Dix principes fondamentaux de la doctrine sociale de l'Eglise

Dix principes fondamentaux

De la doctrine sociale de l'église

Robert P. Maloney, C.M.

Supérieur Général

Je voudrais commencer cet article par un examen, un examen très facile. Combien de lecteurs peuvent nommer :

*les dix commandements ?

*les huit béatitudes ?

*les trois vertus théologales ?

*les quatre vertus cardinales ?

*les sept oeuvres de miséricorde ?

*les sept sacrements ?

*les sept péchés capitaux ?

Pratiquement tout le monde, au moins en faisant un petit effort de mémoire.

Combien peuvent nommer dix principes sociaux qui sont “une partie essentielle de la foi catholique” ?

Personne ?

De façon étrange et dans presque chaque réunion de catholiques, cette question est accueillie par la même réponse silencieuse. Pourtant l'Église a proclamé de manière éloquente et répétée sa doctrine sociale depuis les cent dernières années. Il y a six ans, en exprimant mes espoirs pour la Congrégation de la Mission, j'avais posé une question : “Est-ce que ceux que nous avons en formation réalisent que les Prêtres de la Mission sont des experts en doctrine sociale de l'Église ?”. Récemment, j'ai proposé ce défi : “Je vous encourage à faire de l'enseignement social de l'Église une partie intégrante de la formation des membres de la Compagnie”.

Mais la vérité est, comme une Conférence épiscopale l'a récemment déclaré, que “Beaucoup trop de catholiques ne connaissent pas bien” l'enseignement social de l'Église. Les évêques ajoutaient : “Beaucoup de catholiques ne comprennent pas clairement que l'enseignement social de l'Église est une partie essentielle de la foi catholique”.

Pourquoi cette partie essentielle de notre foi est-elle si peu connue ? La raison en est que la doctrine sociale catholique n'a pas été résumée de façon pratique pour le public, elle n'a pas été mise en forme dans un souci de catéchèse comme l'ont été les dix commandements ou les sept sacrements.

Comment pourrions-nous aider l'Église à proclamer cette partie, relativement inconnue, mais essentielle de notre foi ? D'une certaine façon, la réponse est simple, mais aussi très exigeante : nous devons d'abord connaître cet enseignement nous-mêmes et puis ensuite le communiquer aux autres.

Dix principes de l'enseignement social de l'Église

Voici dix pierres de construction sur lesquelles repose toute la doctrine sociale de l'Église:

1. Le principe de la dignité de la personne humaine

“Tout être humain est créé à l'image de Dieu et racheté par Jésus Christ. Il est donc sans prix et digne de respect en tant que membre de la famille humaine”.

Ceci est le principe de base de la doctrine sociale catholique.

Chaque personne quels que soient sa race, son sexe, son âge, sa nationalité d'origine, sa religion, son orientation sexuelle, son statut vis-à-vis de l'emploi, son niveau économique, sa santé, son intelligence, sa réussite ou n'importe quelle autre caractéristique engendrant des différences, est digne de respect. Ce n'est pas ce que vous faites ou ce que vous avez qui vous donne droit à être respecté, mais c'est le simple fait d'être un homme qui établit votre dignité. A cause de cette dignité, la personne humaine n'est, dans l'optique catholique, jamais un moyen, mais toujours une fin.

L'ensemble de l'enseignement social catholique commence avec la personne humaine, mais ne finit pas là. Les personnes individuelles ont une dignité, mais l'individualisme n'a pas de place dans la pensée sociale catholique. Le principe de la dignité humaine donne à la personne humaine un droit d'appartenance à une communauté, la famille humaine.

2. Le principe du respect de la vie humaine.

“Chaque personne, depuis le moment de sa conception jusqu'à sa mort naturelle, a une dignité inhérente et un droit à la vie en conformité avec cette dignité”.

La vie humaine à chaque étape de son développement et de son déclin est précieuse et donc digne de protection et de respect. Il est toujours coupable d'attaquer directement une vie humaine innocente. La tradition catholique voit le caractère sacré de la vie humaine comme faisant partie de toute vision morale d'une société juste et bonne.

3. Le principe d'association.

“Notre tradition proclame que la personne n'est pas seulement sacrée mais sociale. La façon dont nous organisons la société -au niveau économique et politique, légal et juridique- affecte directement la dignité humaine et la capacité des individus à grandir en communauté”.

La famille est le point central de la société ; la stabilité familiale doit toujours être protégée et jamais dévaluée. En s'associant avec d'autres -en famille et dans d'autres institutions sociales qui favorisent la croissance, protègent la dignité et promeuvent le bien commun- les personnes humaines atteignent leur épanouissement.

4. Le principe de participation.

“Nous croyons que les gens ont le droit et le devoir de participer à la société en cherchant ensemble le bien commun et le bien-être de tous, spécialement des pauvres et des personnes vulnérables”.

Sans participation, les biens qui sont mis à la disposition de la personne par une quelconque institution sociale ne peuvent être obtenus. La personne humaine a le droit de ne pas être privée, de participer à ces institutions qui sont nécessaires à l'épanouissement humain.

Ce principe s'applique de façon particulière aux conditions liées au travail. “Le travail est plus qu'une manière de gagner sa vie ; c'est une forme de participation continue à la création de Dieu. Si la dignité du travail doit être protégée, les droits fondamentaux qui sont le privilège des travailleurs doivent aussi être respectés -le droit à un travail productif, à un salaire convenable et juste, le droit d'organiser des syndicats et d'y adhérer, le droit à la propriété privée et à l'initiative économique”.

5. Le principe de la protection préférentielle des pauvres et des personnes vulnérables.

Nous croyons que nous rejoignons le Christ lorsque nous rejoignons les personnes dans le besoin. La parabole du jugement dernier joue un rôle important dans la tradition de la Foi catholique. Depuis ses origines, l'Église a enseigné que nous serons jugés par ce que nous avons choisi de faire ou de ne pas faire vis-à-vis des affamés, des assoiffés, des malades, des personnes sans domicile, des prisonniers. Aujourd'hui l'Église exprime cet enseignement par le terme “d'option préférentielle pour les pauvres”.

Pourquoi un amour préférentiel pour les pauvres ? Pourquoi mettre en premier les besoins des pauvres ? Parce que le bien commun, le bien de la société dans son ensemble, l'exige. Le contraire de riche et puissant est pauvre et sans pouvoir. Si le bien de tous, le bien commun doit l'emporter, une protection préférentielle doit être apportée à ceux qui souffrent de l'absence de pouvoir et des effets de la privation. Autrement l'équilibre nécessaire pour maintenir le tissu de la société serait brisé au détriment de tous.

6. Le principe de solidarité.

“L'enseignement social catholique proclame que nous sommes les gardiens de nos frères et de nos sœurs où qu'ils se trouvent. Nous formons une seule famille humaine... Apprendre à pratiquer la vertu de solidarité signifie apprendre que “aimer notre prochain a des dimensions globales dans un monde interdépendant”.

Le principe de solidarité conduit à des choix qui assureront la promotion et la protection du bien commun.

La solidarité nous appelle à ne pas répondre seulement à des malheurs personnels et individuels; il y a des problèmes de société qui sont un cri exigeant des structures sociales plus justes. Pour cette raison, l'Église nous appelle souvent, aujourd'hui, non pas seulement à nous engager dans des œuvres charitables, mais aussi à travailler à la justice sociale.

7. Le principe de gérance.

“La tradition catholique insiste sur le fait que nous montrons notre respect pour le Créateur par notre gestion de la création”.

Celui qui gère est un administrateur, pas un propriétaire. A une époque de prise de conscience grandissante de notre environnement physique, notre tradition nous appelle à nous sentir moralement responsables de la protection de l'environnement -terres cultivables, prairies, espaces boisés, air, eau, minéraux et autres gisements naturels-. Les responsabilités de gérance s'appliquent aussi à l'attention de notre santé et à l'usage de nos talents personnels et de nos biens.

8. Le principe de subsidiarité.

Ce principe a trait principalement aux “responsabilités et limites du gouvernement et au rôle essentiel des associations bénévoles”.

Le principe de subsidiarité met une limite nécessaire au gouvernement en insistant sur le fait que le niveau supérieur d'une organisation ne doit pas effectuer des opérations qui peuvent être prises en compte efficacement et effectivement à un niveau inférieur par des personnes ou des groupes qui sont plus proches des problèmes et du terrain. Les gouvernements oppressifs violent toujours le principe de subsidiarité ; des gouvernements trop actifs le violent aussi parfois.

D'un autre côté, les individus se sentent souvent démunis face à des problèmes sociaux décourageants : le chômage, les gens qui dorment sur les pas de porte ou qui mendient au coin des rues. Comme ces problèmes ont des dimensions de société, ce n'est ni une personne ni un groupe qui pourront les résoudre. Tout en respectant la subsidiarité, le gouvernement qui reçoit les impôts doit aider les individus, les communautés plus petites et la communauté nationale à faire quelque chose pour résoudre de tels problèmes sociaux. En payant des impôts, nous contribuons ainsi à l'établissement de la justice sociale.

9. Le principe de l'égalité humaine.

“L'égalité de toutes les personnes vient de leur dignité essentielle... Si les différences de talents font partie du plan de Dieu, la discrimination sociale et culturelle vis-à-vis des droits fondamentaux n'est pas compatible avec le dessein de Dieu”.

Traiter ses semblables avec égalité est une manière de définir la justice, comprise aussi de façon classique comme le fait de rendre à chacun ce qui lui revient. Sous-jacent à cette notion d'égalité est le simple principe de justice ; une des plus précoces sentiments éthiques ressentis dans l'être humain en développement est le sens de ce qui est “juste” et de ce qui ne l'est pas.

10. Le principe du bien commun.

“Le bien commun est compris comme les conditions sociales qui permettent aux gens d'atteindre leurs pleines potentialités et de réaliser leur dignité humaine”.

Les conditions sociales, auxquelles l'Eglise pense, présupposent “le respect des personnes”, “le bien-être et le développement social du groupe” et le maintien de la paix et de la sécurité par l'autorité publique. Aujourd'hui, dans un âge d'interdépendance globale, le principe du bien commun conduit au besoin de structures internationales qui peuvent promouvoir le juste développement des personnes et des familles par-delà les frontières régionales et nationales.

Ce qui constitue le bien commun sera toujours matière à discussion. L'absence de sensibilité au bien commun est un signe certain de décadence dans une société. Quand le sens de la communauté s'érode, le souci du bien commun diminue. Un bon souci communautaire est l'antidote à un individualisme effréné qui, comme l'égoïsme sans limite dans les relations personnelles, peut détruire l'équilibre, l'harmonie et la paix au sein des groupes, des voisinages, des régions et des nations.

Voilà les dix principes. Il est très beau de faire entrer cet enseignement social catholique dans l'essentiel de la foi. En le faisant, nous affirmons que ce que nous croyons est à la source de ce que nous faisons. Pour les chrétiens, il n'y a pas seulement des vérités à croire, mais aussi des vérités à mettre en pratique. Notre programme repose donc sur ces dix pierres de construction :

*la dignité de la personne humaine,

*la vie humaine,

*l'association,

*la participation,

*la préférence pour les pauvres,

*la solidarité,

*la gérance,

*la subsidiarité,

*l'égalité,

*le bien commun.

Faire passer cet enseignement

Aujourd'hui je vous encourage, ainsi que tous les membres de notre Famille Vincentienne, à communiquer aux autres cet enseignement social de l'Église. Cet enseignement doit être très important pour nous qui vivons dans la tradition vincentienne. L'option préférentielle de l'Église pour les pauvres en découle. Si nous et d'autres sommes profondément enracinés dans cette “partie essentielle de la foi catholique”, les pauvres en profiteront sûrement. Je voudrais vous offrir une série rapide de suggestions concrètes sur la façon d'utiliser ces principes.

1.Ils peuvent constituer :

* dix sujets pour une série de conférences pour la formation des adultes,

*dix segments d'un cours semestriel,

*dix chapitres de manuel,

*dix projets dans un centre de recherche,

* dix sections sur une page d'Internet.

2. Pour ceux qui font des classements, il pourrait y avoir dix boîtes pour recueillir la sagesse collective venant de :

* l'écriture sainte,

*la patristique,

*l'histoire de l'Église,

*les écrits théologiques,

*l'enseignement des Conciles et des Papes,

*d'autres sources, comme la littérature contemporaine.

3.Ceux qui aiment les assonances ou les sigles pourraient agencer l'ordre des principes pour fabriquer un ensemble facile à mémoriser.

Pour incarner les principes, on pourrait aussi composer dix brefs essais biographiques centrés sur des personnes qui ont incarné un ou plusieurs de ces principes de façon significative, par exemple :

*Saint Vincent,

*Sainte Louise,

*Frédéric Ozanam,

* Rosalie Rendu,

*Mère Theresa de Calcutta,

*Dorothy Day,

*Mahatma Gandhi,

*Martin Luther King,

*?

5.On pourrait rechercher des extraits des grandes voix sociales du passé et les mettre dans chacun des dix dossiers suivants :

*Ambroise,

*Jean Chrysostome,

*Thomas d'Aquin,

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6.En utilisant ces dix principes comme guide, on pourrait étudier les grandes encycliques sociales et sélectionner les passages clés qui expriment les principes, puis les classer dans chacun des dix dossiers.

7.On pourrait consulter l'index du Catéchisme de l'Église Catholique pour trouver des explications plus complètes de la doctrine sociale de l'Église et pour identifier les sections du Catéchisme qui ont trait à ces dix principes.

Les principes sont importants. Une fois qu'ils sont intériorisés, ils peuvent conduire à quelque chose. Ils inspirent nos choix. Ils nous poussent à agir. Une personne qui a des principes a un point d'appui. Elle sait d'où elle vient et où elle veut aller. Les principes nous donnent un but. Ceux d'entre nous qui sont des professeurs aspirent de tout leur cœur à former des personnes qui aient des principes et qui soient préparées à agir de façon responsable, et désireuses de le faire.

Ces dix principes peuvent servir de base d'analyse pour n'importe quel problème social. Par exemple, si quelqu'un se demande pourquoi les documents d'Église sont centrés si fréquemment sur la guerre, la paix, les armes nucléaires, l'économie, l'avortement, l'euthanasie, les soins de santé, l'éducation et beaucoup d'autres sujets qui ont une dimension sociale et morale bien claire, ces principes fournissent le cadre nécessaire pour comprendre cet enseignement.

Avec un regard sur le siècle qui se termine, Jean-Paul Il a écrit dans Centesimus Annus : “La diffusion de la doctrine sociale de l'Eglise appartient à sa mission d'évangélisation et c'est une partie essentielle du message chrétien”. Il ajoute : “La nouvelle évangélisation... doit compter parmi ses éléments l'annonce de la doctrine sociale de l'Eglise”. Ces expressions sont fortes. Il serait difficile d'être plus clair. La doctrine est une partie essentielle de notre foi. Nous devons la proclamer ouvertement dans la nouvelle évangélisation.

Aujourd'hui, j'encourage la grande Famille Vincentienne, y compris moi-même,

à relever ce défi.

(Traduction: service de traduction des Filles de la Charité)

Cf. Sharing Catholic Social Teaching : Challenges and Directions - Reflections of the U.S. Catholic Bishops (Washington, DC : N.C.C.B., June, 1998).

Sharing Catholic Social Teaching : Challenges and Directions - Reflections of the U.S. Catholic Bishops (Washington, DC : N.C.C.B., June, 1998).

Ibid., p. 1-2.

Ibid., p. 4.

Ibid., p. 5.

Ibid., p. 5.

Mt 25, 31-46.

Ibid., p. 5.

Ibid., p. 6.

Ibid., p. 6.

Ces huit premiers principes ont été tirés du recueil relativement bref des “Réflexions des Évêques Catholiques des U.S.A. ; le second sous-titre de Partage de l'Enseignement Social commentait cette publication de la Conférence Nationale des Evêques Catholiques. En lisant le résumé de ce travail, j'ai découvert une articulation avec les deux principes supplémentaires qui suivent.

Résumé, p 23-24.

Résumé, p 25.

Centemus Annus, 5.

Ibid.

J'avoue, sans trop de honte, que j'ai emprunté largement pour écrire cette conférence de l'article de William J. Byron, “Then Building-Blocks of Catholic Social Teaching”, America (Vol ; 179, # 13 ; October 31, 1998), 9-12. Cet article a été largement diffusé dans une publication de la Conférence des Evêques d'Asie. L'auteur a été très généreux en me donnant la permission de l'utiliser à ma façon et m'a même envoyé une version plus complète.