Les provinces européennes de la C.M. et la mission ad gentes

Les provinces européennes de la C.M. et la mission « ad gentes »

par Ignacio Fernández Mendoza, C.M.

Vicaire Général

Ce numéro de Vincentiana essaie d'offrir aux lecteurs quelques coups de pinceau sur les provinces européennes de la C.M.. Le comité responsable de la revue m'a demandé d'écrire un article sur la mission « ad gentes », qui a reçu son impulsion - dans le passé et aujourd'hui - des provinces du vieux continent. Je n'ai pas l'intention de parler longuement et en détail de la mission « ad gentes » réalisée dans le passé par ces provinces. Il y a des spécialistes de la C.M. plus qualifiés que moi pour écrire une telle histoire à tête reposée.

Caractère missionnaire de la C.M.

La Congrégation de la Mission est née au cœur de l'Europe. Le caractère missionnaire dont Saint Vincent l'a dotée est un trait significatif. Cela est confirmé par ses fréquents enseignements et les gestes concrets du saint qui, malgré le nombre réduit des membres de la Congrégation naissante, entreprit des missions lointaines de grande envergure. En peu d'années la C.M. se rendit présente en divers pays d'Europe et même hors de l'Europe.

De leur côté, les Constitutions actuelles reprennent diverses orientations sur l'activité missionnaire de la C.M. : « L'œuvre d'évangélisation que la Congrégation se propose d'accomplir doit se caractériser par... une disponibilité pour aller partout dans le monde, à l'exemple des premiers missionnaires de la Congrégation. » (C 12)... « Parmi les oeuvres apostoliques de la Congrégation, les missions, soit qu'elles concernent la Mission « ad gentes » ou qu'elles s'adressent à des peuples en situation analogue du point de vue de l'évangélisation, occupent une place éminente » (C 16).

Ce cœur qui nous fait « aller aux quatre coins du monde »

(SV. XI, 291).

Née en Europe, la C.M., comme on l'a dit, s'est étendue en long et en large dans le monde à la manière de cercles concentriques. Les provinces d'Europe ont à leur actif une longue et féconde histoire missionnaire. Par étapes successives, elles ont évangélisé et implanté la C.M. en d'autres continents : l'Afrique, l'Asie, l'Amérique, les Iles du Pacifique et le Moyen-Orient. Toutes les provinces européennes, les unes plus que les autres, ont perçu la mission comme un devoir fondamental, lié à leur propre vocation Vincentienne. Aux 19ème et 20ème siècles en particulier, des promotions entières de missionnaires partirent des provinces et des pays d'Europe vers les lieux où la C.M. se trouve aujourd'hui solidement implantée. Parfois, une province précise entreprenait une nouvelle mission en un lieu déterminé du monde ; d'autres fois, des missionnaires de diverses provinces collaboraient en une même mission.

Nous signalons, à grands traits seulement, l'expansion missionnaire dans les différentes zones du continent africain : les zones italienne et hollandaise en Ethiopie, la zone portugaise au Mozambique, la zone belge au Congo- en comptant sur la collaboration des missionnaires polonais et hollandais-, la zone française au nord de l'Afrique, à Madagascar et au Cameroun, et la zone irlandaise au Nigeria. Aujourd'hui, diverses provinces d'Europe mènent à bonne fin des entreprises missionnaires, par exemple à Madagascar, où collaborent des missionnaires venus de France, de Pologne, d'Italie, de Slovénie et d'Espagne, ceux-ci étant dans la région de Androy. Actuellement, presque toutes les provinces d'Afrique ont des confrères européens en ce qui concerne la mission proprement dite. Elles continuent également à recevoir des provinces d'Europe une aide économique, surtout pour la promotion des pauvres et la formation du clergé local.

La mission et la présence de la C.M. en Asie et dans les îles du Pacifique se doit aussi, dans une large mesure, à l'impulsion missionnaire des provinces d'Europe, réalisée dans le passé. Depuis l'Espagne, par exemple, on fit prospérer la mission des Philippines et de l'Inde. Comme résultat d'une action missionnaire tenace, la C.M. se trouve aujourd'hui, dans les deux pays, pleinement enracinée et en voie d'expansion. Les confrères hollandais, avec la collaboration de missionnaires d'Italie, ont porté l'évangile en Indonésie, où la C.M. jouit aujourd'hui d'une évidente vitalité. Au Viêt-nam, la mission et la présence de la C.M. doivent leur origine aux confrères français et hollandais. La grande mission de Chine continentale et insulaire reçut son impulsion de missionnaires de diverses provenances : des italiens, des portugais, des français, des hollandais, des polonais, des hongrois et des irlandais. C'est grâce aux missionnaires d'Irlande que la C.M. s'enracina en Australie.

Les confrères français travaillèrent au Moyen-Orient et y implantèrent la C.M., avec de nos jours une présence inégale, selon les pays : le Liban, la Syrie, Israël, l'Egypte et l'Iran.

En Amérique, l'action missionnaire suivit le même chemin que la mission faite en Afrique et en Asie. Les provinces européennes se donnèrent à fond pour coopérer à l'évangélisation du nouveau continent et y établir la C.M. Dans l'ensemble, on peut dire que la plupart des provinces d'Europe ont envoyé des confrères évangéliser les lieux où se trouve aujourd'hui la C.M. Ce furent des confrères qui, sur proposition des supérieurs généraux, tracèrent leur sillon dans un premier temps et implantèrent la C.M. en Amérique Latine : au Brésil, en Argentine, au Chili, au Pérou, en Equateur, en Colombie et en Amérique Centrale. Ensuite, la poursuite de cette action missionnaire initiale est due à des missionnaires venus d'autres provinces. Le Brésil reçut l'aide missionnaire des confrères portugais, polonais et hollandais. L'ancienne province du Pacifique se consolida grâce à des missionnaires venus de points d'Europe très différents, entre autres de la Province de Barcelone. L'Amérique Centrale reçut des missionnaires de Hollande, et Costa Rica, de l'Allemagne. Les provinces espagnoles portèrent l'évangile dans toute une partie de l'Amérique Latine : au Mexique, à Cuba, à Puerto Rico, au Pérou et au Venezuela, sans cesser pour autant de collaborer en d'autres territoires du nouveau continent. Les provinces de Barcelone et de Saragosse animent chacune actuellement des missions en Honduras. 170 missionnaires espagnols de la C.M. coopèrent, en ce moment, à l'œuvre d'évangélisation en Amérique Latine, en Afrique et en Asie.

La mission des vincentiens et l'implantation de la C.M. aux Etats-Unis sont dues à des missionnaires venus de divers pays d'Europe : des italiens, des espagnols et plus tard des polonais, ceux-ci se situant dans l'actuel territoire de la Province de Nouvelle Angleterre. Les confrères français et slovènes lancèrent la mission au Canada.

Au seuil du troisieme millénaire

L'été dernier, j'ai passé une semaine en Belgique, grâce à l'hospitalité des confrères. Je suis allé aussi à la maison de Panningen, en Hollande. Un fait m'appela fortement l'attention : tous les jours, durant les brèves rencontres communautaires, la conversation des confrères roulait, d'une façon ou d'une autre, sur la mission du Congo. La plupart de ces confrères avaient travaillé dans ce pays et ils y avaient découvert le vrai sens de leur vocation Vincentienne. Maintenant, en raison de leur santé ou de leur âge, ils s'étaient vus obligés de revenir à leur pays d'origine. Ce qui est certain c'est que ces vieux missionnaires, belges et hollandais, malgré la distance, suivent de près tout ce qui arrive dans leurs chères missions. Ils analysent et commentent l'évolution politique et sociale, la guerre et la paix dans ces territoires. Ils s'intéressent aux communautés chrétiennes qu'ils ont fait naître et, en particulier, à la situation des provinces : communautés, ministères, vocations, etc. L'échange des nouvelles avec les lieux de ces missions est fréquent grâce aux médias et aux missionnaires qui reviennent en Europe pour raison de santé, afin de prendre quelques jours de repos ou de commencer une retraite bien méritée dans le pays natal. En un mot, depuis leur retranchement, ces confrères qui partirent un jour dans des pays de mission, une fois revenus « chez eux », se sentent encore missionnaires, impliqués à fond à travers la prière, le souvenir intime, la correspondance et l'aide économique, dans les missions qui ont donné un sens à leur vie.

Un fait incontestable, ça oui, leur fait à tous mal au cœur : c'est que l'âge élevé de la plupart des confrères et le manque de vocations, dans leur propre pays et dans l'ensemble de l'Europe, va sûrement empêcher à l'avenir l'apport de missionnaires européens vers cette chère mission du Congo et vers ces autres territoires du vaste monde, qui ont besoin de l'aide missionnaire.

« Notre vocation est d'aller... par toute la terre »

(SV. XII, 262)

Ce qui a été dit sur les confrères de Belgique et de Hollande reflète, salvatis salvandis, la situation actuelle de la plupart des provinces d'Europe. Qui plus qui moins, toutes s'aperçoivent que nous vivons un temps de transition. Ils sont passés les temps où un bon nombre de missionnaires partait fréquemment d'Europe vers un pays de mission déterminé. Par suite du progrès de la sécularisation et à cause de la baisse des vocations, qui en est une conséquence, l'action des missions lointaines de la C.M., lancée depuis l'Europe, va changer de signe ; et la relève bien entendu, passera en d'autres mains. Depuis le début de la C.M. jusqu'à la fin du 20ème siècle, le poids de la mission « ad gentes » et de l'implantation de la C.M. en de nombreux pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique, est retombé avant tout sur les provinces européennes. Cependant, si les pronostics ne ratent pas, au début du troisième millénaire, les provinces d'Europe vont continuer à participer à la mission « ad gentes » avec beaucoup de générosité mais avec moins d'entrain.

Par nécessité, on avancera en Europe -sans hâte mais sans lenteur- vers une plus grande collaboration interprovinciale, peut-être vers l'unification de quelques provinces, et sans aucun doute on va fomenter une réforme draconienne des œuvres d'apostolat. Cela présumé, les provinces d'Europe, en accord avec leur passé, continueront à donner une impulsion à la mission lointaine, surtout en Europe de l'Est et en Russie, mais en tenant parfaitement compte de certaines conditions. Une province, la Pologne par exemple, dispose d'un personnel qui rend possible la mission « ad gentes », surtout, vu l'urgence et le besoin, en Europe de l'Est et en Russie. D'autres provinces continueront à réaliser des projets missionnaires déjà adoptés, et elles auront même des moyens humains et économiques suffisants pour faire front à des missions lointaines de petite envergure. Il sera possible aux provinces d'Europe de prendre part aux missions interprovinciales ou internationales en collaboration avec des confrères d'autres continents et d'autres provinces. La plupart de ces nouvelles missions internationales, créées par le Supérieur Général et, dans certains cas, par quelques provinces, reçoivent la collaboration de missionnaires européens. Il en est ainsi en Albanie, à Kharkiv (Ukraine), à Niznij Tagil (Russie), en Tanzanie et à El Alto (Bolivie). Des missionnaires européens collaborent aussi dans les provinces de Cuba et de Chine, ainsi que dans la Vice-province de Mozambique ; c'est ce qui permet à celles-ci de subsister, grâce à l'arrivée de nouveaux missionnaires en réponse aux appels successifs du Supérieur Général. En dernier lieu, compte tenu que la C.M. est un seul corps, les provinces d'Europe vont avoir la possibilité d'aider économiquement les missions « ad gentes », dirigées par des confrères d'autres zones géographiques, dépourvus de moyens économiques. Un fait remarquable est la coopération des laïcs Vincentiens dans la mission « ad gentes ». Les provinces européennes devraient apprécier et prendre en grande considération les possibilités qu'offre à ce sujet l'intégration des laïcs Vincentiens dans ce ministère exercé traditionnellement par des clercs et des religieux. Il s'agit d'un fait nouveau, capable d'engendrer de nouvelles espérances.

En regardant l'avenir

A l'intérieur de la C.M., le changement le plus notoire dans la mission « ad gentes » sera que l'animation missionnaire, longtemps détenue par les provinces d'Europe, cessera graduellement. A court et à moyen terme, il est à supposer que les initiatives missionnaires les plus notables recevront leur principale impulsion des confrères venus d'autres sphères. Les provinces d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine, qui dans le passé reçurent une aide de l'extérieur, en particulier de l'Europe, offriront à leur tour une aide missionnaire à d'autres pays et tiendront aussi le rôle principal quand il faudra commencer et maintenir de nouvelles missions « ad gentes ». Les cycles historiques changent de façon imparable. Actuellement, selon les statistiques, le catholicisme se déplace de l'hémisphère nord à l'hémisphère sud. C'est un fait qui influera chez ceux qui doivent, dans le prochain avenir de la C.M., donner de l'impulsion à la mission « ad gentes ». D'autre part, dans cette dernière décade, diverses provinces d'Asie, d'Amérique et d'Afrique, qui jusqu'à maintenant recevaient du personnel étranger, ont commencé à donner des missionnaires et à assumer de nouveaux projets de mission.

En tout cas, malgré la baisse des vocations vincentiennes en Europe, il faudra éviter de tomber dans une tentation possible : celle de s'enfermer chez soi, cherchant avant tout la propre sécurité, au détriment de l'ouverture à la mission universelle. Les missions « ad gentes » apportent de l'air frais dans les poumons de la C.M. et des provinces ; elles sont un point de référence irremplaçable pour les actuels et les futurs candidats à la vie missionnaire dans la C.M..

En harmonie avec les temps actuels

L'image et les méthodes qui se rapportent à la mission « ad gentes » ont évolué depuis la première guerre mondiale et, en particulier, depuis le Concile Vatican II. J'ai eu l'occasion de connaître comment concevaient la mission lointaine les missionnaires qui partaient vers différents pays de mission dans les années antérieures à Vatican II. J'ai suivi aussi de près la mentalité de nos missionnaires et leur façon d'affronter la mission « ad gentes » durant ces dernières décades. Aujourd'hui, la réflexion théologique et pastorale sur la mission « ad gentes » utilise en toute simplicité un tas d'idées qui dénotent une vision différente de la mission. Par écrit et oralement, on parle d'insertion dans la vie sociale des peuples, d'estime des valeurs culturelles et religieuses du pays, d'inculturation de l'Evangile, d'annonce de la parole et de promotion humaine, d'éveil des vocations du pays, des expressions liturgiques de couleur locale et de dialogue avec les autres croyances.

Les magistère de l'Eglise a assumé ces changements et les a même encouragés. Il suffit de citer le décret « Ad Gentes », approuvé par Vatican II, l'exhortation apostolique « Evangelii Nuntiandi » et l'encyclique « Redemptoris Missio ». Dans ces documents, de nombreuses normes missionnaires se remarquent ; les unes sont de validité permanente, d'autres liées aux circonstances.

Les provinces et les missionnaires d'Europe, après une sérieuse analyse sur les méthodes de mission adoptées dans le passé, ont résolument assumé les changements d'idées et de pratiques exigés par la nouvelle ecclésiologie et, en particulier, pour la « missionologie » en vigueur de nos jours. C'est depuis ce tremplin que les missionnaires européens de la C.M. vont continuer à apporter, au début du troisième millénaire, leur grain de sable en ce qui concerne la mission « ad gentes ».

(Traduction : JULES VILBAS, C.M.)