La mission aux jeunes

La mission aux jeunes

David Fernández Núñez, C.M.

Province de Salamanque

Introduction

En Espagne, la pastorale des jeunes a aujourd'hui devant elle deux défis importants: le premier est celui de l'enculturation évangélisatrice et l'autre, non moins important est celui du manque de pasteurs proches du monde des jeunes.

Ce monde des jeunes, en Espagne, est en partie soumis à un profond changement sociologique qui a invalidé bien des pastorales des jeunes traditionnelles. Chez quelques spécialistes de cette pastorale se propage le découragement devant la difficulté croissante pour établir des ponts entre deux mondes qui paraissent irréconciliables : celui du message de la foi chrétienne que l'on désire construire, et la réalité du monde des jeunes d'aujourd'hui.

Il faut se demander: Est-ce que les jeunes forment une unité sociologiquement compacte et claire? Existe-t-il une seule culture juvénile parfaitement délimitée et qui marque une différence par rapport à celle des adultes?

André Orizo ( 1 ) nous dit qu'aujourd'hui l'âge est en Espagne un facteur important pour délimiter les attitudes et les valeurs. Les données sociologiques montrent qu'à mesure que l'on avance en âge, les attitudes conservatrices et traditionnelles se maintiennent en plus grande proportion, et que le phénomène inverse se produit quand l'âge diminue. De sorte que les attitudes plus révolutionnaires, radicales, ouvertes et dans les goûts du temps, sont celles qui maintiennent jeunes les individus.

Je cite André Orizo lui-même: "Ainsi, les groupes d'un âge jeune maintiennent certaines valeurs au-dessus des autres: la santé et le crédit affectif, la tendance au changement, l'attention aux amis et au temps libre, les valeurs issues du matérialisme, le souci du milieu ambiant, la technologie et les progrès scientifiques, la permissivité, le potentiel d'action politique (grèves illégales et occupation des édifices ou des usines), l'identité européenne. Et ils sous-estiment en même temps : la famille, la religion, la politique, l'autorité, la fierté d'être espagnol ou de lutter pour son pays".

Deux sous-cultures juvéniles

Mais, selon André Orizo, les données sociologiques montrent qu'il y a une série d'ensembles de thèmes où, même en gardant la règle antérieure, sa régularité n'est plus vraie. Pour les jeunes de 18 à 24 ans et pour ceux qui ont entre 25 et 34 ans, la hiérarchie des valeurs n'est pas la même. Le groupe de 18 à 24 ans est celui qui se déclare plus satisfait de sa propre vie et qui partage avec son conjoint moins d'attitudes et de principes. Il se dit plus à droite sur l'échelle politique que ne le font ceux des générations comprises entre 25 et 44 ans. Ils se désintéressent de la politique, ils n'abordent pas trop ces sujets et restent indécis quant au vote. Encore plus à droite se situent les jeunes si nous les comptons à partir de 15 ans et, aussi, ils sont moins partisans que leurs aînés du divorce, de l'avortement et des relations en dehors du mariage.

Les 18-24 ans sont ceux qui font davantage appel à l'Église, ce qui change aussitôt parmi les 25-34 ans.

En ce qui concerne le mariage, les enquêtes révèlent, curieusement, qu' il y a chez les plus jeunes un retour aux formes traditionnelles: Les jeunes espagnols ont accru leur préférence pour la formule du mariage religieux; mais cela n'implique pas qu'ils soient beaucoup plus fidèles dans la relation de couple.

Entre 1981 et 1990 on enregistre une hausse importante quant l'acceptation, de la part des jeunes, de l'idée que chacun doit avoir la possibilité de jouir d'une complète liberté sexuelle.

Groupes de jeunes

Xavier Elzo (2) part de l'hypothèse que derrière la jeunesse, comme unité d'analyse, il n'y a aucune catégorie sociologique pourvue d'une réelle homogénéité. Cela n'empêche pas que l'on puisse faire des études comparatives sur l'évolution de la jeunesse, sur ses comportements et ses valeurs. On note une divergence entre six groupes sociologiques dans le monde de la culture juvénile.

Groupe n° 1 : "Sans repères, je-m'en-foutiste"

Selon les données de l'enquête sociologique, on compte ici 10 à 11% des jeunes. Appartiennent à ce groupe tous ces jeunes, dont une grande majorité de garçons, d'un âge un peu inférieur à la moyenne, dont 8% sont d'une classe sociale élevée par rapport à la moyenne de la population, et dont beaucoup vivent dans les grandes villes.

Ce groupe est identifié comme "je-m'en-foutiste", viveur, contraire aux institutions, bien qu'il ne fasse rien pour les nouveaux mouvements sociaux et qu'il ne s'y fie pas non plus. Il est le prototype du jeune qui pense seulement à se divertir, à bien s'amuser, sans plus de complications que celles d'avoir les moyens pour cela. Sous plus d'un aspect, il y a lieu de penser que le jeune “sans repères", “tribu urbaine", est proche sous certains aspects de ce que l'on a appelé la "génération X".

Groupe n° 2: "Intégré"

Selon les données des enquêtes, il paraît être le groupe le plus nombreux parmi les six groupes typiques: il correspond à 34-42% des personnes interrogées.

C'est un groupe à majorité féminine, un peu plus jeune que la moyenne, de classe sociale moins élevée que la moyenne; en politique on peut le situer au centre, attaché aux valeurs élevées selon les paramètres religieux institutionnels catholiques; il est altruiste, attaché au foyer et disposé à assumer des responsabilités. Ces jeunes ont davantage confiance dans les institutions que dans leurs contemporains, davantage confiance de même dans les nouveaux mouvements sociaux, spécialement ceux qui sont plus en harmonie avec leurs croyances religieuses. C'est généralement dans ce groupe que recrutent beaucoup d'organisations chrétiennes (paroisses, catéchistes, etc ...).

Groupe n° 3: Post-moderne

Si nous nous en tenons à l'enquête, 24,3% des jeunes espagnols entreraient dans ce groupe. C'est à celui-ci qu'appartiennent des jeunes au niveau d'études élevé et d'un âge plus avancé: ils sont au-dessus de la moyenne. Ils s'affichent comme des jeunes de gauche, et ils montrent une faible appréciation de la dimension institutionnelle de la religion. Ils ont en grande estime des mouvements sociaux précis comme ceux des objecteurs de conscience, des pacifistes, des écologistes, des "pro-gays" et des féministes. Ils ont une confiance limitée envers les mouvements institutionnalisés, tels que les partis politiques, les forces armées ou l'Église. Ils ont bien conscience de la marginalisation où, dans la société d'aujourd'hui, on relègue la jeunesse, à qui on refuse un poste de travail. Ils sont carrément permissifs face à l'éthique personnelle (au niveau sexuel, par exemple, ou de la consommation de l'alcool et des drogues) ; mais ils sont plus rigoureux envers les comportements dans le domaine social.

Groupe n° 4: "Réactionnaire"

Selon les données de l'étude sociologique, on compte ici 15 % des personnes interrogées. La première et principale note définissable de ce groupe est sa position négative face à des mouvements sociaux déterminés, récemment surgis parmi nous, tels que les pacifistes, les insoumis, les opposants à la ségrégation raciale, les partisans des droits de l'homme et de l'appui aux malades du SIDA, les militants des mouvements gays et féministes, les écologistes, les antinucléaires, entre bien d'autres tendances. Cela définit un profil très net de jeunes rigoristes, opposés à la liberté sexuelle ou aux partisans de l'avortement.

Le profil prédominant est celui d'un garçon de la classe moyenne (y compris moyenne-basse), qui habite dans des villes de moins de dix mille habitants. Il est réticent aux nouveaux mouvements sociaux, sa morale est très traditionnelle, héritée de sa famille; il est d'extrême droite. De ce groupe surgissent les jeunes les plus intolérants de la société espagnole envers les immigrants, les réfugiés, les marginaux. etc., et quelques-uns d'entre eux se montrent violents et sont traités de "fascistes" par leurs compagnons.

Croupe n° 5: "Radical"

Il est, en général, très minoritaire dans la société espagnole; bien qu'il y ait des régions où ses partisans sont plus nombreux en s'unissant au radical socialisme. D'après l'étude que nous commentons, ils représentent 2,17% du total des jeunes; mais c'est le plus homogène de tous.

Ce groupe est représenté en majorité par des garçons, d'un âge un peu inférieur à la moyenne: c'est une représentation limitée d'une classe élevée ou moyennement élevée. On y trouve beaucoup d'universitaires avec un gros pourcentage d'échec scolaire. Très radical en politique, opposé aux institutions, mais exigeant de l'administration la solution de ses problèmes, ce groupe repousse la religion institutionnelle. Et les sociologues indiquent qu'ils sont le reste d'un type de jeunesse condamné à disparaître.

Groupe n° 6: "Conservateur libéral"

C'est le plus conservateur et le plus traditionnel de tous. Selon les enquêtes, ils représentent 13,86 des jeunes interviewés. Sur bien des points ils sont conservateurs, mais ils côtoient le "je-m'en-foutisme" pour justifier des comportements tels que l'ivrognerie délibérée, le tapage nocturne dans les rues, les relations sexuelles en dehors du mariage, etc. (Ils rejettent, toutefois, la consommation des drogues). Ils affichent envers les nouveaux mouvements sociaux une appréciation mitigée, sinon négative. Ce groupe ne critique pas les institutions, il est un échantillon du citoyen pragmatique qui prend dans la société ce qui lui convient pour ses fins. Il est compétitif, mais sans trop faire d'efforts: c'est une espèce d"'autiste social”.

Toutes ces typologies (dans leur caractère schématique, provisoire et hypothétique), peuvent être d'un grand intérêt au moment de planifier et de diversifier la proposition pastorale pour la jeunesse.

La culture et l'évangélisation ont-elles une relation?

Depuis quelque temps, l'Église intensifie sa réflexion sur ce problème. Le Pape Paul VI a écrit que "la rupture entre l'Évangile et la culture est, sans aucun doute, le drame de notre temps". (E N, 20)

Il propose, dans "Evangelii Nuntiandi", la synthèse de tout un processus de pensée qui déclenche une nouvelle dynamique dans l'Église. L'Encyclique identifie la Mission de l'Église avec l'Évangélisation (n° 14) en détachant trois aspects fondamentaux: la dimension missionnaire (n° 23), l'humanisation évangélique des cultures (n° 18-20) et la libération des opprimés (n° 30-39).

Le paragraphe suivant est spécialement significatif: "L'évangélisation perd beaucoup de sa force et de son efficacité si elle ne prend pas en considération le peuple concret auquel elle s'adresse, si elle n'utilise pas sa langue, ses signes et ses symboles, si elle ne répond pas aux questions qu'il pose et ne rejoint pas sa vie concrète" (n° 63).

Mais, récemment, le Pape Jean-Paul II a présenté l'enculturation comme un des aspects fondamentaux d'une action d'évangélisation complète de l'Église, en faisant aussi allusion à la relation réciproque entre l'Évangile et les cultures auxquelles il parvient.

Il est bon de rappeler qu'on n'évangélise pas directement les cultures: on évangélise les personnes dans leur culture. Indépendamment de soi, on travaille dans sa propre culture ou dans une autre en tant que serviteurs de l'Évangile. On ne peut imposer nos propres schèmes culturels. Il faut plutôt être témoins de la créativité de l'Esprit qui travaille aussi dans les autres. En définitive, ce sont les personnes de chaque culture qui enracinent l'Église et l'Évangile dans leur vie.

La pratique de l'enculturation et les cultures juvéniles

Les recettes pratiques sont impossibles. Ce qui est vraiment sûr, c'est que s'enculturer n'est pas se déguiser ou feindre que l'on est, là où l'on n'est pas. Un homme de 50 ans et plus ne peut feindre qu'il en a 20, et c'est pourquoi il fera toute tentative d'enculturation à partir de ses propres valeurs et expériences. On ne peut pas bluffer. De là la difficulté de l'enculturation directe.

L'unique point de départ qui soit valable c'est d'essayer de travailler sincèrement à partir de l'expérience partagée entre chrétiens et incroyants, dans une culture séculaire et sérieuse, en faisant croître cette expérience sur la base du respect et de l'amitié, en suscitant une occasion de dialogue mutuel et en abordant des problèmes communs. Ce dialogue doit se baser sur un partage de la vie et sur un engagement de collaboration active pour la libération et le progrès de l'homme, en essayant de partager ses valeurs et ses expériences.

Mission aux jeunes

Tout travail d'évangélisation suppose l'annonce de Jésus-Christ comme la meilleure réponse aux besoins et aux attentes de chaque homme et de toute société. Concrètement, les prétentions de la mission aux jeunes sont les suivantes:

1) Provoquer la rencontre de chaque jeune avec Jésus-Christ, Chemin de Vérité et de Vie.

2) Aider les jeunes à répondre avec courage et générosité au Dieu de Jésus-Christ, qui les cherche, les appelle et a besoin d'eux.

3) Favoriser l'intégration des jeunes dans la vie paroissiale et dans les groupes déjà existants ou dans ceux qui surgiront de la mission et qui pourraient les aider à mûrir leur foi personnelle à partir d'un projet de pastorale des jeunes (celui des JMV, ou de tout autre jugé opportun...).

1. Destinataires

Nous adressons l' invitation à tous les jeunes de la paroisse. Ce qui donne comme résultat un groupe hétérogène formé de:

- Jeunes adolescents (14-17 ans)

- Jeunes (18 ans et au-delà).

Une des possibilités est de travailler avec les jeunes de tous les âges ensemble. En ce cas, selon la prépondérance d'un âge ou d'un autre, nous pouvons envisager un type précis de mission aux jeunes. (Il faut tenir compte de la différence entre un groupe de jeunes adolescents et un groupe de jeunes adultes, quand l'un des deux est majoritaire). En général, quand le groupe des jeunes adultes est important, la dynamique de la mission a une incidence et un retentissement plus grands. Les missionnaires doivent accorder un soin spécial Au groupe des jeunes adultes, puisque c'est de ce groupe que sortiront les animateurs des groupes de jeunes et de préadolescents. Ce sont eux, en définitive, qui donneront de la consistance à la pastorale des jeunes dans la paroisse.

2. Convocation

Elle commence dès la période de pré-mission, avec les visites à domicile, en parlant de la dynamique de la mission et au contact des personnes proches de la paroisse. Celles-ci sont allé inviter spécialement les jeunes pour qu'ils s'intègrent dans toute la dynamique de la mission et particulièrement aux activités des jeunes.

L'invitation à tous les jeunes de la paroisse est faite pendant le déroulement de la mission par:

- l'équipe des prêtres de la paroisse,

- les jeunes qui fréquentent la paroisse: ce sont eux qui invitent les jeunes qui ne sont pas encore convoqués,

- les missionnaires venus du dehors.

Les milieux où se fait cette convocation sont:

- Les lieux d'études (visités par les missionnaires dans la semaine qui précède les animations spéciales pour les jeunes);

- les lieux de travail;

- les centres de loisirs (les missionnaires et les jeunes chrétiens de la paroisse visitent, en fin de semaine, les discothèques, les bars fréquentés, ils amorcent la conversation et invitent tous les jeunes);

- les assemblées familiales chrétiennes;

- les maisons où se rendent les missionnaires, soit pour visiter un malade, soit pour visiter une assemblée... là où se trouve un jeune, on l'invite à participer;

- cette convocation se fait aussi durant les réunions générales de la mission (quand on annonce les horaires), lors d'un contact personnel (provoqué ou fortuit) avec les jeunes, pour les inviter et les convoquer;

- elle se fait enfin, par des émissions dans les médias (radio et TV locale).

Les moyens de convocation peuvent être:

- des affiches annonçant la mission des jeunes;

- une lettre personnelle adressée à tous les jeunes par le curé (la paroisse) ou par les missionnaires;

- des tracts avec les horaires et une invitation à la mission;

- des spots publicitaires à la radio et à la télévision ...

3. Organigramme de la mission aux jeunes

a) pendant les journées de la préparation immédiate:

Les missionnaires prennent contact avec les jeunes qui fréquentent la paroisse, dans des groupes de jeunes de la paroisse, ainsi qu'avec ceux qui appartiennent à d'autres groupes, même s'ils ne sont pas strictement juvéniles, pour les aider à prendre conscience du moment de grâce que suppose la mission paroissiale et de l'importance pour eux de prendre part à la mission, concrètement, en invitant les autres:

- aux Assemblées Familiales Chrétiennes (quelques-uns d'entre eux seront animateurs ou accueilleront chez eux la célébration de l'assemblée);

- aux réunions du vendredi et du samedi de la semaine spécialement prévues pour eux;

- aux rencontres des jeunes, au niveau général, dans la seconde semaine de la mission.

b) Au cours de la première semaine de la mission:

En plus de la participation des jeunes aux assemblées, comme il a été signalé ci-dessus, présence qu'il faut mettre en valeur et encourager, on doit aussi chercher la manière de contacter les jeunes dans leur travail, leurs écoles et dans leurs centres de loisirs ... Il faut entrer en relations avec leurs leaders naturels, promouvoir la publicité dans les Médias de la mission aux jeune ...

Durant le week-end: Prévoir une campagne d'affichage et d'autocollants de la mission aux jeune.

b. Durant la deuxième semaine de Mission

En plus de la participation aux réunions générales (spécialement à l'Eucharistie- Annonce, dans l'Église), on propose aux jeunes une réunion quotidienne pour eux.

La dynamique de la mission aux jeune vise à susciter l'expérience de la foi. Elle ne réside pas en des instructions catéchétiques centrées sur des notions intellectuelles, mais en des faits vécus, dont la clé est la participation active et l'engagement personnel des jeunes. On considère comme fondamentaux les chants porteurs d'un message, les moments de prière, la dynamique de groupe, les moyens audiovisuels ... Il faut bien prendre soin de l'atmosphère d'accueil et donner la motivation adéquate pour la participation.

4. La continuité de la mission

- Elle est assurée à partir d'un projet de pastorale des jeunes concret (proposer celui de la Jeunesse Mariale Vincentienne).

- Il faut chercher une équipe d'animateurs de la pastorale des jeunes (APJ) organisée et coordonnée;

- préciser l'organisation des groupes: les heures, les jours, les lieux de réunions fixés, et les APJ responsables du groupe.

- Il faut la présence de l'équipe missionnaire (ou celle de la pastorale des jeunes) pour l'orientation et la formation des APJ.

(Traduction: Jusles Vilbas, C.M.)

1) Andrés Orizo : "Los nuevos valores de los españoles: España en la encuesta europea de valores 1991". Fundación Santa María, Madrid.

(2) "Ensayo tipológico de la Juventud española", 1994