Saint Justin De Jacobis. Fondateur d'une nouvelle géneration de catholiques et formateur d'un clergé indigène dans l'Eglise catholique d'Ethiopie et d'Erythrée

St Justin De Jacobis,

fondateur d'une nouvelle génération de catholiques et

formateur d'un clergé indigène dans

l'Église catholique d'Éthiopie et d'Érythrée

Par Abba Lyob Guebresellasie, C.M.

Vice-Province d'Érythrée.

Introduction.

Les références bibliques concernant l'introduction du christianisme dans les deux pays.

Alors que les historiens et les archéologues recherchent encore des preuves solides à propos d'installations chrétiennes primitives proches de la côte Ouest de la Mer Rouge, il n'est pas difficile de trouver des références bibliques à propos de l'arrivée du christianisme dans notre région:

« Or, un eunuque éthiopien, haut fonctionnaire de Candace, la reine d'Éthiopie et administrateur général de son trésor, qui était allé en pèlerinage à Jérusalem, retournait chez lui… » (Act. 8, 27-28).

Selon les ethnologues, le nom d'Éthiopie est attribué à ces peuples vivant dans la Corne de l'Afrique qui ont la même langue et la même culture. Et, bien qu'il n'y ait pas accord parmi les historiens, que ce soit à propos de la localisation de la résidence de la reine Candace ou des frontières de son territoire, il y a des récits d'historiens locaux qui, dans une certaine mesure, peuvent servir de sources. Sur la base de ces références bibliques et des récits traditionnels, on peut donc affirmer que la foi chrétienne a été introduite dans les régions côtières de l'Érythrée durant les premiers siècles du christianisme. Origène, l'égyptien Père de l'Église, écrit: « Il n'est pas dit que l'Évangile n'ait été prêché à tous les Éthiopiens, particulièrement ceux qui vivent le long de la rivière. »

Le christianisme au IVe siècle en Érythrée et dans les différentes régions limitrophes d'Éthiopie.

Il ne fait aucun doute que la foi chrétienne fut introduite dans le royaume d'Axoum à partir des régions côtières de l'Érythrée, proche du port actuel de Marsava, et plus probablement de l'ancien port d'Adulis. De plus, entre Adulis et Axoum, il existe beaucoup de ruines anciennes en Érythrée telles que Quohaito, Tokonda, Abba Meta et Metera qui offrent des preuves historiques d'une présence chrétienne primitive. Bien que les archéologues eurent commencé à fouiller ces sites historiques au cours de la seconde moitié du XXe siècle, leurs travaux furent interrompus dans les années trente jusqu'à l'indépendance de l'Érythrée.

Eusèbe et Rufin, historiens de l'Église primitive l'un et l'autre, confirment l'arrivée du christianisme en Érythrée-Éthiopie. St Frumentius fut consacré évêque au IVe siècle par Athanase d'Alexandrie qui le pria de « retourner avec la grâce de Dieu d'où il était venu. » Un ancien martyrologe Ghe'ez offre plus de détails à propos de la mission et du ministère de Frumentius comme évêque d'Éthiopie. » St Frumentius fut l'instrument de l'évangélisation des plateaux méridionaux de l'Érythrée et des proches régions septentrionales de l'Éthiopie.

Les derniers missionnaires qui tentèrent de restaurer la foi catholique dans les hautes montagnes d'Érythrée et les proches régions éthiopiennes.

C. Conti ROSSINI, écrivain et historien, explique comment l'Église Éthiopienne, au moment de son institution, était une servante de l'orthodoxie catholique comme l'était également l'Église d'Alexandrie de laquelle elle dépendait. L'hérésie monophysite fut acceptée par l'Église d'Alexandrie et, dès lors que l'Éthiopie recevait d'elle ses évêques, l'Église Éthiopienne contrairement à ses origines devint elle aussi monophysite (inconsciemment probablement). En laissant de côté la question à propos de la manière dont l'Église Éthio-Érythréenne fut gagnée par le monophysisme, beaucoup de missionnaires essayèrent de regagner ses fidèles à l'Église de Rome.

L'empereur Zarajacob d'Éthiopie, acceptant l'invitation du Pape Eugène IV, envoya l'Abbé André du Monastère St Antoine en Egypte et un diacre nommé Pierre, comme délégué afin de participer au concile de Florence en 1441.

De 1555 à 1632, beaucoup de missionnaires jésuites furent envoyés en Éthiopie afin de restaurer l'unité de l'Église catholique. Malheureusement, ces missionnaires n'avaient qu'une petite compréhension de la culture et des coutumes ecclésiastiques et liturgiques de l'Église Éthiopienne, et, en fin de compte, ils furent chassés tous ensemble du pays. Néanmoins, durant leur présence dans la région, ils gagnèrent à l'Église catholique de nouveaux membres. Ces nouveaux catholiques furent persécutés eux aussi et beaucoup cherchèrent refuge dans les contrées éloignées afin de préserver leur foi catholique. Ils purent ainsi résister de façon étonnante pendant plus de deux siècles bien qu'ils fussent sans prêtre pour les assister.

De 1637 à 1642, des religieux capucins tentèrent de pénétrer en Érythrée et en Éthiopie. Mais ils furent arrêtés et mis à mort à l'endroit même où ils avaient pénétré dans le pays.

D'autres missionnaires franciscains essayèrent d'entrer dans le pays de 1700 à 1714. Ils furent du reste emprisonnés et lapidés plus tard près de Gondar.

Mais l'Église de Rome n'abandonna jamais son projet. Un éthiopien, Ghiorghis Ghebreigziagbher, fut ordonné évêque et reçut le nom de Tobie. Il s'agissait d'un étudiant de la Propaganda Fide à Rome. Il fut envoyé comme évêque d'Adulis et arriva en Érythrée avec ses compagnons. Là aussi du reste, Abouna Tobie fut obligé de quitter le pays et de s'enfuir au Caire en 1797.

La venue de Justin De Jacobis tant en Érythrée qu'en Éthiopie et sa réussite pour implanter l'Église catholique.

Justin De Jacobis, missionnaire vincentien doué d'une grande sainteté et d'une grande intelligence, retint de son fondateur une conviction fondamentale: servir la Providence de Dieu. Elle apprit ainsi à Justin comment négocier avec le peuple qui lui était confié dans sa nouvelle mission. Il n'ignorait pas tout à fait que les missionnaires catholiques précédents avaient fait pendant deux siècles, mais sans succès, tant en Érythrée qu'en Éthiopie. Justin demanda à Dieu de lui inspirer comment gagner avec perspicacité les cœurs et les pensées du peuple éthiopien. Et la Divine Providence répondit en ouvrant à Justin une perspective remarquable sur le champ culturel et les traditions dans son nouveau territoire de mission. À bien des égards, Justin anticipa la vision de Vatican II à propos de la culture et de son importance. En effet à l'époque de St Justin, il était souvent difficile pour les missionnaires d'accepter et de vivre selon la culture de leur territoire de mission. La Providence permit à St Justin, nouveau Préfet Apostolique, d'adopter les traditions et la culture du peuple, et de lui annoncer ainsi le message de l'Évangile.

Laissant son cœur ouvert aux populations, Justin ne fut pas seulement capable de gagner à lui beaucoup d'entre elles, mais il fut aussi capable de les aider à ouvrir leur cœur à la Parole de Dieu. À partir de ce moment-là, l'Église s'implanta solidement dans les régions de l'Érythrée et de l'Éthiopie et offrit bientôt des martyrs pour la foi. Cela était dû, pour une large part, à la vision à long terme de Justin et à sa sainteté. Il espérait et travaillait pour une Église catholique ayant un visage Ethio-Érythréen. En cela, il réussissait là où d'autres avaient échoué. C'est pourquoi nous pouvons affirmer que St Justin De Jacobis est l'initiateur d'une nouvelle génération de catholiques. En assimilant toutes les valeurs positives de son pays d'adoption, il fut à même d'ériger la structure de l'Église catholique sur un terrain solide. Cette petite communauté éprouvera harcèlements et persécutions. Mais elle résistera et survivra.

Pour son travail d'évangélisation, St Justin voyageait de place en place. Lorsqu'il décidait d'établir des postes de mission, il confiait leur administration aux prêtres et aux séminaristes, tandis que, de son côté, il demeurait toujours en mouvement, recherchant de nouvelles contrées et de nouveaux peuples à évangéliser. Dès son arrivée en quelque endroit, Justin louait un ou deux « hidmos » (il s'agit de petits locaux pour y séjourner) pour lui-même et les gens qui voyageaient avec lui. Puis il invitait le pauvre et simple peuple à lui rendre visite pour discuter avec lui, et prier également.

En véritable homme de Dieu, Justin prêchait le message de l'Évangile d'une façon si simple que les gens le comprenaient et l'aimaient tout autant. Sa vie était un exemple vivant pour le peuple, si bien qu'il fut capable de changer, lentement mais sûrement, l'image injuste que les gens avaient souvent de l'Église catholique et des catholiques eux-mêmes.

Durant ses vingt années de prédication de l'Évangile en Érythrée et en Éthiopie, St Justin parcourut des centaines de kilomètres, visitant les villages grands et petits. Là où il passait, il prêchait la Bonne Nouvelle en paroles et en actes, et encourageait les petites communautés qu'il fondait à mener une vie d'intégrité et de fidélité à leurs convictions. Ainsi, les disciples de Justin gagnaient tant en bonne réputation qu'en respect de la part des simples fidèles de l'Église Orthodoxe. À cause des persécutions continuelles de la part des autorités civiles et religieuses, Justin ne gagna pas beaucoup de disciples. Sous d'autres rapports, il était pourtant bien accepté à cause de son grand respect pour les personnes.

La première implantation de la communauté catholique à Adwa.

Dans l'histoire éthiopienne, les années allant de 1769 à 1855 sont « l'Age des Princes ». En effet, il n'y avait pas de gouvernement central dans la partie septentrionale du pays. Il n'existait qu'une diversité d'autorités provinciales et régionales. Dans un tel contexte, Adwa était un centre administratif et commercial. Ubie, dont la résidence n'était pas loin de la ville d'Adwa, était le prince local. A la fin de 1839, Adwa fut choisie pour être la résidence du Préfet apostolique nouvellement nommé, Justin De Jacobis. Avant l'arrivée de Justin, Fremova dans la banlieue d'Adwa était en outre un centre pour missionnaires jésuites depuis deux siècles.

De Jacobis donna son premier sermon en janvier 1840. Ses premiers efforts suscitèrent autant de sentiments mitigés que de l'admiration pour lui parmi le peuple et le clergé orthodoxe d'Adwa. Cela offrait aussi la possibilité de rassembler la première communauté catholique autour de lui. Mais durant l'absence de Justin d'Adwa en 1841, Abouna Salama, l'évêque orthodoxe nouvellement consacré venant d'Egypte, essaya de saper la petite communauté catholique en excommuniant tous ses membres et sympathisants. Quelques-unes de ces personnes nouvellement converties, effrayées par l'excommunication qui les privait automatiquement des sacrements orthodoxes et des funérailles à l'église, abandonnèrent la foi catholique et revinrent du moins formellement dans l'Église Orthodoxe. Néanmoins en dépit de ce recul, le nombre des fidèles de la communauté catholique continuait fermement de s'accroître. Le solide accroissement de la communauté était connu également des autorités ecclésiastiques orthodoxes fanatiques. On refusa d'accorder au Préfet tout lieu public si bien qu`il ne pouvait célébrer la Sainte Messe et conférer les sacrements du Baptême, de la Confirmation et de la Confession qu'en secret dans des lieux cachés.

Les autorités Orthodoxes considéraient la présence de Justin comme un scandale et un sacrilège. Lui et la communauté catholique furent dénoncés à l'évêque Orthodoxe, Abouna Salama. Par bonheur, le prince local Ubie respectait beaucoup Justin si bien que ses adversaires Orthodoxes ne purent mettre à exécution leur plan d'expulsion du Préfet, ni extirper du pays la petite communauté qu'il avait fondée. Ubie octroya à St Justin: Entico, petit territoire qui incluait quelques villages avoisinants. Il s'agissait d'une compensation pour le service rendu à la délégation qui était allé en Egypte solliciter un nouvel évêque pour l'Éthiopie.

Adwa était également très proche d'Addi Abun, la résidence de l'évêque Orthodoxe. La présence de la communauté catholique, aussi proche de l'évêque, devint intolérable. Les autres autorités Orthodoxes persistèrent dans leur opposition. Ils maltraitèrent De Jacobis et ses compagnons. À coups d'excommunications et de harcèlements, ils menacèrent les familles fraîchement converties au catholicisme.

Il n'y eut plus aucun autre choix pour le pauvre Préfet que de quitter Adwa. Persuadé qu'il s'agissait d'un signe de la Divine Providence, Justin rechercha un endroit convenable où vivre en paix et poursuivre son ministère. En 1844, il retourna en Éthiopie et demeura six mois à Zeazega. Puis il revint à Agame. Avant de transférer son clergé hors d'Adwa, il fonda une petite communauté toute proche d'Enticio. Là, il ne voulut pas que ce terrain soit enregistré à son nom. Mais il le fit enregistrer sous le nom de Monsieur Simpher. Un délégué du gouvernement allemand, monsieur Shamir, donna à Justin un morceau de terrain. Ce gentilhomme qui avait été auparavant protestant fut reçu dans l'Église catholique par Justin et se maria avec une catholique de la contrée. Grâce à cette donation de terrain, le Préfet put construire une petite maison ainsi qu'un oratoire, et il nomma un prêtre pour prendre soin de la minuscule communauté ainsi qu'un « debtera » (un maître chargé des cérémonies liturgiques) pour enseigner le catéchisme et la musique liturgique. De Jacobis et son confrère Monsieur Biancheri décidèrent de se remettre en route, mais ils voulurent revenir de temps en temps afin de visiter la communauté. En mai 1845, la majorité des prêtres et des séminaristes se déplaça à Guala où, entre temps, St Justin avait acheté un terrain et bâti le Séminaire de Marie Immaculée.

La présence de la Communauté catholique à Guala.

En 1844, Ghebremikael (le Bienheureux) déclara officiellement son allégeance à la doctrine des deux natures en Christ. Désormais, Ghebremikael va accompagner Justin dans beaucoup de ses voyages, spécialement vers le célèbre monastère de Gunda Gunde au Nord-Est de Guala. Les disciples donnèrent à Justin le nom d'Abba Yacob Mariam, ou Jacob de Marie, à cause de sa grande dévotion à la Vierge Bienheureuse.

La visite du Préfet blanc et du moine hautement respecté, Abba Ghebremikael, toucha profondément les moines du monastère. À cause de la bonne impression produite par Justin et Ghebremikael, un certain nombre d'entre eux songea à les suivre vers Guala. Abba Tecklehaimanot (l'Ancien, afin de le distinguer de Tecklehaimanot le Jeune qui écrivit la première biographie de De Jacobis) fut un des moines qui les suivit se joignant même à eux lors de leur voyage en Érythrée. Tecklehaimanot suggéra même au Préfet de demander la permission d'acheter quelques champs aux villageois de Guala, sa ville natale. De Jacobis fut en mesure d'acheter un petit terrain à côté de l'église Orthodoxe St Ghiorgis (St Georges). En 1845, en presque moins d'un an, Il bâtit le séminaire et transféra ainsi les séminaristes et quelques-uns de ses prêtres d'Adwa à Guala. Et le Préfet construisit une maison à côté du séminaire pour les jeunes et les adultes qui venaient des villages limitrophes pour le catéchisme. Beaucoup d'enfants avec toute leur famille étaient attirés par le mode de vie catholique et par le comportement exemplaire des séminaristes. Et se joignirent bientôt à la communauté catholique de Guala les prêtres de la paroisse de Tahtai Zeban et de Maiberazio, au Nord-Est de Guala, de même que les paroissiens et ceux d'un autre village appelé Biera.

En guise d'essai pour résoudre le manque de prêtres, Justin projeta d'envoyer certains de ses séminaristes en Egypte afin de compléter leur formation et d'être ordonnés à la prêtrise. Toutefois, Guglielmo Massaia qui devint plus tard cardinal arrivait tout juste comme Préfet Apostolique pour la partie méridionale de l'Éthiopie. Il visita Guala en 1846 et, l'année suivante, il ordonna de nouveaux prêtres et en reçut d'autres dans l'Église catholique qui avaient exercé leur sacerdoce dans l'Église Orthodoxe. Il y en eut quinze au total. Cet événement donna une énorme impulsion aux efforts apostoliques de De Jacobis. Les nouveaux prêtres catholiques furent envoyés vers différents villages et la foi catholique s'affermissait davantage et commençait à bien se développer.

Le ministère auprès des communautés catholiques rencontrait résistance et persécution de la part de quelques Orthodoxes. Abouna Salama usa de la menace de l'excommunication afin d'essayer d'entraver le ministère de Justin. Salama sollicitait aussi l'intervention des autorités civiles afin de poursuivre le harcèlement des communautés catholiques. Les Catholiques furent bientôt considérés comme des parias et beaucoup virent leurs propriétés confisquées. Ils furent expulsés de leurs foyers. Confrontés à ces persécutions, quelques Catholiques choisirent de fuir plutôt que de renier leur foi. D'autres demeuraient dans leur village, voulant ainsi accepter tous les risques. Quelques-uns renoncèrent à leur foi catholique récemment découverte et retournèrent à l'Église Orthodoxe. Néanmoins, la communauté catholique dans son ensemble demeura fidèle malgré les persécutions et transmit sa foi aux générations futures.

L'implantation de la communauté catholique à Alitena parmi les Irob.

Deux ans avant le transfert des prêtres et des séminaristes de Guala à Alitena, il existait déjà une communauté catholique fondée parmi l'ethnie Irob Bukneito centrée autour d'Alitena. À propos de leur conversion à la foi catholique, quelques anciens Irob Bukneito exprimèrent au nom de leur peuple tout entier leur résolution et s'engagèrent à demeurer dans le catholicisme à la condition que De Jacobis promit de leur fournir des prêtres catholiques pour faire face à leurs besoins spirituels.

En 1848, juste un an après les ordinations célébrées par le Préfet Apostolique Massaia à Guala, beaucoup de Catholiques de Guala durent s'enfuir vers Alitena à cause d'une persécution ordonnée par Abouna Salama. Ils furent bientôt suivis par la communauté du Séminaire de Marie Immaculée. Bien que le Séminaire n'existât que quelques années seulement à Alitena, l'impact sur la communauté catholique y fut considérable. La communauté fut fortifiée par la présence du séminaire et fut capable de faire face aux mauvais coups. Après seulement un an à Alitena, le séminaire succomba à des conflits tant internes qu'externes.

De Jacobis dut rentrer en toute hâte de Menkulu près de la Mer Rouge pour redresser la situation. Il revint voir le Prince Ubie et sollicita son aide afin de préserver son ministère des menaces continuelles d'Abouna Salama. Le succès de De Jacobis fut de courte durée. Depuis Alitena, il en appela maintes fois au Prince Ubie, mais ses actions en justice n'aboutirent à rien. Les autorités locales fouillèrent le séminaire à plusieurs reprises forçant De Jacobis et la communauté à prendre la fuite pour leur propre sécurité. À cause de la persécution, Justin fut à nouveau obligé de transférer le séminaire en 1851, cette fois à Halay dans la zone d'Avet au Sud-Est des hautes montagnes d'Érythrée. Il laissa plusieurs prêtres à l'arrière à Alitena afin de veiller sur la Communauté catholique.

La Communauté catholique dans le Sud-Est des hautes montagnes d'Érythrée et de Halay.

Au début de 1850, De Jacobis commença à procurer une assistance au peuple Aret centré sur Halay et les villages d'Awhene et Maarda. Parce que le peuple lui avait fait bon accueil ainsi qu'à ses orientations, il désigna Abba Emnetu, un de ses prêtres, afin de rester à Halay et d'y bâtir une résidence. En 1851, la majorité des prêtres et des séminaristes partit d'Alitena pour Halay. Persuadé de la loyauté du peuple de Halay, De Jacobis partit pour l'Ouest vers la région de Seyah.

En 1849, Justin fut consacré évêque à Marsawa par le Vicaire Apostolique et futur cardinal G. Massaia. La simplicité toute évangélique de la cérémonie impressionna ses disciples. Justin put s'acquitter de son ministère en nommant par la suite Biancheri comme son coadjuteur et son successeur éventuel. Les trois diocèses catholiques en Érythrée existent aujourd'hui encore grâce au développement de l'Église depuis le temps de son évangélisateur et instituteur, Justin De Jacobis.

De Jacobis, formateur du clergé local Ethio-Érythréen.

Beaucoup de missionnaires étrangers firent de leur mieux afin d'ancrer le message de l'Évangile et de former également les Catholiques Érythréens et Éthiopiens. Quelques-uns furent même martyrisés pour avoir répondu à l'appel de Dieu. Néanmoins, ils échouèrent dans l'implantation de l'Église catholique dans le contexte culturel de l'Éthiopie et de l'Érythrée. De Jacobis était déterminé à ne pas commettre les mêmes erreurs et il fut inspiré de focaliser ses énergies sur la formation du clergé autochtone. À cause de cela, Justin réussit là où d'autres avaient échoué. Il est tenu en si haute estime qu'aujourd'hui on ne le désigne pas sous le nom de « St Justin » mais plutôt sous celui de « notre Père Justin De Jacobis » tant par le clergé que par les laïcs. Ce titre affectueux est l'expression d'un profond attachement pour l'homme qui leur apporta la foi catholique.

A l'époque de la consécration épiscopale de Justin De Jacobis, l'Église catholique s'était engagée à envoyer à travers le monde autant de missionnaires que possible sous les auspices de « Propagande Fide ». Pie IX qui nomma Justin évêque fit de son mieux pour encourager les missions en créant des centaines de préfectures apostoliques, des vicariats et des diocèses à travers le monde entier.

Malheureusement, nombre de missionnaires européens ne virent pas le besoin de créer des séminaires pour le clergé indigène. Justin fut l'un de ceux qui éprouvèrent ce besoin et surent y répondre. Il écrivait d'ailleurs à ses supérieurs:

Il est bien plus fructueux et heureux d'avoir affaire avec les prêtres locaux qu'avec les missionnaires européens qui ne sont pas familiarisés avec les cultures locales et sociales du peuple indigène.

Impressionné par leurs capacités intellectuelles et leurs connaissances de leur milieu social, De Jacobis se consacra totalement à la formation des séminaristes indigènes. Les étudiants étaient persuadés du dévouement, de l'amour et de la disponibilité de leur formateur. À cause de cette compréhension et de ce respect mutuel, les séminaristes devinrent loyaux, triomphants sur toutes sortes d'obstacles et de persécutions. En instruisant des prêtres autochtones, De Jacobis put poser de solides fondations pour l'Eglise, une idée qui ne fut seulement estimée et encouragée à sa juste valeur une centaine d'années après sa mort. Beaucoup de missionnaires venant de l'étranger étaient persuadés de la supériorité de leur propre culture et ne furent pas capables d'estimer la culture du peuple vers lequel ils étaient envoyés pour évangéliser. Malgré leur dur labeur, ils refusèrent de voir l'utilité et le caractère pratique de la création d'un clergé local. Cette attitude fut un handicap dans la réussite de l'évangélisation.

Dans notre cas, le clergé indigène, bien préparé par De Jacobis, devint l'épine dorsale de la Communauté catholique. Durant la seconde guerre mondiale, lorsque beaucoup de missionnaires étrangers durent fuir, un bon nombre de prêtres diocésains d'Érythrée s'empressèrent à la demande de leur évêque, Kidanemariam Kassa, de combler le vide laissé par l'expulsion des étrangers en Éthiopie centrale et méridionale.

Le profond respect de Justin De Jacobis envers le clergé indigène.

Dès l'instant où De Jacobis posa le pied sur ce nouveau pays, il apprit le respect pour le clergé au sein de la société Ethio-Érythréenne. Et il renforça ce respect dans tous ses rapports avec les prêtres. On peut trouver l'expression de ces sentiments dans sa première allocution adressée au clergé Orthodoxe:

… Comme vous, je suis prêtre. Comme vous, je suis confesseur. Comme vous, je suis un prédicateur de l'Évangile. par conséquent, si vous me permettez de célébrer la Messe, je le ferai. Si vous me permettez d'entendre les confessions, je le ferai. Si vous me laissez prêcher l'Évangile, je le ferai. Mais si vous ne me le permettez pas, je ne le ferai point. »

Depuis longtemps, le principal adversaire de Justin était le clergé orthodoxe. Mais lui, continuait de le respecter et de l'aimer avec persistance. Les portes de sa résidence lui étaient toujours ouvertes. Il refusait également de s'engager dans de futiles questions théologiques qui ne menaient nulle part. Au contraire, il ne permettait jamais à ses confrères ou à ses étudiants de critiquer le clergé orthodoxe. Quand le clergé le lui permettait, il était très heureux de se joindre à eux dans leurs prières et leurs célébrations liturgiques. Justin invita même quelques Orthodoxes afin d'enseigner la musique liturgique et les prières à ses étudiants. En outre, à cause de son profond respect et de sa vénération à leur égard, De Jacobis visita beaucoup de monastères dans les deux pays afin d'approfondir sa connaissance à propos de leur formation et de leur mode de vie. Il s'intéressait également avec assiduité à leur mode d'exercice de l'apostolat. Il était très impressionné par la manière dont les chrétiens orthodoxes répondaient à l'enseignement et aux conseils de leur clergé.

Le respect de Justin fut payé de retour en bien des cas, et il fut souvent le bienvenu lors de célébrations liturgiques ou aux rassemblements à caractère social des Orthodoxes. Ainsi il pouvait mieux comprendre leur réalité. Ce contact avec le clergé lui permettait aussi de rencontrer le peuple et de gagner respect et admiration.

Formés par De Jacobis, les prêtres autochtones deviennent les piliers de l'Église catholique locale.

Les derniers jours de sa vie, au 31 juillet 1860 juste trois heures avant sa mort, Justin De Jacobis réunit autour de lui ses disciples et leur dit :

… Suivant l'exemple de Notre Seigneur qui disait au revoir à Notre Dame et à ses apôtres, je vous salue une dernière fois… Eloignez de votre maison toute calomnie et querelle, aimez-vous les uns les autres, demeurez fermes dans la foi et par-dessus tout pratiquez la charité. Soyez la lumière de votre peuple » (Éthiopie).

Puis, il appela les séminaristes à son chevet et dit :

Dès lors que Dieu vous a choisis, soyez attentifs à suivre le bon chemin. Je vous propose les moines comme vos modèles. Ils sont bons et sont la lumière qui vous illumine. Suivez leur exemple. »

Quelque temps après la mort de ce père et formateur extraordinaire, il y eut un sérieux désaccord entre les missionnaires et les prêtres indigènes. Les missionnaires voulaient en effet changer dans son intégralité la méthode utilisée par De Jacobis. Mais les prêtres indigènes s'en tinrent à une position intransigeante en demeurant fidèles au mode de vie qui leur avait été enseigné par leur père spirituel bien que cela fût pour eux cause d'isolement et l'occasion d'une grande souffrance. Ils firent appel à Propagande Fide, mais malheureusement leur cause fut rejetée dans l'oubli pour un long moment. À maintes reprises, ils méditèrent les dernières paroles de leur fondateur et maître bien aimé. Afin de demeurer fidèle à De Jacobis, le clergé autochtone traversa une épreuve bien difficile. À travers leur long combat et d'amères souffrances, ils restèrent fermes dans leur foi et leur dévotion envers leur père et éducateur, Justin De Jacobis.

Dans ce sens, ses disciples, que ce soit en Érythrée ou en Éthiopie, résolurent d'être la lumière et le fondement de leur Église locale. Aujourd'hui encore, bien qu'étant une minorité, l'Église catholique joue un rôle majeur dans les domaines de l'éducation, les services de santé et la promotion humaine. Tout ceci est certainement à une juste inculturation du message évangélique. Bien que l'Évangile fût introduit lors de la première évangélisation, il put s'enraciner et se répandre avec l'introduction de la foi catholique par St Justin De Jacobis: l'infatigable apôtre de l'Abyssinie, devenue aujourd'hui deux Etats, l'Érythrée et l'Éthiopie.

(Traduction: ROBERT GURTNER, C.M.)

Sergew Hable-Selassie: « Ancient and medieval Ethiopian history to 1270 », ADDIS ABABA.

Daniele GIOTTO and Olinto MARINELLI : « Risultati Scientifici », Florence, 1912, p. 470.

N.d.T:le Ghe'ez est l'éthiopien ancien qui sert encore de langue liturgique.

Hable-Selassie, op.cit.

Salvatore PANE: « Vita del Beato Giustino De Jacobis », NAPLES, 1949, p. 218.

Tobie naquit à Debre Mariam Cameam, dans la région de Dembia. Il lui revient l'honneur d'être Évêque catholique des temps modernes. En tant qu'Évêque Titulaire d'Adulis, Abouna Tobie travailla durant huit ans en Éthiopie. Avant sa consécration épiscopale et sur l'insistance du Pape Pie VI, Abouna Tobie fit le vœu de conserver le rite éthiopien.

N.d.T.: Jusque 1959, année où elle obtint son autocéphalie (indépendance juridique et canonique), l'Eglise Orthodoxe Éthiopienne devait solliciter le Patriarche Copte d'Alexandrie d'envoyer un nouvel évêque en Éthiopie après l'avoir préalablement ordonné.

Mr Shimper, un délégué du gouvernement allemand dans cet endroit. Il obéit à cet ordre pour éloigner les suspicions et éviter les inutiles réactions de ses opposants.

Abba Teklehaimanot: « The life of Abouna Jacob », p.168.

Kevin Mahoney: « The Ebullient Phoenix », Vol. I, p. 213-215.