Missionnaires occidenteaux en Chine

Missionnaires  occidentaux en Chine

par Bernadette Li

St. John's University

Jamaica, New-York

À l'époque de la Découverte de l'Amérique, l'Europe était menée par la soif de se construire un empire tout autant que par le zèle évangélique poussant à convertir au Christianisme le monde non occidental. C'est dans cette disposition d'esprit dominante de l'époque que Matteo RICCI (1552-1610) se rendit en Chine où il eut un impact certain tout à la fois sur l'histoire de la Chine et sur celle de l'Occident. Même sans avoir été le premier à y pénétrer, il fut certainement en Chine le missionnaire occidental le plus marquant et le plus admiré. On ne pourrait imaginer aucune intervention écrite ou orale complète sur les activités missionnaires en Chine sans qu'il y soit question de Ricci.

Né à Macerata, en Italie centrale, Ricci entra dans la Compagnie de Jésus à l'âge de 19 ans. Il étudia les mathématiques, l'astronomie, la géographie et d'autres sciences au Collège Romain. En 1582, il fut désigné par la Compagnie de Jésus pour se rendre en Chine. Il arriva d'abord à Macao et, de là, poursuivit sa route vers Zhaoqing et Shaozhou (aujourd'hui Shaoguan). Dans l'impossibilité d'entrer à Pékin, il s'installa à Nankin et, en 1601, il fut autorisé à séjourner à Pékin.

La réussite de Ricci fut favorisée par plusieurs éléments. D'abord, il s'intéressa intensément à la civilisation chinoise et il fit plaisir aux autorités et aux érudits chinois en répétant à qui voulait l'entendre qu'il était venu en Chine pour y étudier les enseignements des Sages chinois et pour participer aux bienfaits de la civilisation chinoise. Il s'habillait à la façon des lettrés chinois, il prenait plaisir à fréquenter des amis chinois et il alla jusqu'à déclarer qu'il voulait devenir chinois. D'après lui, la doctrine de Confucius se conciliait bien avec le Christianisme ; il s'opposait toutefois au Bouddhisme et au Taoïsme. Il soutenait que le culte chinois des ancêtres et Christianisme ; mais de nombreux autres Missionnaires n'étaient pas disposés à accepter cette façon de penser. Ricci émerveilla les Chinois lorsqu'il dressa une « GRANDE CARTE DE 10 000 PAYS », sur laquelle il présenta la Chine comme le centre du monde. C'est lui également qui introduisit en Chine la première mappemonde. Ouvrant une nouvelle étape dans la cartographie de la Chine, il calcula les latitudes et longitudes de plusieurs villes de l'est du pays. Écrivain prolifique, Ricci publia, avec l'aide de quelques-uns de ses amis chinois, plusieurs livres en chinois classique, en vue de propager son savoir et ses idées et ces écrits se répandirent largement parmi les lettrés chinois de sorte que, avant le 20ème siècle, Ricci était plus connu en Chine qu'en Europe.

Dans ses innombrables lettres, rapports et articles, adressés à ses Supérieurs ou Collègues d'Europe, Ricci a décrit en termes chaleureux les réalisations intellectuelles de la Chine. Si l'on peut dire que Marco Polo fut le pionnier dans la révélation aux Européens des splendeurs matérielles de la Chine, il faut dire que Ricci fut son homologue dans le domaine intellectuel, au point que beaucoup ont vu en lui le créateur de la Sinologie occidentale. La mission des Jésuites se poursuivit après la mort de Ricci. Leur connaissance des mathématiques, de l'astronomie et, spécialement, du mode de fabrication des pièces d'artillerie, les rendit indispensables à la cour de la dynastie Ming sur son déclin, alors qu'elle se voyait menacée par les envahisseurs mandchous en provenance du nord. Après l'avènement de la dynastie Qing, installée en1644 par les Mandchous, la Mission Catholique devint encore plus influente et elle eut ses entrées libres auprès des Empereurs Shunzhi (1644-1661) et Kangxi (1662-1722), menant à terme ce que Matteo Ricci s'était efforcé d'obtenir, mais sans succès, à savoir une relation directe personnelle avec l'Empereur. En 1645, le Jésuite Johann Adam Schall von Bell, connu sous le nom chinois de Tang Ruowang, fut nommé Directeur du Bureau de l'Astronomie, ce qui était une fonction du Cinquième Degré qui plaçait l'homme de Dieu sur les échelons médians de la Bureaucratie Impériale chinoise qui en comptait neuf.

Encouragé par ses Supérieurs Jésuites, Schall accepta cette nomination en y voyant un moyen de convertir les Chinois à la foi catholique, alors que le gouvernement chinois, de son côté, voyait en lui un technicien bien utile pour l'établissement du calendrier et la fabrication des canons. Aussi longtemps que Schall fut honoré de la faveur et du respect de l'Empereur, la Mission Catholique subsista. L'Empereur Kangxi avait des connaissances scientifiques étendues : non seulement il désigna le Jésuite belge Ferdinand Verbist, successeur de Schall, comme Directeur du Bureau de l'Astronomie, mais il entretint également de fréquentes conversations avec d'autres Pères Jésuites érudits. Certains de ces Pères furent investis de missions importantes en tant que, par exemple, interprètes ou conseillers lors de conversations diplomatiques. Ainsi, du temps de l'Empereur Kangxi, la Mission Catholique fut prospère.

Après les Jésuites, vinrent des Missionnaires Franciscains, Augustiniens et Dominicains, ainsi que des prêtres séculiers de la Société des Missions Étrangères de Paris, fondée en 1658. Plus de cent Missionnaires étrangers étaient à l'œuvre, établis dans toutes les provinces de Chine. En 1663, la ville de Pékin comptait à elle seule environ 13 000 catholiques. Au début du 18ème siècle, il y avait plus de 200 000 convertis, soit environ un millième de la population totale. La population catholique augmentait, se recrutant surtout dans les basses classes.

Ricci et d'autres missionnaires Jésuites assurèrent leur réussite en partie grâce à leur stratégie de discrétion et d'adaptation aux circonstances particulières de la Chine. Ils faisaient preuve de respect à l'égard de la vénération de l'Empereur comme Fils du Ciel, ainsi qu'envers le culte des ancêtres et d'autres rites du Confucianisme. Par jalousie, d'autres Sociétés missionnaires tirèrent parti de cette tolérance à l'encontre des Jésuites et leurs multiples accusations en arrivèrent à provoquer la dissolution de la Compagnie en Chine. La Bulle papale « Ex illa die » (1715) mit un terme à la tolérance, exigeant que le catholicisme soit pratiqué en Chine dans la ligne de la tradition européenne. Cela signifiait qu'il était interdit aux Catholiques chinois de pratiquer le culte des ancêtres : or, malgré toute son ouverture d'esprit, l'empereur Kangxi ne pouvait pas accepter cela. Aussi l'instruction chrétienne fut défendue en Chine. En 1773, avec la dissolution de la Compagnie de Jésus, le catholicisme chinois perdit sa place privilégiée et la Chine se trouva privée du pont qui la reliait à la science occidentale. Dans les décennies suivantes, tandis que l'Occident progressait à grands pas dans la science, la technologie et la démocratie, la Chine retomba dans l'autosatisfaction, la décadence et la dégénérescence, préparant ainsi la voie à la pénétration et à l'invasion impérialistes au milieu du 19ème siècle.

Défaites de la chine au 19 ème siècle

La politique que suivit le gouvernement Qing pour chasser les Missionnaires se poursuivit jusqu'en 1844. Auparavant, un petit nombre de Missionnaires cherchèrent à pénétrer en Chine en cachette. Quand ils étaient reconnus et arrêtés, ils étaient soit exécutés soit expulsés. Après la défaite de la Chine dans la Guerre de l'Opium contre l'Angleterre, les étrangers purent entrer en Chine tout le long de la côte Est, grâce à l'ouverture de cinq ports stipulée par le Traité de Nankin. Par le Traité de Wangsia en 1844, les Américains obtinrent le droit de construire et d'entretenir des églises dans les cinq ports. Par le Traité de Whampoa de la même année, les Français se virent reconnaître le droit de libre propagation du Christianisme. Ce Traité prévoyait que, si un Chinois endommageait une église ou un cimetière français, il devait être châtié par le gouvernement chinois local.

En 1846, l'Empereur Daoguang émit un décret : non seulement celui-ci levait l'interdit qui frappait la propagation du Christianisme mais, de plus, il restituait tous les biens d'Eglise qui avaient été confisqués auparavant. Cela fut un changement très important dans la ligne de conduite de la Chine à l'égard des Missionnaires. Grâce à ce décret, la propagande en faveur du Christianisme, qui avait été officiellement interdite durant 120 ans, redevint légale et possible au grand jour. Toutefois, à cette date, les activités des Missionnaires durent se restreindre aux cinq ports et ne furent plus autorisées à l'intérieur du pays.

En 1858, la Chine, de nouveau vaincue, fut obligée de signer le Traité de T'ien-Tsin avec la Russie, l'Amérique, l'Angleterre et la France, traité qui permit aux missionnaires de ces quatre pays de se livrer aux activités de propagande religieuse à l'intérieur de la Chine. En 1860, la Chine dut signer le Traité de Pékin avec l'Angleterre, la France et la Russie. Ce traité ajoutait une nouvelle concession qui permettait aux Missionnaires étrangers d'acheter des terrains et de procéder librement à toutes constructions qui leur plairaient dans toutes les provinces de Chine. Par ces traités, les Missionnaires étrangers étaient autorisés à répandre la foi partout en Chine. Bien plus, ils n'étaient plus soumis à la juridiction chinoise mais ils étaient protégés par le privilège de l'extraterritorialité.

Les Missionnaires étrangers ne se rendirent pas compte que ces conditions provoqueraient chez les Chinois des sentiments antichrétiens. Presque toutes les clauses de ces traités concernant les missionnaires soulevèrent nombre de problèmes et de contestations embrouillées. Entre 1860 et 1899, il y eut plus de 200 dossiers relatifs à des conflits missionnaires. Ces querelles n'étaient pas tellement causées par des différends doctrinaux, comme l'aurait été le fait de savoir si le Christianisme était compatible avec le Confucianisme. Elles concernaient plutôt des droits de propriété. Ainsi, les biens d'Eglise antérieurement confisqués avaient le plus souvent été transformés en vue d'autres usages et il était très difficile, sinon impossible, de les restituer à l'Église sous leur forme première.

D'autre part, dans les disputes qui surgirent entre les Chinois convertis et la population locale, les Missionnaires étrangers se trouvèrent souvent impliqués et obligèrent le gouvernement local à rendre des verdicts en faveur des Chinois convertis ; en certains cas même, ils accusèrent injustement les adversaires de ces derniers. Comptant sur les gouvernements forts et les forces militaires supérieures de leur pays d'origine, certains Missionnaires affichaient des airs de supériorité et même d'arrogance dans leurs gestes et leur comportement. Quelques éléments chinois turbulents tirèrent avantage de la situation en s'associant aux Missionnaires et au Christianisme pour en tirer des profits matériels. Par suite, beaucoup d'officiels chinois et les gens ordinaires prirent peur et se mirent en colère contre les Missionnaires. Au même moment, par suite de malentendus et de superstitions, des oeuvres charitables menées par les Missionnaires furent mal interprétées par les Chinois. Malheureusement, en certains cas, des Missionnaires furent assimilés aux impérialistes et des Chrétiens

chinois furent considérés comme agents de puissances étrangères.

En somme, dans la seconde moitié du 19ème siècle, les « affaires religieuses » (jiaoan) ne peuvent pas être considérées comme des questions religieuses en soi. Elles étaient plutôt confusément en rapport et entremêlées avec les relations de la Chine avec l'étranger, la décadence politique, la détérioration économique et le malaise social. Face à Matteo Ricci et à Adam Schall comme face au monde d'avant le 19ème siècle, la Chine était un empire géant, à la civilisation raffinée. Après la Guerre de l'Opium, au contraire, la Chine était un pays délabré et tout ce qui la concernait était exposé à être mis en doute et à être considéré comme attentatoire au droit. Quand ils sont humiliés et affrontés à une sombre réalité, les gens se font irascibles et déraisonnables : c'est ce qu'étaient beaucoup de Chinois dans la seconde moitié du 19ème siècle. La Chine était alors un volcan : n'importe quel catalyseur pouvait provoquer une explosion catastrophique.

(Traduction : ÉMILE TOULEMONDE, C.M.)

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