Quel type de mission?

Réflexion initiale

Luis María Martínez San Juan, C.M.

Province de Saragosse

Je veux commencer ce travail par une définition de pastorale de tournure vincentienne. Définition qui jouera le rôle d'une lumière qui, d'en haut, éclaire cette présentation: La Pastorale est l'effort pour atteindre le Christ parce que lui t'a atteint le premier (effort pour la propre sanctification) ; effort qui peut seulement se vivre en communauté (lieu de rencontre avec le Christ), dans cette communauté qui a reçu un mandat: Suivez-moi, rendez-moi témoignage, allez et faites-moi des disciples (fin propre).

Cette définition nous offre les trois éléments-clés de l'évangélisation. Éléments qui sont constitutifs de notre esprit:

1) La Mission n'est pas notre oeuvre personnelle. C'es't le Christ qui nous a choisis et nous a envoyés. Et ... pauvres de nous, si nous n'annonçons pas Son évangile!

2) L'Eglise et le monde ont besoin de nous pour rendre l'Évangile effectif ; pour vivre le mandat de Jésus : Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie. Saint Vincent nous propose cela avec les paroles mêmes de Jésus: "Il m'a envoyé évangéliser les pauvres" (Const.5).

3) Nous ne pouvons la vivre cette préoccupation comme des francs-tireurs, mais en communauté. "Tous et chacun de ses membres (ceux de la Congrégation) osent dire avec Jésus: "Il me faut annoncer la bonne Nouvelle du Royaume de Dieu, car c'est pour cela que j'ai été envoyé" (Luc 4, 43; Const. 10).

C'est pourquoi notre communauté peut affirmer d'elle-même, comme toute l' Église, mais d'une façon particulière, que "la mission d'évangéliser constitue sa grâce et sa vocation propre, et son identité la plus vraie" (cf. EN 14; Const. 10).

La mission vincentienne au peuple a sa place dans la pastorale en général. Mais attention! Cette place n'est pas tombée du ciel; personne ne nous la donnera. Il faut la chercher. La chercher et la trouver, si nous voulons survivre.

Il y a quelque temps, le Vicaire Général antérieur, P. Flores, me faisait cette réflexion: “L'Église ne disparaîtra jamais, ni comme charisme, ni comme institution; le Christ lui-même l'a assuré. Mais une Congrégation peut disparaître comme charisme et comme institution.” Cela est vrai et a déjà existé historiquement. Nous autres, nous ne pouvons nous endormir. Nous avons besoin de travailler et de chercher notre place. C'est pour cela que nous nous sommes réunis ici.

En outre, nous avons besoin de la chercher et de la trouver par un chemin spécifique; par le chemin qu'ouvrit saint Vincent, en s'adaptant aux circonstances concernant les personnes, les lieux et les temps (I, 227; I, 274).

I. Se situer correctement

Nous nous sommes réunis avec une préoccupation: celle de rendre crédible l'annonce de l'Évangile à l'homme d'aujourd'hui, qui déroule sa vie en des circonstances et cultures diverses. Quelqu'un a défini la tâche d'évangéliser, qui nous unit, comme un mouvement de départ. Ce dynamisme du départ, c'est Dieu lui-même qui l'a mis en route. S'étant approché des hommes, il met en marche l'Histoire du Salut. Histoire dont le point culminant est Jésus, quand il quitte le ciel, renonce à sa condition, descend et s'abaisse pour se mettre à notre niveau, au niveau des gens simples.

Ce dynamisme, lancé par Dieu, doit aujourd'hui, après les avatars de l'histoire de l'Église, nous faire sortir de la culture qui nous porte, pour nous introduire en d'autres cultures et nous faire vivre dans une double fidélité: la fidélité à l'homme à qui nous nous adressons, et la fidélité à un trésor que nous avons reçu et dont nous sommes les serviteurs, trésors que nous portons dans des vases d'argiles, mais qui sont capable "d'atteindre et de transformer, par la force de l'Évangile, les critères de jugements, les valeurs déterminantes, les centres d'intérêt, les lignes de pensée, les sources d'inspiration et les modèles de vie de l'humanité" (EN 19).

Nous allons commencer les travaux de ce mois en dialoguant, pour être fidèles aux suggestions de la majorité. Comme nous le rappelions plus haut, nous voulons, avec saint Vincent, regarder la réalité. Par son sens de la réalité, saint Vincent réussit à entendre la voix de Dieu qui l'appelait pour la mission par l'intermédiaire de quelques pauvres paysans, du peuple pauvre et abandonné.

Aujourd'hui et ici, nous allons essayer de faire de même. Dieu continue à nous appeler à travers des situations semblables dans nos pays. Mais il faut qu'aujourd'hui nous écoutions sa voix. Tournons, donc, notre regard vers la réalité. A coup sur, Dieu, par l'intermédiaire de tant de peuples représentés parmi nous, veut nous dire un tas de choses intéressantes.

II. Voir et nous voir

Il est, donc, clair que nous allons commencer en prenant le temps de “voir” et de “nous voir”. Plongés dans la réalité, nous le pouvons si nous faisons attention à trois aspects du réel, le monde (notre petit monde), l'Église (les paroisses où nous faisons les missions), nos communautés et équipes provinciales.

1.Le monde.

Non pas le monde en général, mais notre petit monde, ces réalités humaines que nous vivons, nous qui sommes réunis ici; la situation concrète de nos gens, avec leurs besoins d'évangélisation, leurs attentes ...

Comme le proclamait le Concíle Vatican II: "Le Peuple de Dieu, mû par la foi, se sachant conduit par l'Esprit du Seigneur qui remplit l'univers, s'efforce de discerner dans les événements, les exigences et les requêtes auxquels il participe avec les autre hommes, les signes véritables de la présence ou du dessein de Dieu. La foi, en effet, éclaire toutes choses d'une lumière nouvelle et nous fait connaître la volonté divine sur la vocation intégrale de l'homme. Elle oriente ainsi l'esprit vers des solutions pleinement humaines" (GS 11) .

Si nous ne restons pas à la superficie et regardons les choses en profondeur, peut-être réussirons-nous à discerner dans les événements, les exigences et les requêtes des hommes, les signes véritables de la présence ou du dessein de Dieu. C'est pour cela que nous voulons dialoguer ensemble. Un refrain de mon pays dit que “Quatre z yeux voient plus que deux”. Allons, donc, tous ensemble regarder la réalité.

L'histoire concrète est un lieu théologique de l'appel de Dieu, de la rencontre avec Lui. Elle est le champ où se prend la décision de le suivre. Il est intéressant pour nous de percevoir s'il y a des voix qui nous portent à entendre cet appel de Dieu: "J'ai vu la misère de mon Peuple ... J'ai entendu ses plaintes contre ses oppresseurs, je connais ses souffrances ... Et maintenant va, je t'envoie pour le délivrer" (Ex 3, 7ss) . C'est pourquoi nous allons commencer en nous posant ces questions:

- Quels sont les besoins d'évangélisation les plus urgents de nos peuples? Où les percevons-nous?

- Dans nos pays, quelles situations pénibles pourrions-nous aider à surmonter par l'entremise de la mission? (Il y a ici une manière d'envisager la mission qui dépasse l'idée de "prêcher des missions").

- Quelles "situations d'obscurité" requièrent la lumière de l'Évangile?

2.L'Église.

L'Église est appelée à vivifier un monde concret. Autant l'Église en général que les églises particulières vivent des réalités où alternent lumières et ombres. Saint Vincent aussi trouva une Église comme cela, avec des ombres et des lumières. C'est parce qu'il 1'aimait et qu'il se rendait compte de ses imperfections, qu'il travailla à la transformer. Il a donné une réponse.

A partir des lumières et des ombres que nous voyons dans nos églises, il nous est demandé à nous aussi une réponse.

Avant de formuler de nouvelles questions, permettez-moi de rappeler l'une de ces situations qu'il arriva à saint Vincent de connaître et de vivre. Peut-être sont-elles semblables aux nôtres:

- La première situation à laquelle se heurta saint Vincent fut l'ignorance du peuple : "Vous savez, Messieurs, quelle elle est, vous savez l'ignorance du pauvre peuple, qui est presque incroyable (... ) Et comment une âme qui ne connaît pas Dieu ni ne sait ce que Dieu a fait pour son amour, peut-elle croire, espérer et aimer? Et comment se sauvera-t-elle sans foi, sans espérance et sans amour? Or Dieu, voyant cette nécessité et les accidents qui, par succession de temps, sont arrivés par la négligence des pasteurs et la naissance des hérésies, qui ont causé un grand déchet à l'Église, a voulu, par sa grande miséricorde, remédier à cela par les missionnaires, les ayant envoyés pour mettre ces pauvres gens en état de se sauver"(XII, 80-81).

* Est-ce que la même chose n'arrive pas, quand les puissants moyens de communication créent, parmi les gens, de fausses attentes de salut?

Nous continuons avec saint Vincent: "Voici une autre considération: c'est la nécessité que l'Eglise a de bons prêtres, qui réparent tant d'ignorance et tant de vices dont la terre est couverte, et qui ôtent cette pauvre Église de ce pitoyable état, pour lequel les bonnes âmes doivent pleurer des larmes de sang" (XII, 85 / XI, 392 ) .

* N'est-il pas vrai aussi qu'aujourd'hui, tandis que le "pauvre peuple" a besoin de la lumière de l'Évangile, il ne trouve pas dans nos églises la réponse dont il a besoin? Ne voyons-nous pas ici une autre urgence qui nous interpelle en tant que missionnaires?

Autre aspect de tout missionnaire authentique, voulant vivre à la manière de Jésus, qui a dit et prêché, mais aussi pratiqué" (Ac I, l): Quel est le niveau d'engagement des chrétiens en faveur des plus nécessiteux? ... Saint Vincent continue à nous poser de nouvelles questions. Il affirme clairement: "Évangéliser par paroles et par oeuvres, c est le plus parfait; et c'est aussi ce que Notre-Seigneur a pratiqué, et ce que doivent faire ceux qui le représentent sur la terre" (XII, 88).

"Il pourra donc arriver, après ma mort, des esprits de contradiction et des personnes lâches qui diront: "A quel propos s'embarrasser du soin de ces hôpitaux? Quel moyen d'assister tant de gens ruinés par les guerres et de les aller trouver chez eux? A quoi bon se charger de tant d'affaires et de tant de pauvres? Pourquoi diriger les filles qui servent nos malades, et pourquoi perdre notre temps auprès des insensés?". Il y en aura qui contrediront ces oeuvres, n'en doutez pas; et d'autres diront que c'est trop entreprendre d'envoyer des missionnaires aux pays éloignés (... ) Nous voulons bien faire mission en ce pays-ci; il y en a assez à faire sans aller plus loin; c'est à quoi je veux m'employer; mais des enfants trouvés, mais des vieillards du Nom de jésus et de ces enfermés qu'on ne m'en parle point!" (XII, 89-90; XI, 393).

Ces textes de Saint Vincent indiquent la direction que pourrait suivre le dialogue de groupes. Les questions sur l'Église doivent surgir des "besoins de salut" découverts dans le monde, dans notre petit monde. Nous pourrions dialoguer sur les questions suivantes:

Nous avons découvert quelques besoins de “salut" dans nos populations. A ces besoins:

- Quelles réponses donnent aujourd'hui nos églises?

- Quelles réponses y donnons-nous, nous les fils de saint Vincent?

- Faudrait-il donner donner des réponses différentes? (Lesquelles? Comment les présenter?)

Nous pouvons porter notre attention autant sur les caractères positives que sur les déficiences. De même, en arrivant à ce point, nous pourrions observer la réalité des paroisses ou des communautés où se fait la mission.

3.Nous-mêmes.

Le troisième point dans cette recherche du "voir", nous touche de plus près. Nous devons nous regarder nous-mêmes. Nous devons voir nos communautés et nos provinces et la réponse que nous donnons "aujourd'hui", comme fils de saint Vincent. Nous devons regarder et observer la réalité de nos équipes missionnaires. Donnons-nous une réponse convaincante, chrétienne et vincentienne aux problèmes signalés?

Paul VI, parlant des évangélisateurs, dans son exhortation EN, nous fait quelques considérations qu'il ne faudrait pas laisser de côté: "On répète souvent de nos jours que notre époque a soif d'authenticité. A propos des jeunes, surtout, on affirme qu'ils ont horreur du factice, du falsifié, et cherchent par-dessus tout la vérité et la transparence. Ces "signes des temps" devraient nous trouver vigilants. Tacitement ou à grands cris, mais toujours avec force, on nous demande: "Croyez-vous vraiment à ce que vous annoncez? Vivez-vous ce que vous croyez? Prêchez-vous vraiment ce que vous vivez? Aujourd'hui plus que jamais le témoignage de la vie est devenu une condition essentielle de l'efficacité profonde de la prédication. Par ce biais-là, nous voici jusqu'à un certain point, responsables de 1'Evangile que nous proclamons" (EN 76).

La pensée de Paul VI coïncide curieusement avec celle de saint Vincent. Nous voyons comment il mettait le doigt sur la plaie, face à l'un des problèmes qui existait déjà au début. Un homme de grand idéal comme lui, ne pouvait s'empêcher de signaler ces réalités négatives:

"On cherche l'ombre; on ne voudrait pas sortir au soleil; nous aimons si fort nos aises! En mission du moins, on est dans l'église à couvert des injures du temps, de l'ardeur du soleil, de la pluie, auxquelles ces pauvres gens sont exposés. Et nous crions à l'aide si l'on nous donne un tant soit peu plus d'occupation qu'à l'ordinaire. Ma chambre, mes livres, ma messe! Encore pour cela, baste! Est-ce là être missionnaire, d'avoir toutes ces aises? Nous vivons du patrimoine de Jésus-Christ, de la sueur des pauvres gens. Nous devrions toujours penser quand nous allons au réfectoire: "Ai-je gagné la nourriture que je vais prendre?" (XI, 201).

Un travail missionnaire déficient peut avoir son origine dans le manque de zèle pour le salut des hommes. Et cependant, sans ce zèle nous sommes des "carcasses de missionnaires". Sans ce zèle, il nous manquerait "l'identité". Ce mois vincentien est un nouvel essai pour revenir aux sources, savourer la fraîcheur de l'esprit évangélisateur et missionnaire. Écoutons de nouveau saint Vincent: "Je sais bien comment on faisait au commencement de la Compagnie, et quelle était dans la pratique exacte de ne point laisser passer d'occasion d'enseigner un pauvre..." (XI, 381; XI, 267).

Avec ces motivations que nous offrent aussi bien l'Exhortation EN que saint Vincent, nous pouvons déboucher en un nouveau champ d'analyse et de dialogue.

En toute sincérité, quelles réponses donnons-nous "avec les faits" au peuple nécessiteux? Nous contentons-nous de parler, ou pouvons-nous dire réellement que nous "évangélisons les pauvres"? En quoi remarque-t-on que nous nous appliquons à évangéliser les pauvres, surtout les plus abandonnés? (Const. 1, 2).

Comme membres de la C.M., nous sommes appelés à donner une réponse missionnaire aux problèmes de nos peuples. Mais quel est le panorama réel pour ce qui est de la mission dans nos Provinces?

Comment nous voyons-nous? Comment voyons-nous la réalité qui est la nôtre par rapport à notre fin? Pourquoi ne faisons-nous pas un autoportrait? (Nous pouvons nous y essayer).

Il est possible que le problème de "l'agir" ne soit pas en rapport avec la mauvaise volonté ou avec la nonchalance. Il se peut que nous rencontrions de réelles difficultés. Pourquoi n'en parlerions-nous pas aussi, au début de ce mois durant lequel nous voulons avancer, ne serait-ce qu'à petits pas, dans notre engagement missionnaire? Il vaudrait la peine que nous parlions aussi des difficultés que nous rencontrons présentement.

Quelles difficultés rencontrons-nous, dans nos situations concrètes, pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres.

Pourrions-nous signaler les causes de ces difficultés?

III. Observations pratiques

Nous allons maintenant passer au dialogue par groupes linguistiques. Et pour que le dialogue soit plus fructueux, je veux faire une remarque pratique.

1.Ce premier dialogue doit nous mener à une connaissance plus profonde de notre vie réelle: réalisations, espérances, désirs, problèmes, erreurs, attentes ... Cependant il faut noter que le sujet est trop vaste pour le temps dont nous disposons, jusqu'à 17 h. C'est pourquoi je demanderais de ne pas trop nous arrêter sur les petits détails peu importants, mais d'aller à l'essentiel. Quand, dans l'après-midi, nous nous retrouverons en assemblée plénière, il conviendra que nous communiquions des expériences significatives. Les autres détails, si importants soient-ils, nous pouvons les laisser pour les dialogues informels qui, sûrement, seront une des joies de ces journées.

2. Autre observation. Dans le dialogue, nous ne devons pas nous arrêter seulement aux aspects négatifs. Peut-être y aura-t-il des groupes qui, après une sincère analyse, ne trouveront aucun aspect négatif. Peut-être constaterons-nous que nous faisons "tout ce que nous pouvons". Dieu n'exige pas de nous plus que nous ne pouvons honnêtement faire.

S'il en est ainsi, il est important que nous le communiquions aussi aux autres. Les réalités négatives que nous découvrons en faisant l'examen de ce que nous vivons, devraient seulement nous porter à les corriger. L'examen sincère est le premier pas sur le chemin montant de la conversion.

Mais, nous avons aussi besoin de voir et de connaître tout le bien que Dieu est en train de faire en se servant de notre simple effort ou de notre travail. Comme Marie, nous devons savoir rendre grâce à Dieu qui manifeste sa grandeur parmi nous.

3.Ce premier dialogue est important à l'intérieur du projet global du mois: Aux besoins et préoccupations qui apparaissent spontanément dans le dialogue des groupes, nous devrions essayer de donner une réponse au long de ce mois.

D'autre part, la réalité qui se dégagera à travers notre sensibilité missionnaire à nous, qui nous sommes réunis, nous allons la faire parvenir au Supérieur Général et aux confrères de nos provinces et de nos équipes missionnaires. Nous prétendons en ces jours-ci offrir un service missionnaire à nos provinces et à nos équipes.

4.Finalement je veux faire remarquer que le petit questionnaire que nous proposons n'a qu'une finalité: aider et faciliter le dialogue. Les questions ne sont pas celles d'un examen. Aussi, que chaque groupe prenne avec liberté ce petit questionnaire et voie, à partir de son expérience concrète et diverse, -sans y perdre trop de temps- quelles sont les questions les plus intéressantes pour les mettre en commun.

(Traduction: Jules Vilbas, C.M.)