plus un défi, à l'entrée d'un nouveau millénaire. De même, la brèche croissante entre les riches et les pauvres nous parle avec une nouvelle urgence. Durant l'Assemblée Générale de 1998, en union avec les autres membres de la Famille Vincentienne, nous avons décidé d'appuyer le mouvement pour l'annulation ou la réduction de la dette internationale des pays pauvres, afin de commémorer l'Année Jubilaire. Au seuil du nouveau millénaire, nos engagements proviennent de notre détermination à essayer d'approfondir les maximes évangéliques et à les faire passer dans nos vies.

CONCLUSION

Reconnaissant l'impossibilité de beaucoup de pays pauvres à faire face à leur dette, la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International se sont mis d'accord en 1996 pour un plan qui réduise la dette. Le Programme «Pays Pauvre Très Endetté» (HIPC) prétend réduire jusqu'à un niveau soutenable le montant de la dette des pays les plus pauvres. Mais l'attribution du titre, pour recevoir l'aide, traîne en longueur et il n'arrive qu'à un petit nombre de pays.

Deux réseaux internationaux d'Organisations Catholiques pour le développement, CIDSE (Coopération Internationale pour le Développement et la Solidarité) et CI (Caritas Internationale) travaillent ensemble pour libérer les pays pauvres de leur dette insolvable. Pour atteindre cet objectif, ils plaident pour :

1. Améliorer le Programme HIPC ;

2. Relier l'annulation de la dette à l'investissement en développement humain ;

3. Garantir que les décisions sur l'aide pour acquittement de la dette se prennent de façon transparente. Les gouvernements et les institutions financières internationales doivent partager l'information sur la manière exacte dont on emploie l'aide destinée à alléger la dette, ainsi que sur les conditions requises pour telle aide ; il est important d'ouvrir un dialogue entre les mouvements de citoyens et les gouvernements sur les priorités du budget national ;

4. Changer la structure des relations financières internationales pour assurer que les débiteurs et les créanciers interviennent sur un plan d'égalité dans les négociations concernant la dette.

En plus de la CIDSE et de CI, d'autres organisations, telles que la Conférence Catholique des Etats-Unis, le Service Catholique de «Aide et Pain pour le Monde », croient que la dette internationale est la principale cause de pauvreté et qu'elle menace le développement de la population dans les pays les plus appauvris du monde. De cette façon, l'annulation de la dette devrait laisser des ressources pour investir en développement humain, par des chemins qui soient appropriés à chaque pays et déterminés après consultations entre les gouvernements et la société civile. Une telle consultation suppose un contexte social où les gens soient libres de parler et d'écouter, s'assurant que les réformes économiques et sociales prennent des mesures efficaces pour réduire la pauvreté et protéger l'environnement.

L'initiative de l'Eglise italienne pour réduire la dette extérieure des pays pauvres a deux objectifs précis : recueillir pour l'an 2001 une somme de cent milliards de lires, afin de financer des projets d'aide à quelques pays africains ; racheter au gouvernement italien les sommes de la dette contractée par deux pays africains, encore à identifier, dans le but d'annuler totalement leur endettement.

Les initiatives en cours ont été expliquées par Mgr Ennio Antonelli, Secrétaire Général de la Conférence Episcopale Italienne. Il a parlé d'un «grand geste de solidarité», qui comprend trois moments fondamentaux : la collecte des dons jusqu'à l'an 2001 ; le rachat devant le gouvernement italien des sommes de la dette contractée entre deux pays pauvres et l'Italie ; le versement du même montant en devise locale, par les pays bénéficiaires, pour financer des projets de développement dans leur propre territoire ».

Dans un document de l'Episcopat français, publié en vue du Jubilé, les Evêques français indiquent quatre objectifs immédiats :

* Annuler en l'an 2000 la part de dette que tous reconnaissent comme insolvable (100 milliards de dollars). Cette somme ne dépasse pas ce qui a été versé récemment à certains pays d'Asie pour écarter le risque que leur crise faisait peser sur l'économie du monde entier.

* Négocier de nouvelles règles de financement pour éviter le surendettement à l'avenir.

* Constituer auprès des Nations Unies un Conseil de Médiation comme siège de ces négociations.

* Stimuler l'aide publique au développement pour soutenir les dépenses sociales, en particulier dans les secteurs de l'éducation et de la santé.

Chacun de nous peut aider les pauvres, soit comme membre de la Famille Vincentienne, soit en tant que chrétien, dans le sens le plus large du mot, pour contribuer de façon active à diverses campagnes.

Questions pour des discussions entre confrères :

1* Quelle est votre réaction personnelle par rapport à l'enseignement actuel de l'Eglise sur le problème de la dette internationale traité par le Pape Jean Paul II et les divers documents des différents commissions épiscopales ?

2* Allez-vous enseigner ou prêcher ces orientations ? Si oui que direz-vous ? Quelle méthode allez -vous employer ? Si non quels en sont les motifs ?

AFRIQUE

Angola 302,2 %SUD-EST

Burundi 100,4 %ASIATIQUE

Cameroun 112,8 %

Congo Zaïre 112, %Laos121,9 %

Côte d'Ivoire 201,3%Viêt-nam114,7 %

Ethiopie 169, %

Guinée 85,6 %

Guinée Bissau 357,8 %

Kenya 76,9 %AMERIQUE

Madagascar 104,7 %LATINE

Mozambique 378,6 %

Nigeria 79,5 %Bolivie 80,9 %

R. du Congo 279,3 %Guyane245,9 %

Rwanda 78,5%Honduras 117,7 %

São Tomé etNicaragua354,6 %

Principe 617,8 %

Sénégal 72,9 %

Tanzanie 129,7 %

Zambie 215,9 %

- 7 -